Les crédits de la mission Aide publique au développement (APD) étaient très attendus cette année puisque nous avons définitivement adopté, il y a quelques semaines, une loi particulièrement ambitieuse qui fixe le cadre et les orientations de notre politique de développement solidaire pour les prochaines années. Nous avons doté notre pays d'une réelle vision stratégique et d'une doctrine nouvelle à l'égard de nos partenaires du Sud. Je tiens à rappeler à quel point cette loi a été élaborée en étroite collaboration avec tous les groupes politiques de cette commission et avec les ministères concernés. Nous pouvons collectivement en être très fiers.
Les crédits pour 2022 s'inscrivent dans une dynamique engagée dès 2017, et qui s'est traduite par une augmentation constante des montants alloués à la mission APD. Ce budget se compose de deux programmes principaux : le programme 110, Aide économique et financière au développement, mis en œuvre par le ministère de l'économie et des finances, et le programme 209, Solidarité à l'égard des pays en développement, mis en œuvre par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Les crédits de paiement cumulés de ces deux programmes augmenteront de près de 1 milliard d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2021.
Cette hausse sans précédent permettra à notre pays d'atteindre et même de dépasser l'objectif, fixé par la loi du 4 août dernier, d'une aide publique au développement représentant 0,55 % de notre revenu national brut en 2022, l'objectif étant, comme vous le savez, d'atteindre un niveau de 0,7 % en 2025.
Si les crédits de paiement de la mission APD, dont le total sera supérieur à 5 milliards d'euros, doivent baisser légèrement par rapport à l'année dernière, tous programmes confondus, il s'agit d'un effet d'optique dû à la réduction du programme de renforcement des fonds propres de l'AFD, réalisé pour l'essentiel en 2021, et au transfert progressif du financement de la coopération communautaire au budget général de l'Union européenne.
Les crédits des deux programmes qui soutiennent concrètement notre aide, les programmes 110 et 209, augmentent, quant à eux, très nettement, de plus de 27 % pour le premier et de plus de 23 % pour le second. Sur l'ensemble du quinquennat, les crédits de la mission APD auront ainsi augmenté de plus de 70 % entre la loi de finances initiale pour 2017 et le projet de loi de finances pour 2022, ce qui représente la plus forte hausse relative du budget de l'État.
Cette augmentation très substantielle permettra à la France d'honorer ses engagements vis-à-vis des organisations internationales et des grands fonds sectoriels, tels que le Fonds vert pour le climat, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme ou encore le Partenariat mondial pour l'éducation. Une enveloppe est également ouverte pour financer la contribution de la France à la reconstitution de l'Association internationale de développement. Par ailleurs, la hausse des crédits nous permettra de tenir nos engagements en matière de coopération sanitaire : une nouvelle enveloppe sera ainsi mobilisée pour l'initiative ACT-A (dispositif pour accélérer l'accès aux outils de lutte contre la covid-19), au travers de versements à l'Organisation mondiale de la santé (OMS), à l'Alliance Gavi et à Unitaid.
Les ressources allouées à l'Agence française de développement (AFD) au titre de l'aide projet, rémunération de l'Agence comprise, atteindront pour la première fois 1 milliard d'euros en crédits de paiement, ce qui représente une hausse de plus de 23 %.
Par ailleurs, l'objectif de consacrer 500 millions à l'aide humanitaire, fixé par le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) de février 2018, sera atteint grâce à une hausse de ce type de crédits de près de 170 millions par rapport à 2021. Je tiens à saluer le travail et l'implication de l'ensemble des travailleurs humanitaires, en particulier du Centre de crise et de soutien du ministère, dont nous avons pu voir à de nombreuses reprises qu'il fait un travail absolument remarquable.
Concernant la maquette budgétaire, j'appelle votre attention sur la présence, pour la première fois, d'un programme Restitution des « biens mal acquis ». La loi de programmation du 4 août dernier a en effet prévu un mécanisme de restitution des avoirs issus de la corruption internationale aux populations victimes de ces infractions, par la mise en œuvre d'actions de développement dans les pays concernés. Le projet de loi de finances pour 2022 ne prévoit pas à ce stade d'ouverture de crédits pour ce programme mais celui-ci sera doté au fur et à mesure de l'encaissement du produit de la vente de biens mal acquis – la première restitution devrait concerner la Guinée équatoriale. C'est un mécanisme innovant et inédit que l'on doit à la ténacité du Président de la République, du ministère des affaires étrangères et des parlementaires, et je souhaite qu'il puisse inspirer d'autres pays.
Il y a un an, je vous présentais mon rapport sur ce que j'appelais « l'équipe France » du développement, c'est-à-dire ces femmes et ces hommes qui travaillent au quotidien au sein de nos administrations, des institutions, des ONG et des associations pour mettre en œuvre au plus près du terrain nos politiques de solidarité internationale. Depuis, de nombreux progrès ont été accomplis, et d'autres restent à venir.
