Intervention de Clément Beaune

Réunion du mercredi 12 janvier 2022 à 14h30
Commission des affaires étrangères

Clément Beaune, secrétaire d'État :

Madame Lenne, s'agissant des relations entre l'Union européenne et la Suisse, il appartient à cette dernière, après l'échec de l'accord-cadre, d'exprimer ses souhaits. Les négociations ont duré plusieurs années et chaque partie a fait preuve de bonne foi mais, pour des raisons de politique intérieure, alors que les négociations allaient aboutir, le Conseil fédéral suisse a souhaité y mettre fin. Nous ne pouvons pas reprendre les discussions sans quelques garanties. Nous ne demandons pas l'assurance d'une réussite complète mais qu'il y ait un minimum de volonté politique d'aboutir à la signature d'un accord transversal qui complète, voire remplace, les accords bilatéraux actuels. Je ne formule aucun reproche mais les autorités suisses doivent clarifier leur position, notamment pour ce qui concerne la libre circulation ou la protection de certaines professions réglementées.

Pour ce qui est des entreprises de travaux agricoles françaises pénalisées par l'arrêt du tribunal suisse de janvier 2021, j'étudie le dossier avec mon collègue Olivier Dussopt, au ministère des finances. J'ai bien compris vos inquiétudes, mais nous prendrons les mesures nécessaires si le problème perdurait.

Madame Clapot, la France aura le souci de faire avancer le devoir de vigilance. Ce sera l'une de ses priorités et je rends hommage au travail de Dominique Potier, qui a été un précurseur en la matière. Nos concitoyens y tiennent et plusieurs pays européens ont légiféré en ce domaine. Cependant, nous devons adopter un cadre réaliste et ne pas imposer à des entreprises de taille intermédiaire ou à des petites et moyennes entreprises des obligations disproportionnées. Dès que la législation européenne sera sur la table, nous engagerons les négociations en espérant profiter de cette présidence pour avancer au mieux.

Concernant l'engagement britannique dans les Balkans occidentaux, l'honnêteté m'oblige à reconnaître qu'il n'est pas nouveau. Les Britanniques participaient au Processus de Berlin. Sans perfidie, j'ajoute que le Royaume-Uni ne s'est jamais autant intéressé à l'Union européenne et à son voisinage que depuis qu'il l'a quittée. Tant mieux mais nous ne laisserons place à aucune interférence. De toute manière, M. Johnson a d'autres préoccupations en ce moment. L'initiative appartient d'abord à l'Union européenne, et tout particulièrement à la France, non seulement parce qu'elle assurera la présidence de l'Union mais aussi parce qu'elle est engagée, aux côtés de l'Allemagne, dans plusieurs dialogues délicats – entre la Serbie et le Kosovo, par exemple – pour dénouer des conflits régionaux. Les États-Unis sont également impliqués mais nous devons reprendre la main, ne serait-ce qu'au niveau du financement des investissements, pas tant à l'égard des Britanniques ou des Américains que de puissances autrement plus agressives, comme la Russie, la Chine ou la Turquie. Ces dernières, à grands renforts d'investissements, mettent en avant les infrastructures, parfois à des prix exorbitants, comme en témoigne un projet d'autoroute au Monténégro. Alors que les Européens restent les premiers financeurs et les premiers investisseurs, ils n'en retirent pas les bénéfices qu'ils pourraient espérer en termes de relations politiques. C'est un bon exemple géopolitique de réinvestissement européen et de valorisation des efforts. Prenons les vaccins. Nous avons parfois tardé à aider nos partenaires des Balkans les plus proches, mais nous sommes le pays de l'Union européenne qui envoie le plus de matériel médical, loin devant la Chine ou la Russie. Malheureusement, nous sommes moins visibles et c'est pourquoi nous devrons redoubler d'efforts pour mieux communiquer.

