Concernant la convention d'Istanbul, les droits des femmes font partie, avec l'égalité professionnelle, des priorités définies par la présidence française dans le volet social, notamment la lutte contre les violences. Un certain nombre d'événements sont prévus, particulièrement autour du 8 mars. Nous soutiendrons, avec Élisabeth Moreno, le pacte Simone Veil, pour lequel la Commission s'engagera dès la semaine prochaine, je l'espère. L'ambition est de s'inspirer des meilleures pratiques des différents États membres en matière de lutte contre les violences dans les législations et recommandations européennes. La convention d'Istanbul, qui relève du Conseil de l'Europe, constitue un acte majeur. Nous connaissons les difficultés, voire les reculs entraînés il y a quelques mois par la position turque. Cinq États membres n'ont toujours pas signé ou ratifié cette convention. Une récente décision de la Cour de Justice de l'Union européenne semble cependant ouvrir la voie à une adhésion de l'Union européenne en tant que partie directe, quand bien même tous les États membres ne l'auraient pas ratifiée. Sa portée serait surtout symbolique, mais il s'agirait d'un geste fort. Avant le début de la présidence française, j'ai également écrit, avec Élisabeth Moreno, à tous les États membres qui n'avaient toujours pas signé ou ratifié la convention pour leur demander d'avancer en ce sens. J'ai notamment bon espoir que le nouveau gouvernement de la République tchèque puisse franchir le pas.
La question culturelle est très importante. Je ne voudrais pas être trop long et je vous renvoie à la liste d'événements que nous avons publiée avec Roselyne Bachelot. Nous proposerons des programmes originaux, rassemblant par exemple 800 jeunes créateurs de toutes les disciplines artistiques à Paris en février. Nous publierons également un ouvrage collectif de vingt-sept auteurs racontant leur Europe. Vous avez fait référence à Georges Steiner et à son éloge des cafés. J'espère que les travaux de ces grands noms de la littérature et de l'art contemporain contribueront à notre réflexion sur la culture européenne.
Le Conseil de l'Europe a lancé, à l'initiative notamment d'Alain Lamassoure, l'Observatoire de l'enseignement de l'histoire, qui a vocation à identifier les manques en matière de transmission de l'histoire. Dans certains pays, celle-ci n'existe plus du tout. Il est donc très important que l'Europe ait une politique éducative et culturelle. Les programmes d'échanges et de mobilité en font également partie.
S'agissant de la méthode de rassemblement des partenaires et de leurs attentes, je ne voudrais pas faire montre d'une excessive arrogance en m'exprimant à leur place, mais je pense néanmoins que les attentes sont grandes. Je suis parfois surpris que nous soyons nous-mêmes très angoissés quant à notre capacité à faire des propositions ou à défendre notre identité en Europe. Nombre de nos idées gagnent du terrain, on le voit lorsqu'on s'y déplace. Pour la première fois depuis longtemps, la presse allemande insiste sur l'attitude extrêmement offensive la France, et pas seulement dans le débat nucléaire. Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières est aussi un combat idéologique que la France mène depuis de nombreuses années, au travers de plusieurs partis politiques. Nous avons beaucoup travaillé notre capacité à rallier. Je l'ai fait en me déplaçant dans tous les pays de l'Union européenne depuis dix-huit mois et en participant à de nombreux événements. Cela contribue à créer des attentes mais aussi, je l'espère, des soutiens.
Les PIIEC, par exemple ceux qui touchent à l'hydrogène, aux batteries électriques ou aux microprocesseurs, sont très structurants et constituent en fait des filières industrielles, qui peuvent recevoir des soutiens financiers publics sans que ceux-ci soient qualifiés d'aides d'État. Pour cela, ils doivent rassembler des acteurs publics et privés de différentes nationalités. Nous l'avons fait avec succès pour les batteries électriques, en réunissant des constructeurs français et allemands – une usine Stellantis fonctionne en France. Plusieurs PIIEC avanceront dans les semaines qui viennent, dont au moins un, relatif à l'hydrogène, démarrera sous la présidence française. Nous aurons aussi à cœur de lancer celui consacré à la santé. La crise sanitaire a montré qu'il s'agissait d'une faiblesse de l'Europe par rapport aux Américains. Il nous manque une agence de financement de l'innovation et une industrie pharmaceutique suffisamment forte. Même si les vaccins actuellement sur le marché sont en majorité européens, nous avons besoin d'une filière industrielle structurée en matière de santé.
