Intervention de Frédéric Petit

Réunion du mercredi 20 octobre 2021 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédéric Petit, rapporteur pour avis :

Commençons par les bourses, dont beaucoup ont parlé. Non, monsieur Mbaye, je n'ai pas entendu parler d'étudiant étranger bloqué par la décision que nous avons prise il y a quelques années de relever les frais de scolarité. Je rappelle sur ce sujet à Mme Autain que la mécanique qui avait permis le relèvement de certains droits de scolarité en France n'a quasiment pas d'effet sur les boursiers.

Pour répondre de façon plus technique à M. Mbaye, nous avons un opérateur en la matière, qui est Campus France. La mécanique budgétaire de Campus France fait qu'il ne gère directement que 40 % à peu près de son volume de subventions. Dans ce cas, il est opérateur de programme d'échange ; le reste du temps, il est utilisé par des postes d'ambassade qui souhaitent faire venir un étudiant en France. Or il manque manifestement un outil financier à Campus France pour connaître en temps réel le niveau d'utilisation de son budget pour les bourses dont il n'est pas l'opérateur principal : très souvent, Campus France découvre en année n+1 qu'il n'a pas utilisé tout le budget dont il disposait. Voilà le vrai problème dans la gestion des bourses qui font partie de notre stratégie d'influence.

Beaucoup m'ont interrogé sur la feuille de route, ou tableau de bord. Ce n'est pas un tableau d'indicateurs. Ce travail, qui n'est pas terminé et qui devrait, madame Amadou, commencer à être disponible en fin d'année, a sans doute pour origine toute la mobilisation qui s'est opérée ici autour de l'importance de la coordination.

Car il faut bien être conscient que notre réseau a une histoire. J'entends que les familles, maintenant, sont obligées de financer le réseau d'enseignement français à l'étranger… C'est se méprendre complètement sur l'histoire de ce réseau ! Notre réseau, nous y consacrons 400 millions : il pèse 3,5 milliards ! Depuis des siècles, le lycée français de Berlin n'est financé ni par l'État français, ni par les familles d'ailleurs, mais par le Sénat de Berlin !

L'histoire de ce réseau est celle de la mise en cohérence d'une myriade d'expériences et d'initiatives familiales, économiques, associatives. Prenez le Liban : on y trouve 54 lycées et établissements homologués, 300 lycées soit labellisés soit certifiés, et 1 500 lycées privés ; et nous n'y avons aucun lycée géré directement par l'État ! Nous n'avons aucun lycée d'État aux États-Unis non plus, où il y a 57 lycées français. Ils contribuent à notre budget, et ils n'ont jamais rien coûté.

Il n'y a donc pas de changement, pas de politique nouvelle : c'est comme ça. Le processus d'homologation n'est pas lancé par l'AEFE, mais par des gens qui ont envie de créer là où ils habitent un lycée où l'on parle français, et qui se demandent ensuite comment faire pour être reconnus par l'État français. Voilà l'histoire de 90 % de notre réseau. Quand Michel Rocard, en 1990, en a eu assez de cette dispersion, il a créé l'AEFE pour regrouper les établissements et les gérer ensemble. C'est cela, notre histoire, pas celle d'un réseau qui était complètement financé par l'État et qui ne l'est plus.

Je vais beaucoup plus loin : que dirions-nous donc si un État étranger achetait 2 hectares dans le 10e arrondissement de Paris, construisait un terrain de foot, une piscine et un bâtiment de quatre étages et envoyait 100 fonctionnaires avec un statut particulier ? Que ferions-nous si l'État turc commençait à dire que dorénavant, les enfants turcs iront dans cette école et pas dans une autre, et que les Français pourront venir s'ils parlent turc ?

Je rappelle que les statuts de l'AEFE font état de coopération éducative : cela ne consiste pas à exporter des lycées sous cloche, mais à envoyer des équipes, des parents. C'est ce que nous avons fait au Liban. Et lorsque nous avons imposé au ministre l'an dernier, en projet de loi de finances rectificative, d'aider pendant la pandémie aussi les familles étrangères, cela venait de la même logique – car nous, sur le terrain, voyons bien que ce sont elles qui travaillent. Pour reprendre un exemple que j'ai déjà pris devant vous, le lycée d'Erbil, au Kurdistan, qui a tenu à trente kilomètres du front pendant trois ans, est tenu d'une main de maître par une Américaine, qui n'a même pas droit aux bourses ! C'est cela, l'histoire de notre réseau. Si on ne comprend pas cela, on s'expose à des erreurs.

