J'ai écouté avec beaucoup d'attention les analyses de la rapporteure et de chacun d'entre vous, et certaines choses se dessinent assez clairement.
Tout d'abord, il faudra, bien entendu, procéder au vote sur l'approbation de cette convention, qui fait l'objet d'un accord général.
Ensuite, la situation est profondément insatisfaisante puisque la mise en œuvre des quatre conditions posées par la loi de 2010 aboutit en pratique à soustraire les criminels contre l'humanité à toute sanction par les tribunaux français. Nous ne pouvons pas nous en accommoder.
Comment réagir ?
Il y a une question de fond et une de forme, ainsi qu'une question annexe qui est la suivante : si l'on modifiait la loi de 2010, cela aurait-il un effet rétroactif ? Un Syrien pourrait-il alors être poursuivi pour des crimes contre l'humanité commis il y a dix ans ? Je crois que oui et c'est aussi l'avis de Michel Duclos, ancien ambassadeur de France en Syrie, avec qui j'en ai discuté. Le crime – en l'espèce imprescriptible – ou la sanction applicable ne seraient pas modifiés. Il s'agirait simplement d'une modification procédurale portant sur les modalités de poursuite et la juridiction compétente. Il faut y faire allusion, mais cela n'est pas le plus important.
Sur le fond, l'intervention de M. Lecoq est très éclairante. Il a montré que les quatre conditions sont autant d'obstacles, dont aucun n'est négligeable. J'avais aussi tiqué à la lecture du critère de résidence habituelle, qui est très troublant et flou. Quelqu'un qui se trouve sur le territoire français devrait pouvoir être déféré devant une juridiction française. Il est donc très logique de remettre en question les quatre critères posés par la loi du 9 août 2010.
Cela étant, d'autres considérations doivent être prises en compte. Tout d'abord, l'avis de la commission des affaires étrangères n'avait pas été suivi lors de la discussion du projet de loi. Les résistances étaient sans doute très fortes. Or l'absurdité de la condition de double incrimination est criante. Dans le cas d'espèce, elle interdit toute poursuite puisque la législation syrienne ne prévoit pas le crime contre l'humanité. C'est inacceptable, car notre capacité d'action est laissée à la discrétion du tortionnaire, M. Bachar el-Assad. C'est sur cette condition qui bloque le plus les poursuites contre les bourreaux et les commanditaires que nous devons insister, car nous serons les plus convaincants.
À l'inverse, l'État répugnera probablement à remettre en cause la clause selon laquelle les poursuites doivent être exercées à la seule requête du ministère public français, la constitution de partie civile ne pouvant les déclencher. L'État veut garder la main, car il ne souhaite pas que la politique d'accueil sur son territoire dépende d'un autre que lui. Gardant la main, il dispose également d'un moyen de pression – de chantage – sur ces États, en l'espèce l'État syrien.
Quand on plaide pour la justice, on ne peut qu'être réservé mais l'État français, tel qu'il est constitué depuis Philippe le Bel, est soucieux de maintenir ce type de relations. En conséquence, si nous proposons une remise en cause globale des quatre critères – proposition très logique de notre collègue Lecoq –, nous risquons de ne pas aboutir. Je suggère donc que nous marquions notre opposition aux quatre conditions, tout en faisant un sort particulier à la double incrimination qui aboutit, spécifiquement pour la Syrie, à un blocage, le droit syrien ne prévoyant pas de condamnation pour crime contre l'humanité.
Je plaide pour cette solution qui, vous en conviendrez, est profondément centriste !
Quelle forme pourrait prendre notre intervention ? Il pourrait s'agir d'un courrier de ma part – dont le projet serait bien évidemment transmis en amont à tous les membres de la commission – à l'attention du garde des sceaux et du ministre des affaires étrangères, avec une copie pour information à ma collègue Braun-Pivet, présidente de la commission des lois.
Cette lettre accompagnerait notre vote et rappellerait que la commission estime qu'une modification immédiate de la loi du 9 août 2010 précitée est indispensable. Nous avons de bonnes chances de l'emporter sur ce point ; je suis moins optimiste s'agissant des trois autres. Il faut tenter le compromis avec le Gouvernement, car, pour toutes les raisons que la rapporteure a rappelées, on ne peut s'accommoder du maintien du système actuel qui nous met au ban des États et en difficulté par rapport à notre partenaire allemand.
Je ne ferai pas allusion à la question de la rétroactivité, car il n'est pas utile d'agiter un chiffon que personne n'a, jusqu'à présent, vraiment agité.