Je partage entièrement l'idée d'une DARPA européenne, étant toutefois entendu que l'objectif n'est pas de copier strictement nos amis américains, mais de s'inspirer de ce qu'ils réussissent bien. Dans le système américain, les innovations sont très liées aux dépenses de défense – c'est le D de DARPA. C'est un fait, nos dépenses de défense sont plus faibles, tout comme notre unité dans ce domaine. Nous ne pouvons donc pas avoir la même approche. En revanche, nous pouvons promouvoir une agence d'innovation de rupture. Le modèle de la DARPA permet de mobiliser rapidement beaucoup d'argent sur des projets très risqués, quitte à accepter les pertes qui pourraient résulter de leur échec. Le Conseil européen de l'innovation, que nous avons beaucoup défendu, constitue un embryon de DARPA européenne. Il fonctionne selon ces principes mais avec des financements plus limités. Il faut donc l'encourager. Avec les PIIEC, il fera partie des sujets de discussion lors du sommet des 10 et 11 mars.
Deux autres initiatives peuvent également ressembler à la DARPA : le Fonds européen de défense, qui mobilisera 1 milliard d'euros de financements par an, notamment pour des projets de recherche ; dans le domaine de la santé, l'agence HERA, inspirée de la BARDA américaine qui a financé l'innovation sur le vaccin de manière très efficace. Nous avons besoin d'un tel outil au niveau européen, et j'espère que nous pourrons finaliser la négociation au cours de la présidence française.
En ce qui concerne le nucléaire, le débat n'est pas terminé mais nous avons marqué des points importants au cours des dernières semaines. Le projet proposé par la Commission européenne en matière de taxonomie, qui liste les investissements labellisés en faveur de la transition écologique, va dans la bonne direction. Le nucléaire est désormais reconnu comme une énergie qui contribue à la transition écologique. Contrairement à ce qui a pu être dit, il n'est pas qualifié « d'énergie de transition », comme l'est explicitement le gaz. On ne peut pas définir un horizon pour l'arrêt du nucléaire. Pour être très précis, le document de la Commission fixe deux dates : 2040 pour les projets existants qui pourraient être renouvelés et 2045 pour les nouveaux projets industriels. Il ne s'agit pas de finaliser les projets, qui pourront ensuite se déployer bien au-delà de ces échéances, mais de délivrer les autorisations. Si ces dispositions ne sont pas parfaites, elles sécurisent, pour les pays qui le souhaitent, dont la France, le recours au nucléaire.
La question des ressources propres est encore un combat. Nous avons gagné celui de la dette commune pour répondre aux conséquences économiques de la crise sanitaire. Il faut maintenant mettre en face les ressources. Un engagement politique a été pris à l'unanimité des Vingt-sept et soutenu par le Parlement européen, ce dont nous pouvons nous réjouir. La liste des ressources doit maintenant être discutée et actée.
Une première proposition de la Commission porte sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et sur l'accord international de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) sur la taxation des multinationales. Celui-ci a été un combat européen et très largement français. J'espère que nous pourrons transposer ce texte le plus rapidement possible, pendant la présidence française. Ces ressources pourraient être affectées en tout ou partie au budget européen. D'autres propositions sont à suivre. Certaines sont déjà sur la table, comme les ETS. Ces permis carbone pourraient représenter des ressources de plusieurs milliards d'euros par an. D'autres débats auront également lieu d'ici à 2026, avant la fin de la programmation budgétaire, notamment sur la taxe relative aux transactions financières – un débat européen compliqué, vous le savez.
La création de ces ressources me semble réunir une majorité d'États européens, même si des coalitions variables pourraient se former selon les sujets. Il sera plus compliqué de savoir si ces ressources viendront alimenter en tout ou partie, et dans quelle mesure, le budget européen ou les budgets nationaux. Pour des pays contributeurs nets, comme la France, l'Allemagne ou les Pays-Bas, cette question a un côté un peu circulaire : pour rembourser notre plan de relance, l'important est de créer de nouvelles ressources sans pénaliser les contribuables européens – c'est la ligne rouge que nous avons fixée. Dès lors que de nouvelles ressources existent, qu'elles passent par le budget national pour être versées au budget européen ou qu'elles lui soient directement affectées sont des solutions assez proches. Les clefs de répartition sont certes importantes, mais la création de la ressource l'est plus encore. Il est plus facile de trouver à celle-ci un usage dans l'abondance que dans la rareté. Il s'agira donc de notre premier combat et je suis optimiste quant à l'adoption des premières ressources dès cette année.