C'est pour cette raison, monsieur Nadot, que je dis que notre diplomatie d'influence doit être une diplomatie d'animation du réseau. Si un conseiller de coopération et d'action culturelle, au Liban, ne se soucie que de « ses » 54 lycées français sans se préoccuper des 300 lycées francophones ni des 1 500 lycées privés, il passe à côté du sujet.

Oui, monsieur le président, la présence française au Liban soutient aujourd'hui la population. Je suis allé là-bas, et j'en suis revenu beaucoup moins marqué que de ma mission en territoire palestinien et en Israël – ceux qui y sont allés s'en souviennent : à Hébron par exemple, la haine est littéralement tangible. Au Liban donc, j'ai trouvé des élus qui, quand on leur demande de quoi ils ont besoin – des élus municipaux qui n'ont plus de compte en banque, qui gagnent 50 euros par mois ! – répondent qu'ils viennent de créer un conseil municipal de jeunes, parce qu'il faut reconstruire la démocratie dans leur pays, et qu'il faudrait leur trouver un jumelage dans une ville comparable. J'ai trouvé des maires pleins de projets. Dans cette société qui se projette, notre diplomatie d'influence est sur les bons carrefours, parce que ce n'est pas une administration qui se concentre sur ce qui dépend d'elle à 100 %. Par exemple, nous sommes présents dans la Bekaa : pas un seul fonctionnaire n'a le droit d'aller dans la Bekaa, pour des raisons de sécurité, mais nous y sommes présents, grâce à notre réseau, à notre tissu !

Voilà ce que je pense du rôle que doit jouer l'État. Et encore une fois, madame Autain, tout cela n'est pas nouveau. Les premiers consuls français, il y a deux cents ans, étaient des entrepreneurs élus par leurs pairs. L'histoire de la diplomatie française, c'est l'histoire d'une présence active dans des pays étrangers, pas celle d'un État qui envoie des fonctionnaires. Ce n'est pas notre tradition, et trop se concentrer sur ce point aveugle. Il est évident que l'État a un rôle à jouer, je le dis depuis quatre ans en demandant une augmentation des crédits, mais chaque chose doit être à sa place : si les pistons ne sont pas en face des cylindres, ce n'est pas en mettant plus d'essence qu'on fera avancer la voiture.

Ce qui nous ramène à ce que disait M. Maire tout à l'heure sur le métier diplomatique : si nous ne faisons pas la différence entre la gestion des réseaux et la diplomatie de métiers, nous aurons beaucoup de mal à préserver notre travail. Or, comme il l'a dit, ce sont les « métiers périphériques » qui ont disparu les premiers. Mais ce n'est pas périphérique, c'est fondamental ! Sauf que ce sont des métiers différents, et qu'il faut garder cette différence en tête, dans l'esprit du discours de 2019 : il y a des chefs d'orchestre, formés comme tels, et pour le reste, la présence active de la France se manifeste au travers de métiers, qu'il faut gérer différemment.

Comment toucher les classes modestes ? Justement par notre effort d'homologation. J'ai visité au Liban une école qui existe depuis vingt ans mais vient seulement d'être homologuée. C'est une école dite semi-gratuite, destinée donc à des gens modestes, qui est en fait une œuvre sociale d'une famille du coin. Et nous voilà donc avec une école française, qui va pour l'instant de la maternelle au CE1, qui a évolué, qui forme ses professeurs comme nous, qui a des filles et des garçons comme nous. Leur grand problème, c'est qu'ils ne savent pas trop comment faire pour que les parents soient représentés dans la gestion de l'établissement, ce que nous leur demandons pour être homologués.

