Intervention de Nicolas Forissier

Réunion du mercredi 19 janvier 2022 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicolas Forissier, rapporteur :

L'avenant, signé le 6 décembre 2019 après un seul tour de négociation, modifie la convention fiscale liant nos deux pays, pour la première fois depuis sa signature en 1979, si l'on fait abstraction de quelques changements techniques très rapides et simples opérés en 2001.

Il est en effet important de donner quelques éléments de contexte concernant l'Argentine. Nous avons procédé à beaucoup d'auditions, du côté tant argentin, auprès de l'ambassade d'Argentine, que français, auprès de notre ambassadrice. Je remercie les services de leur aide dans la rédaction du rapport, un peu technique mais non dénué d'intérêt pour l'avenir des relations entre les deux pays.

Les liens qui unissent ces derniers sont particulièrement anciens. J'y suis personnellement sensible comme président du groupe d'amitié France-Argentine au sein de notre assemblée – nous avons eu beaucoup d'échanges avec nos homologues argentins ces dernières années. Les relations sont très suivies.

N'oublions pas que l'Argentine a accueilli de nombreux émigrés français – près de 250 000 – à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Aujourd'hui encore, les liens familiaux sont nombreux. Ce n'est pas pour rien que Buenos Aires a été appelée le petit Paris d'Amérique latine. On peut observer sur place les traces de ces relations. En 2014, l'Argentine a célébré avec beaucoup d'enthousiasme le cinquantième anniversaire de la visite du général de Gaulle. Plus de 700 accords universitaires lient nos deux pays, dont un accord de reconnaissance mutuelle des diplômes signé en 2015. Bref, les liens ne sont pas seulement économiques, mais aussi culturels et universitaires. De ce fait, la relation bilatérale est très positive ; je peux en témoigner.

Les convergences sont grandes en matière de politique internationale : l'Argentine soutient beaucoup nos efforts, en particulier en matière de multilatéralisme, de non-prolifération nucléaire, d'environnement, notamment depuis l'accord de Paris, ou encore de promotion des droits de l'homme et de l'égalité entre les hommes et les femmes, sujet important pour le président Fernández. Les échanges sont nombreux. Le président Macron, lorsqu'il s'est rendu en Argentine pour le G20, a tenu à faire une visite particulière au président argentin de l'époque, et nous avons reçu beaucoup de dignitaires et responsables politiques argentins.

Enfin, les deux pays entretiennent d'importantes relations économiques. Environ 220 filiales de 160 groupes français sont installées en Argentine, souvent depuis longtemps ; seuls sept ou huit groupes du CAC40 n'y sont pas physiquement représentés. Près de 68 000 salariés sont employés par ces entreprises françaises. Elles opèrent en particulier dans l'agroalimentaire, l'automobile, la production d'hydrocarbures – notamment en Terre de Feu, par Total –, la distribution – Carrefour détient près de 25 % du marché –, le tourisme et l'hôtellerie, la santé, les cosmétiques. Dans l'automobile, Peugeot et Renault ont d'importantes implantations industrielles sur place et y investissent beaucoup. Au nombre des projets réalisés ou en cours, Peugeot a investi 300 millions de dollars dans l'ouverture d'une nouvelle ligne de production et Eramet, société de production de carbonate de lithium, développe un important projet.

Certes, les investissements se sont réduits ces dernières années, en lien avec la crise économique que connaît l'Argentine, en nette récession depuis trois ans et victime de difficultés récurrentes, notamment monétaires. L'inflation était de 50 % en 2021 et l'État argentin doit renégocier avant mars prochain avec le Fonds monétaire international le refinancement et le rééchelonnement de sa dette, qui s'élève à 44 milliards de dollars prêtés en 2018 ; ce n'est pas sans conséquence sur l'évolution de l'avenant qui nous occupe. La situation sanitaire n'est pas très bonne non plus. L'Argentine a connu le plus long confinement du monde et la situation reste délicate en raison de la forte vague de contaminations, bien que la population soit largement vaccinée. En outre, la coalition au pouvoir est fragilisée.

Toutefois, la France est toujours très présente et l'Argentine demeure pour elle un partenaire important. Notre solde commercial vis‑à‑vis d'elle constitue notre trente-cinquième excédent au niveau mondial et reste le quatrième en Amérique latine. Il est donc essentiel que nous améliorions les conditions de notre relation économique. Dans la situation difficile que connaît l'Argentine, la France – je le dis comme président du groupe d'amitié – doit plus que jamais se tenir au côté de ce pays ami.

C'est dans ce contexte qu'a été renégociée la convention fiscale de 1979 définissant les moyens d'éviter toute double imposition. La France a souhaité sa modification en raison de l'évolution des législations et des structures économiques et parce que l'Argentine avait conclu des conventions fiscales plus intéressantes avec d'autres États. Il fallait donc adapter le texte, ce qui a été fait en mai 2019 après une négociation – je l'ai dit – très rapide et sans grandes difficultés au cours de laquelle les deux parties ont fait quelques concessions. Il en est résulté un accord très équilibré qui renforce, simplifie et améliore la convention.

L'accord trouvé par les deux parties est équilibré. L'avenant prévoit d'abord une diminution significative du plafond des taux de retenue prélevée par l'État source – c'est-à-dire l'Argentine – sur les revenus passifs versés à un résident de l'autre État. Il redéfinit les taux de retenue à la source sur les dividendes, les intérêts, les redevances et les gains en capital qui s'appliqueront désormais aux entreprises ou aux investisseurs qui sont en Argentine, mais dont le pays de résidence est la France. Jusqu'ici, la France bénéficiait de conditions moins avantageuses que d'autres pays ayant signé une convention avec l'Argentine.