Je ne reviens pas sur l'inversion du calendrier des présidences. Nombre de pays exercent leur présidence, même quand ils ont des élections. La République tchèque l'a fait, de même que la France, en 1995, sous les présidents Mitterrand puis Chirac. Je crois que l'exception est plutôt l'inverse. C'est arrivé une fois, avec l'Allemagne. Cela n'empêche en rien la démocratie de fonctionner. Ce scénario n'a certes pas ma préférence, mais l'alternance politique est évidemment possible. Je crois d'ailleurs que plusieurs partis politiques ont leur projet pour la présidence française si celle-ci se poursuivait sous une autre direction. C'est la démocratie, et nous respectons les règles démocratiques.
Nous respecterons également la période de réserve. Vous aurez noté qu'aucune réunion ministérielle n'est prévue en France à partir de la mi-mars et jusqu'à la fin de l'élection présidentielle. Ensuite, il restera deux mois de présidence, deux mois d'action que j'espère utile pour ceux qui exerceront les responsabilités. Nous nous y préparons en tant que Gouvernement et je crois que d'autres s'y préparent également, si nous devions connaître une alternance politique. La situation n'est certes pas très confortable, puisqu'il faut combiner ces exigences, mais je ne saurais pas expliquer que nous nous écartions des responsabilités et que nous repoussions de six mois des projets qui pourraient aboutir – taxe carbone aux frontières, Schengen, défense, sécurité… Beaucoup de décisions, sinon toutes, se préparent très en amont. La présidence est un accélérateur, elle ne constitue pas un point de départ. J'ai essayé de réunir de manière transpartisane l'ensemble des groupes représentés à l'Assemblée et au Sénat pour discuter de tous ces sujets.
S'agissant de la défense et la sécurité, j'ai évoqué la boussole stratégique, mais nous pouvons également progresser dans le domaine de l'industrie de défense, en particulier dans le financement et la structuration de grands projets. Nous en avons deux actuellement à l'échelle franco-allemande : l'avion du futur et le char du futur. Nous aborderons ces sujets lors du sommet des 10 et 11 mars.
La question des relations entre l'Union européenne et l'Union africaine est la plus urgente dans le calendrier. L'influence, pas toujours bienveillante, de grandes puissances comme la Chine, la Russie, la Turquie et quelques autres est un de nos grands sujets de préoccupation en Afrique. Elle renforce la nécessité d'un partenariat économique et sanitaire : pour la production industrielle de vaccins, pour l'accompagnement de la transition écologique à travers nos bailleurs – Banque européenne d'investissement ou autres agences de développement. Les Européens se doivent d'être présents. Nous ferions une erreur stratégique en limitant notre relation avec l'Afrique à une approche défensive sur le sujet migratoire ou à des missions permettant d'assurer la sécurité, ce que fait la France à juste raison. Nous ne pouvons pas assumer les missions les plus difficiles et ne pas bénéficier des opportunités de croissance et d'investissement qu'offre l'Afrique. Souvent, les pays africains, les collectivités ou les entreprises privées se rendent compte que les financements « magiques » apportés par des puissances comme la Chine ou quelques autres sont des pièges. Les Européens ont à faire valoir un modèle de soutien, d'aide au développement et de financement public ou privé. Celui-ci est essentiel.
Concernant le CBD, il n'y a pas de contradiction avec les règles européennes. Nous veillons, particulièrement en ces temps de présidence, à rester dans le respect de ces règles. En même temps, les règles de sécurité, de protection des consommateurs et de lutte contre les potentiels trafics doivent être appliquées en France avec la plus grande vigilance. Sous la présidence française, nous travaillerons à la révision du mandat de l'Observatoire des drogues et des toxicomanies pour assurer cette complète conformité.