Voilà le génie de cette façon de faire : cela ne coûte pas grand-chose à la France, mais l'éducation française atteint des gens qui n'ont pas les moyens de se payer une éducation haut de gamme. J'ai le cas dans ma circonscription : les écoles de Varna ou Sarajevo ne sont pas très chères, elles sont gérées par le tissu local et elles ont réussi à se faire homologuer. C'est compliqué, l'homologation, mais ce n'est pas en envoyant une équipe de fonctionnaires sous bulle qu'on y arrive. Je le répète, 85 % du réseau n'est pas géré directement par l'État.

Pour ce qui est de l'influence numérique, nous avons un outil qui est désormais utilisable sur toute la planète. Le ministère de l'éducation nationale a recruté quatre spécialistes du numérique de haut de gamme il y a trois ans, et a fait un travail énorme. Nous avons maintenant une plateforme en open data, utilisable par toutes les écoles et opérateurs du ministère de l'éducation nationale, capable de concurrencer les géants que sont les GAFAM. Bref, l'outil existe, les pistons sont en face des cylindres. Je propose qu'on suggère, voire qu'on impose à nos réseaux à l'étranger de quitter Zoom et de passer sur cette plateforme. C'est là que la résistance commence : puisque nous pouvons le faire dans un domaine, faisons-le.

Pour ce qui est de la Malaisie, je ne sais pas pourquoi elle, au milieu des autres, a triplé le nombre de ses apprenants en français – qui n'est pas anecdotique, puisqu'il doit y avoir, de tête, quatre ou cinq implantations. J'ai demandé un retour d'expérience, pour en savoir plus.

Madame Autain, bien sûr qu'il faut une vision, c'est ce que je dis depuis quatre ans. Mais cela ne se fait pas d'un claquement de doigts, du haut vers le bas. C'est la raison pour laquelle établir la feuille d'influence prend du temps.

Cette feuille d'influence, c'est la mise en cohérence des mises en cohérence : l'articulation de tout ce dont nous disposons, comme le plan AEFE, le nouveau plan Alliance française… Ce dernier plan est venu des alliances françaises, madame Autain : personne, dans aucun ministère parisien, ne leur a dit de s'en occuper. Ce sont les alliances françaises qui, profitant de la crise, se sont réorganisées, en partant d'un magnifique congrès mondial qui s'est tenu à l'automne 2020, par visioconférence évidemment. Tout cela doit maintenant se construire, et quand on construit de manière non centralisée, cela prend du temps.

Nous avons vu émerger cette problématique de la construction de notre stratégie d'influence à cinq ou dix ans, qui se pose de la même manière dans divers secteurs. Le ministre a compris l'importance du sujet et y a consacré des équipes et des moyens. Ces gens m'ont auditionné, et j'ai été impressionné par la qualité de leurs travaux. Ils s'attachent maintenant à établir cette feuille de route, c'est-à-dire un cadre pour l'ensemble de notre présence, qui intègre également l'aide publique au développement par exemple.

S'agissant de ce que vous avez dit sur le Commonwealth ou le mandarin appris à l'école en Afrique, oui, c'est un combat. Sans fausse modestie, je dois dire que le ministre Le Drian a repris mon expression : il ne s'agit plus de « soft power », nous sommes dans le « hard ». C'est pour cela qu'il faut s'organiser, à l'aide d'une bonne feuille de route. Dans certains pays, c'est le lycée français qui sera l'outil de base, dans d'autres ce sera l'économie.

Madame Autain, ce n'est pas Business France, avec ses quelques dizaines de millions d'euros, qui finance les 150 milliards d'investissements directs à l'étranger. Business France aide les PME à partir à l'étranger. Pour la Pologne, que je connais bien, Business France nous coûte un poste partagé à sept pays, pour une présence de nos PME qui est de l'ordre de 10 milliards d'euros.

Quant au sentiment antifrançais, évidemment qu'il faut se battre. Nous avons fait des choses importantes pour la francophonie en Afrique, par exemple en reconnaissant les langues maternelles dans l'enseignement français. Jusqu'à il y a une dizaine d'années, il n'était question que de faire parler le français aux élèves. Mais, surtout dans les petites classes, comment se targuer de faire de « l'éducation à la française » en commençant par dire aux enfants que leurs parents ne parlent pas la bonne langue ? Nous avons beaucoup évolué en matière de pédagogie, d'intégration, de tissage de relations. C'est important. Mais oui, nous sommes exposés et cette action est de l'ordre du combat.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.