L'examen du dernier projet de loi de finances de cette législature est le moment de faire un bilan, dans un contexte de crise mondiale dont les premières victimes sont principalement les femmes, les adolescentes et les jeunes filles. À la suite du rapport présentant « 100 propositions pour une diplomatie féministe » de nos collègues Mireille Clapot et Laurence Dumont, il me paraît important de mettre l'accent sur la question de l'égalité femmes-hommes et de l'émancipation des femmes. C'est un axe majeur de ce quinquennat, qui a été érigé en priorité nationale par le Président de la République et dont la loi du 4 août dernier fait une priorité transversale. J'ai souhaité m'assurer que cette dimension était bien prise en compte dans notre politique d'aide au développement.
J'ai d'abord constaté que des progrès importants et incontestables ont été réalisés au cours des dernières années. Des engagements internationaux ont notamment été pris dans le cadre du Partenariat de Biarritz de 2019, du sommet Finance en commun de 2020 ou du Forum Génération Égalité de juillet dernier, organisé en France et qui a lancé des coalitions d'action portant sur l'autonomie corporelle ou les droits en matière de santé sexuelle et reproductive. L'Union européenne n'a pas été en reste, grâce à ses différents plans d'action pour l'égalité entre les femmes et les hommes, très largement soutenus par la France.
Il existe également une émulation internationale. Le Canada et la Suède ont donné un accent résolument féministe à leur diplomatie. J'ai pu auditionner le premier secrétaire, chargé de la diplomatie féministe, de l'ambassade de Suède à Paris, qui a cité l'exemple des élections organisées en Somalie en 2016 : l'aide de la Suède dans le processus électoral a permis une augmentation de 70 % de la participation des femmes.
La France a emboîté le pas. Elle a repris à son compte le concept de diplomatie féministe et s'est dotée d'une stratégie internationale pour l'égalité entre les femmes et les hommes couvrant la période 2018-2022. Notre pays s'est engagé, dans la loi du 4 août dernier, « à tendre vers un marquage “ égalité femmes-hommes ” conforme aux recommandations du plan d'action sur l'égalité des genres de l'Union européenne, soit en pourcentage des volumes annuels d'engagements de l'aide publique au développement bilatérale programmable française : 85 % comme objectif principal ou significatif et 20 % comme objectif principal ».
L'AFD, de son côté, s'est dotée d'un réseau de 70 « référents égalité ». Son contrat d'objectifs et de moyens lui fixe une cible de 55 % pour la part de ses projets à l'étranger qui doivent avoir un objectif de promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes marqués « CAD 1 » ou « CAD 2 », c'est-à-dire ayant cette égalité comme objectif principal ou significatif. L'AFD se définit désormais comme une agence féministe. Elle a créé un Fonds de soutien aux organisations féministes, doté de 120 millions d'euros sur trois ans, et promeut l'émancipation des femmes à travers de multiples initiatives. Son Fonds paix et résilience Minka, par exemple, comporte des objectifs en matière d'égalité femmes-hommes concernant les populations en sortie de crise.
Le ministère des affaires étrangères soutient lui-même directement, de multiples manières, la promotion de l'égalité femmes-hommes. Je pense notamment au soutien apporté au fonds du docteur Mukwege et à l'initiative AFAWA (Initiative pour favoriser l'accès des femmes au financement en Afrique) en faveur de l'entrepreneuriat féminin, dont l'idée première est de considérer les femmes comme des actrices de développement à part entière et de les accompagner dans la réalisation de leurs projets. La France apporte également son soutien à ONU Femmes, une agence des Nations unies assez récente, puisqu'elle a été créée en juillet 2010, et encore trop méconnue mais particulièrement active. J'ai pu m'entretenir avec plusieurs de ses représentants. La France a déjà fortement augmenté sa contribution à ONU Femmes : cet effort financier mérite d'être prolongé et de se doubler d'un investissement politique et diplomatique afin que notre pays fasse entendre sa voix au sein de cette agence pleine d'avenir.
J'insiste aussi dans mon rapport sur la réussite que constitue le Fonds français Muskoka, qui agit avec efficacité depuis 2010 pour la santé et le bien-être de la femme et de l'enfant en Afrique de l'Ouest et centrale. Géré par le ministère des affaires étrangères, en lien avec l'OMS et plusieurs agences onusiennes, ce fonds accomplit un remarquable travail sur le terrain – j'ai pu le constater au Niger et au Togo. Il intervient aujourd'hui dans neuf pays mais pourrait encore élargir son champ d'action.