Monsieur Girardin, les entraves à la liberté de la presse seront également l'une des préoccupations de la présidence française et la Commission présentera, en 2022, une proposition de législation sur la liberté des médias. Il est notamment prévu un cadre partagé de sanctions en cas d'atteinte à la liberté de la presse. Les lois bâillon qui ont pu être adoptées à Malte ou en Slovaquie seraient concernées. Dans d'autres pays, en Hongrie par exemple, ce sont des politiques gouvernementales qui ont bridé la liberté de la presse. C'est l'un des sujets que le Président de la République avait visés lors de sa conférence de presse du 9 décembre dernier, lorsqu'il avait évoqué la création d'un fonds de soutien européen au journalisme. Des financements européens permettent de soutenir le journalisme indépendant et d'investigation mais nous pouvons les renforcer. La présidence française s'y attachera. Parallèlement, nous continuerons à soutenir diplomatiquement, dans un cadre bilatéral, les initiatives qui en ont besoin. Je me suis rendu dernièrement à Malte pour encourager le collectif qui a repris les enquêtes de la journaliste assassinée, Daphné Caruana Galizia. C'est ainsi que nous renforcerons la lutte contre les atteintes, d'origine privées ou publiques, à la liberté de la presse.

Monsieur Dumont, concernant le pacte européen sur la migration et l'asile, nous ne reculons nullement puisqu'il n'existe pas de politique européenne d'asile et de migration. La France n'est pas à l'origine de ce blocage mais, plutôt que de chercher des responsabilités, essayons de dénouer la situation en adoptant une approche graduelle. C'est ce que propose Gérald Darmanin, par l'intermédiaire de mécanismes d'enregistrement pour assurer une protection commune de nos frontières. Ces dispositifs manquent à des pays de première entrée, comme l'Italie ou l'Espagne. Les personnes qui entrent dans ces pays pour rejoindre la France et, éventuellement, le Royaume-Uni, ne sont pas enregistrées. Il serait donc intéressant de disposer de ces informations pour renforcer la protection des frontières et réformer Schengen, dont le pilotage politique est inexistant pour l'heure.

Parallèlement, et non à la place, nous accélérons le traitement des demandes d'asile en France. Les mesures que nous prenons dans notre pays ne nous dispensent pas de poursuivre les négociations européennes. C'est pourquoi nous maintenons nos efforts pour faire avancer le pacte européen, la réforme de Schengen et le renforcement de l'agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, Frontex, qui souffre de lenteurs bureaucratiques. Nous ne pourrons pas mener une politique efficace en France ou ailleurs en Europe sans mener une action commune. La Pologne, que l'on ne saurait soupçonner de fédéralisme forcené à l'endroit de l'Union européenne, reconnaît elle-même qu'elle a été sauvée par une action européenne. Si les vols n'avaient pas été suspendus vers la Biélorussie, la Pologne subirait encore des milliers d'arrivées par jour.

Concernant le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, le MACF, la France ne vient pas de découvrir les secteurs concernés puisque ce sont ceux qu'elle avait soutenus ! La Commission a même élargi la liste et ce sont aujourd'hui six secteurs qui sont couverts par ce mécanisme. Les recettes sont encore difficiles à évaluer mais le plus important est d'appliquer très rapidement le dispositif. L'Allemagne y était hostile jusqu'à présent mais nous avons réussi, en négociant avec les partenaires désormais au Gouvernement, à la faire changer d'avis. Nous espérons que le mécanisme commencera à s'appliquer à ces six secteurs sous la présidence française et s'élargira ensuite, ce qui permettra d'augmenter les recettes. Ce mécanisme permet également de ne pas faire porter la charge de nos politiques publiques aux contribuables européens. C'est gagnant-gagnant.

S'agissant du duty free, nous y avons travaillé ensemble, bien avant les élections régionales. En quelques mois, nous avons bien avancé mais il reste à sécuriser le dispositif en révisant le texte. Ce sera l'une des priorités de la présidence française de l'Union européenne.

Madame Tanguy, nous soutiendrons toute initiative qui favoriserait les échanges entre les parlements.

Madame Le Peih, le devenir des recettes du mécanisme d'ajustement carbone frontières se réglera en deux étapes. Des négociations devraient être engagées rapidement pour créer le mécanisme et, éventuellement, l'étendre dans le temps. Il conviendra ensuite d'en affecter les recettes au budget européen pour financer, en particulier, la transition écologique ou le plan de relance, voire les deux. Je préfère parler de taxe carbone aux frontières, plus évocatrice que MACF, pour expliquer que les concurrents étrangers de nos industries automobile ou sidérurgique, très exposées à la concurrence internationale, seront soumis aux mêmes règles.