Je partage le constat de M. Nadot s'agissant de la dignité et de la pauvreté en Europe, mais il n'y a pas une réponse magique, d'autant que, même si ce n'est pas une excuse, l'Union européenne n'est pas compétente dans tous les domaines de lutte contre la pauvreté. Nous avons cependant progressé dans certains d'entre eux. Un quart des repas servis en France au titre de l'aide alimentaire vient du programme européen d'assistance aux plus démunis. Cette aide indispensable a été renforcée dans la programmation budgétaire actuelle. La lutte contre le dumping social, à travers les textes relatifs aux travailleurs détachés ou au salaire minimum, est aussi une façon de lutter contre l'indignité au travail et les destructions d'emplois. Les colloques peuvent apparaître comme une réponse déplacée face à des problèmes aussi graves, mais ils permettent de promouvoir les bonnes pratiques qui existent, par exemple en matière de sans-abrisme. Dans le courant du mois de février, sous l'égide d'Emmanuelle Wargon, nous aurons des échanges entre États membres à ce sujet.
Formation et mobilité ne sont pas des gadgets pour jeunes privilégiés. Elles peuvent être un moyen d'éviter le décrochage. La Commission a ainsi défendu le programme ALMA, qui est une forme d'Erasmus pour les décrocheurs.
Je ne l'ai pas abordée dans mon propos liminaire mais la question du devoir de vigilance est importante. Ce texte fondamental a pris un peu de retard dans le calendrier européen, ce que je regrette. Il devrait faire l'objet d'une proposition législative à la mi-février. Je salue d'ailleurs le travail du député Dominique Potier, il y a quelques années, qui avait débouché sur la loi relative au devoir de vigilance en France. À l'époque, ce dispositif avait suscité de l'inquiétude mais, aujourd'hui, il fonctionne et les entreprises se le sont approprié. Au niveau européen, le débat s'est développé dans d'autres pays, l'Allemagne s'est dotée d'un outil un peu différent mais avec les mêmes objectifs. D'autres axes sont parfois privilégiés, comme la lutte contre le travail forcé au sujet duquel la Commission européenne a aussi annoncé un texte.
Nous ne finirons peut-être pas la discussion de ces textes sous la présidence française, mais j'espère que nous l'accélérerons. La question des seuils d'entreprise n'est pas encore précisée, non plus que les modalités de contrôle et de sanction. Dans ces domaines, nous devrons avoir un dispositif pragmatique mais très efficace, notamment avec des amendes administratives rapides. Il est important de défendre l'idée d'une forme de capitalisme responsable à l'européenne. Ma collègue Olivia Grégoire travaille également sur les normes extrafinancières. Tous ces textes permettront de définir efficacement un standard européen dans les prochains mois.
Un sommet des ministres chargés de l'espace, de l'Agence spatiale européenne ou de l'Union européenne – le format est encore en discussion – se tiendra à Toulouse au mois de février. Un travail parlementaire est également en cours. L'objectif est de présenter de nouveaux projets européens à cette occasion. Le commissaire Breton proposera prochainement un projet de constellation pour reprendre le leadership en matière spatiale. La Chine n'en a pas encore mais les États-Unis en disposent déjà en orbite basse. Nous ne pouvons pas rester à l'écart de ce mouvement. Tous les experts s'accordent à dire qu'il s'agit de l'avenir du système satellitaire et des connexions. L'espace est un domaine dans lequel nous avons un peu reculé, notamment sur les lanceurs, mais en tant qu'Européens, nous restons cependant les meilleurs mondiaux dans certains segments de marché. Il ne faut pas perdre cette excellence. J'espère que nous acterons le projet de constellation sous présidence française.
En ce qui concerne les lanceurs, nous devons restructurer notre industrie. Nous avons connu des compétitions stériles entre acteurs industriels européens, certains ayant parfois préféré faire cavalier seul. Bruno Le Maire s'attache à cette restructuration avec son homologue allemand. L'objectif est de mettre fin à ces compétitions qui nous affaiblissent face aux grands lanceurs privés américains. J'ai bon espoir que ces accords industriels seront actés au mois de février.
Dans le domaine de la gestion du trafic spatial, l'Europe est en pointe. Le commissaire Breton précisera dans les prochaines semaines quels projets concernent ce domaine ainsi que ceux liés au traitement des débris et au principe de l'accès libre à l'espace, que nous défendons en tant qu'Européens. Le programme spatial européen représente un total de 15 milliards d'euros sur la période 2021-2027. Nous avons significativement augmenté cette enveloppe.