S'agissant des dividendes, la convention de 1979 fixait un taux de retenue à la source de 15 % de leur montant brut. L'avenant prévoit de fixer ce taux à 10 % en cas de participation substantielle du bénéficiaire dans la société qui paie les dividendes, c'est-à-dire si le bénéficiaire en détient directement au moins 25 %, et à 15 % dans les autres cas. Cette disposition accroît l'attractivité fiscale de l'Argentine et laisse une plus grande marge de manœuvre au Trésor français.

En ce qui concerne les intérêts, le taux de retenue à la source est fixé à 12 % de leur montant brut, contre 20 % dans la convention de 1979.

Pour ce qui est des redevances, la convention de 1979 prévoyait un taux unique de retenue à la source, fixé à 18 % de leur montant brut. L'avenant de 2019 prévoit, à la demande de l'Argentine, trois taux différents : 3 % pour les redevances versées pour l'usage d'informations internationales, 5 % pour celles versées pour l'usage d'un droit d'auteur sur des œuvres littéraires, artistiques ou scientifiques et 10 % pour les autres types de redevances.

Enfin, l'avenant plafonne l'imposition dans l'État source des gains réalisés lors de la cession du capital d'une société : lorsque le cédant détient une participation supérieure à 25 %, le taux maximum de retenue à la source sera fixé à 10 % et il s'élèvera à 15 % dans les autres cas.

Il y a donc, globalement, une réduction des taux de retenue à la source sur les dividendes, les intérêts, les redevances et les gains en capital.

La France a également négocié une clarification du champ des revenus compris dans ces redevances. En sont expressément exclues les rémunérations de services dits « normalisés », c'est-à-dire ceux qui ne font appel qu'à un savoir-faire usuel du prestataire. Ce faisant, l'Argentine a renoncé à taxer les services rendus par une entreprise française sans recours à un établissement stable sur le territoire argentin.

En contrepartie, la France a accepté la reconnaissance d'un « établissement stable de services ». L'Argentine souhaitait initialement pouvoir taxer l'ensemble des services rendus par des entreprises françaises sur son territoire sur une base brute et sans condition de durée. La France n'a pas accédé à cette demande mais a accepté de reconnaître l'existence d'un établissement stable, en l'absence de toute installation matérielle en Argentine, dès lors qu'une entreprise rend des services pour une ou des périodes représentant plus de 183 jours au cours d'une année – soit la moitié de l'année et un jour. Il y aura donc là une source de rentrées fiscales pour l'Argentine, dont l'impact devrait toutefois rester modéré pour les entreprises françaises – seules une trentaine d'entre elles pourraient voir leurs redevances augmenter légèrement.

Une clause de la nation la plus favorisée a également été insérée. La France bénéficiera ainsi automatiquement du traitement plus favorable que l'Argentine serait susceptible d'accorder, à compter de la signature de l'avenant, à un autre État, en matière de revenus passifs et de gains en capital, mais aussi de revenus de professions indépendantes ou d'établissement stable.

J'appelle enfin votre attention sur la clause relative aux volontaires internationaux en entreprise (VIE), qui a été insérée dans l'avenant. Même si elle pèse peu économiquement, c'est une clause à laquelle je suis très sensible, puisque j'ai été président d'Ubifrance et que je présidais le conseil d'administration du Centre français du commerce extérieur lorsque le dispositif a vu le jour. Le VIE est un dispositif très utile pour nos jeunes, mais aussi pour nos entreprises qui cherchent à se développer sur les marchés étrangers. La France demande systématiquement, dans les conventions et les avenants fiscaux qu'elle négocie, l'exonération d'impôt des VIE sur leurs salaires dans l'État d'exercice de leur activité. Cette clause a été intégrée à la convention entre la France et l'Argentine.

Le nombre de VIE en Argentine était assez élevé ces dernières années et a avoisiné la soixantaine. Il est malheureusement retombé à un niveau très faible – 2 volontaires seulement à l'été 2021 – en raison de la crise liée au covid et aux difficultés économiques de l'Argentine. D'après les services de Business France, on devrait toutefois revenir bientôt à une trentaine de VIE et leur nombre devrait continuer d'augmenter, compte tenu de l'intensité des relations économiques entre la France et l'Argentine. Cette clause est donc très importante pour eux.

L'Argentine sort gagnante de cet accord, puisqu'elle sera plus attractive aux yeux des entrepreneurs français et que ses recettes fiscales sur les services connaîtront une hausse. La France, quant à elle, trouve un intérêt manifeste à cet avenant, puisque les prélèvements à la source sur les dividendes, les intérêts, les redevances et les gains réalisés lors de la cession de capital vont diminuer. Au final, la France prélèvera un peu plus et le Trésor français récupérera de l'argent. En outre, les entreprises françaises présentes en Argentine seront désormais sur un pied d'égalité avec les entreprises d'autres pays, notamment italiennes et allemandes, qui bénéficiaient de clauses plus avantageuses.

Puisque cet accord paraît équilibré et avantageux pour les deux parties, comme en témoigne d'ailleurs l'aboutissement rapide des négociations qui l'ont préparé, je vous invite à adopter le projet de loi autorisant son approbation.

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