Madame Pouzyreff, je me rends tout à l'heure à Berlin pour tenter de rapprocher les positions autour du MACF ou, dans le domaine du numérique, du Digital Services Act (DSA) et du Digital Markets Act (DMA). Nous avons progressé même si beaucoup reste à faire, notamment pour ce qui concerne les règles budgétaires. L'Assemblée parlementaire franco-allemande peut nous permettre d'avancer.

Monsieur Julien-Laferrière, le Président de la République a parfaitement résumé la situation en déclarant que le bien public mondial était notre objectif. Il faudra revoir le droit de la propriété intellectuelle si cela est nécessaire. Ce n'était pas l'enjeu principal il y a encore quelques mois, c'est vrai. Les Américains ont réussi leur opération de communication à l'époque en se déclarant favorables à la levée des brevets sur les vaccins alors même que le vrai problème était celui des restrictions à l'export. De notre côté, au contraire, nous n'avons jamais interdit d'exporter des vaccins en Afrique. Nous devons, aujourd'hui, régler le problème que pose le droit de la propriété intellectuelle sans pour autant briser le dispositif des brevets qui a permis à certaines start-up, comme BioNTech, de rémunérer l'innovation. Certes, les recettes étaient très confortables mais c'est un autre problème, que l'on peut résoudre par l'impôt. En tout cas, il suffirait sans doute d'accorder les dérogations nécessaires et c'est ce que nous défendrons dans les prochaines semaines. Je m'en suis entretenu récemment avec des organisations non gouvernementales, comme Oxfam. Nous attendons, du reste, que les États-Unis formulent enfin une proposition. J'espère que nous y parviendrons rapidement. Au sommet de l'Union européenne et de l'Union africaine qui se tiendra mi-février, se posera la question de l'accès effectif aux brevets. Le président sénégalais déclarait que la moitié des doses livrées en Afrique étaient perdues en raison de la persistance de fortes réticences et de la difficulté d'acheminer les produits. Des financements européens, sous forme de programmes, pourraient être mobilisés en ce sens.

Monsieur Mbaye, je sais que vous présenterez bientôt une proposition de résolution au sujet de la propriété intellectuelle. Concernant l'environnement, nous espérons faire aboutir, sous la présidence française, la proposition de la Commission européenne sur la déforestation importée. C'est une forme de devoir de vigilance : avant de mettre un produit sur le marché, chaque entreprise devra garantir qu'il ne provient pas d'un territoire déforesté. Une liste de produits sera dressée – soja, viande de bœuf, etc. Ces règles seront assorties de sanctions.

Par ailleurs, un premier sommet mondial de l'océan se tiendra prochainement. Il nous offrira l'occasion de renforcer les engagements européens et internationaux dans ce domaine.

Monsieur Belhaddad, nous essayons de résoudre, de façon bilatérale, les problèmes que pose le travail transfrontalier. Les accords concernant les travailleurs frontaliers et transfrontaliers ont été prolongés pour prendre en considération la situation sanitaire. C'est un sujet que la France traite directement avec les États voisins, indépendamment de la présidence française. Nous devrons éviter que ces 350 000 travailleurs ne subissent de nouvelles restrictions de circulation – nous y sommes parvenus durant cette vague. Surtout, nous devrons harmoniser les régimes, qui diffèrent selon que le travailleur frontalier exerce en Suisse ou au Luxembourg.

Enfin, nous souhaiterions bâtir un modèle européen du sport. Tout ne relève pas d'une législation européenne mais il conviendrait de partager au moins certains principes : financement du sport amateur, notamment par le sport professionnel, lutte contre le dopage. Nous essaierons d'avancer lors du conseil des ministres européens du sport.

Monsieur Kokouendo, concernant la résolution des conflits, chaque sujet est singulier. Ainsi, celui du Sahel sera abordé, dès cette semaine, à chaque réunion des ministres des affaires étrangères, même si ce n'est pas, à proprement parler, une initiative de la présidence française.

La grande muraille verte, en revanche, fait partie des initiatives pour lesquelles nous voulons mobiliser nos partenaires et des financements, lors du sommet entre l'Union européenne et l'Union africaine.

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