Les droits des femmes ont trouvé leur place au sein de notre APD. Néanmoins, les défis qui restent à relever sont immenses, d'autant que les crises actuelles tendent à fragiliser les acquis.
Tout d'abord, la crise de la covid-19 a entraîné de forts reculs sur le front de l'égalité femmes-hommes. Premières victimes des conséquences de la pandémie, les femmes sont dans le même temps aux avant-postes de la réponse à la crise sanitaire puisqu'elles représentent plus de 70 % du personnel soignant dans le monde, ici comme au Sud. Les femmes sont particulièrement touchées par la crise des secteurs du tourisme, de la restauration et des services, où elles sont fortement employées. Nombreuses aussi à travailler dans le secteur informel, et donc dépourvues de toute assurance sociale, beaucoup de femmes se trouvent aujourd'hui démunies. Par ailleurs, les filles pâtissent tout particulièrement de la fermeture des écoles. Lorsque ces dernières rouvrent après les confinements, de nombreuses jeunes filles n'y retournent pas, car elles ont été mises à contribution pour travailler et subvenir aux besoins de leur famille. On estime ainsi que plus de cinq millions de filles risquent de ne plus retourner à l'école.
Les zones dans lesquelles les défis en matière d'égalité femmes-hommes sont les plus aigus demeurent situées en Afrique de l'Ouest et centrale, en particulier dans le Sahel et les pays en situation de conflit. Le mariage forcé, les mutilations génitales ou encore l'absence d'enregistrement de la naissance des filles y sont encore des réalités répandues. On assiste incontestablement depuis quelques années, dans certaines zones, à une forme de retour aux traditions, parfois sous l'influence de pays étrangers.
Par ailleurs, les femmes sont des actrices incontournables du développement, et il convient de multiplier les actions et les projets visant à les accompagner sur la voie de l'émancipation économique.
Dans ce contexte, je crois que la France peut faire encore davantage et mieux, en collaboration avec ses partenaires étrangers et en lien avec les grandes organisations internationales.
S'agissant des projets en faveur du genre, nous pouvons progresser concernant les projets marqués CAD 2, c'est-à-dire ayant l'égalité femmes-hommes comme objectif principal. Nous devrons y veiller particulièrement dans le prochain contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD, pour la période 2023-2025.
En outre, un renforcement du caractère féministe de notre aide au développement pourrait passer par la nomination d'un ambassadeur, ou d'une ambassadrice, thématique en charge de l'égalité femmes-hommes. Il me paraît surprenant, alors que notre diplomatie se déclare officiellement féministe depuis plusieurs années, que nous ayons des ambassadeurs pour le sport, la science, la santé ou le numérique, mais pas pour l'égalité entre les femmes et les hommes. La nomination d'un tel ambassadeur serait déterminante pour porter la voix de la France en la matière dans les grandes enceintes internationales, pour veiller à la mise en œuvre des engagements adoptés dans le cadre de rencontres telles que le Forum Génération Égalité et pour rappeler que les femmes ne doivent pas être vues seulement comme des victimes d'injustices à réparer mais aussi comme des acteurs essentiels du développement.
Je recommande aussi que le représentant d'ONU Femmes, lorsqu'il en existe un dans le pays concerné, soit systématiquement convié aux réunions du conseil local du développement organisées par l'ambassadeur.
Le manque de moyens en personnel de nos ambassades a des conséquences dommageables sur cet outil précieux qu'est le Fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI), qui est majoritairement mis en œuvre par les postes diplomatiques. Ce fonds est très utile pour soutenir les initiatives en faveur de l'autonomisation des femmes, en complément de l'action de l'AFD. Malheureusement, l'élaboration, la mise en œuvre et le suivi des projets nécessitent des moyens humains qui ne sont pas toujours au rendez-vous.
Des efforts doivent aussi être accomplis pour améliorer la redevabilité de l'APD française en matière d'égalité femmes-hommes. À cet égard, il pourrait être utile que la commission d'évaluation de l'aide publique au développement qui est prévue par la loi du 4 août dernier se penche sur l'efficacité de notre APD dans ce domaine. Je rappelle que cette commission peut être saisie de demandes d'évaluation par le président de l'Assemblée nationale et par le président du Sénat, qu'elle doit adresser l'ensemble de ses rapports d'évaluation au Parlement et qu'elle est chargée de remettre à ce dernier, une fois par an, un rapport faisant état de ses travaux, conclusions et recommandations.
J'ajoute que mon avis budgétaire contient d'autres propositions visant à placer plus que jamais l'égalité entre les femmes et les hommes au cœur de notre politique d'aide publique au développement. Les progrès déjà accomplis pourront ainsi être consolidés.
Les crédits prévus pour l'APD dans le présent projet de loi de finances me paraissent aller dans ce sens. C'est pourquoi je vous invite à émettre un avis favorable à leur adoption.