Intervention de Franck Riester

Réunion du mercredi 2 février 2022 à 15h30
Commission des affaires étrangères

Franck Riester, ministre délégué :

C'est une très bonne question ! Comme vous le savez, la présidence du Conseil de l'UE a un rôle de coordination : elle hiérarchise les priorités, fixe l'agenda et s'efforce d'accélérer les négociations.

Aussi, je ne veux pas que l'on retienne de l'action de la France au sein de l'UE la seule présidence du Conseil ce semestre. De fait, un changement considérable est amorcé depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, grâce à l'influence française. Il faut en être fier et le revendiquer. C'est grâce au discours si fort qu'a prononcé le Président de la République à la Sorbonne en 2017 que nous avons convaincu un certain nombre de pays de la nécessité d'affirmer la souveraineté européenne et de mener une politique commerciale moins naïve tout en y incluant les préoccupations environnementales, les droits sociaux et les droits humains. Si la Commission européenne a présenté une telle proposition de révision de sa stratégie de politique commerciale, c'est parce que nous lui avons transmis des contributions très fortes et qu'un travail d'influence a été fait par le Président de la République lui-même vis-à-vis de nos partenaires et de la Commission.

Cher Alain David, nous nous connaissons depuis de nombreuses années et je vous écoute toujours avec beaucoup d'attention, mais vous faites erreur en pensant que certaines choses ne bougent pas en Europe. Comme l'a dit Didier Quentin, l'Europe est le dindon de la farce en ouvrant ses marchés publics au monde entier, alors que seulement la moitié de ceux de ses partenaires commerciaux – un tiers au Japon et aux États-Unis – sont accessibles à ses produits. Nous allons mettre fin à cette folie ! Les trilogues aboutiront, je l'espère, au mois de mars – c'est précis et concret : je m'engage sur ce point –, de sorte que, quelques semaines plus tard, nous disposerons d'un nouvel outil qui nous permettra de mettre un terme à cette incongruité.

Grâce à l'influence française, un poste de procureur commercial a été créé au sein de la direction générale chargée du commerce afin de veiller au respect par nos partenaires commerciaux des engagements pris en matière de levée des barrières non tarifaires et d'accès aux marchés. Ce procureur est en fonction depuis plus d'un an maintenant.

Par ailleurs, même si elle est antérieure à la présidence française du Conseil européen, la décision d'appliquer des tarifs douaniers sur les produits aéronautiques et certains produits agroalimentaires américains est le fruit d'une stratégie définie par la France, puis partagée avec nos partenaires européens. Cette décision a été prise dès que l'OMC nous a donné la possibilité de le faire, en réaction au choix des États-Unis de taxer les vins et spiritueux ainsi que l'aéronautique européens. Il y a encore quelques années, on n'aurait pas utilisé ces tarifs douaniers, pour éviter toute surenchère avec les États-Unis. Nous avons pris cette décision, d'une part, parce que nous estimions que nous devions nous faire respecter et affirmer la souveraineté européenne, d'autre part, parce que c'est la seule manière de ramener les Américains à la table des négociations dans le cadre du contentieux Boeing-Airbus. La stratégie combinant fermeté, ouverture et esprit de désescalade a fonctionné ! Et cette nouvelle politique commerciale européenne produit des effets concrets : demandez aux exportateurs de vin quels ont été leurs résultats aux États-Unis en 2021 par rapport à 2020.

Nous essayons d'accélérer les processus en cours et de hiérarchiser les priorités. Ainsi, nous avons porté l'effort sur la réciprocité dans l'ouverture des marchés publics et nous souhaitons arriver le plus rapidement possible à un consensus au sein du Conseil européen sur la proposition de la Commission de créer un mécanisme anticoercition. Actuellement, nous ne pouvons réagir, par exemple, au traitement que la Chine fait subir à la Lituanie qu'en nous adressant à l'OMC, au titre du droit international du commerce. C'est ce que la Commission a fait : alors que beaucoup disaient qu'elle n'oserait jamais réagir ainsi, elle a pris ses responsabilités et effectué une demande de consultations à la Chine dans le cadre de l'OMC. Mais il nous manque un outil européen anticoercition pour agir dans le domaine du droit international public. Nous nous mobilisons pour pouvoir en disposer au plus vite, en recherchant avec les autres États-membres le consensus le plus ambitieux possible. Car plus l'outil sera ambitieux, plus il sera dissuasif, ce qui permettra d'éviter les tensions commerciales. C'est une vraie révolution !

Nous soutenons totalement les initiatives de la Commission en faveur de la prise en compte du développement durable, des droits sociaux, des droits humains et du devoir de vigilance, notamment la proposition formulée par Didier Reynders et Thierry Breton sur ce dernier point, qui devrait aboutir, nous l'espérons, d'ici à la fin du mois de février. Cette proposition s'inspire d'ailleurs de l'esprit de la loi Potier du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre. Nous devons en être fiers. Une résolution européenne soutenant l'adoption d'une législation européenne ambitieuse sur le devoir de vigilance des multinationales a d'ailleurs été votée par votre assemblée le 20 janvier dernier.

Par ailleurs, nous allons disposer d'un instrument de lutte contre la déforestation importée. Nous insistons désormais avec beaucoup de force sur ces mesures miroirs. Après avoir adopté des normes qui nous permettent de vérifier la qualité des produits importés au sein de l'UE, nous souhaitons aller plus loin, en nous assurant que les processus de production sont similaires à ceux qui existent en Europe – et, à défaut, de bloquer les importations. On ne peut pas demander à nos producteurs de faire des efforts en matière de développement durable et de respect des animaux et les mettre en concurrence avec des producteurs situés dans des pays qui n'ont pas les mêmes exigences dans ces domaines. Chaque ministre travaille à ces mesures miroirs dans son domaine de compétence, qu'il s'agisse, par exemple, de l'agriculture, de l'environnement ou du secteur sanitaire.

C'est absolument nouveau, et notre rôle est d'accélérer ces processus. Je serai satisfait lorsque le calendrier d'adoption des mesures et instruments que j'ai évoqués aura été respecté – voire anticipé – avec des résultats concrets, notamment l'entrée en vigueur de l'IPI avant la fin de la PFUE.

En ce qui concerne le projet d'accord de libre-échange avec le Mercosur, rien n'a bougé. On ne veut pas signer cet accord tant qu'on ne dispose pas de garanties solides s'agissant du respect de l'accord de Paris, de la protection de la forêt et des zones humides et du respect des normes sanitaires et phytosanitaires. La Commission réfléchit au niveau des garanties qu'on pourrait demander aux pays du Mercosur ainsi qu'à la manière dont on pourrait vérifier leur effectivité. Nous travaillons aussi, de notre côté, à des instruments autonomes, comme le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF).

Pour toutes les négociations d'accords commerciaux en cours ou futures, nous voulons un niveau d'exigence très élevé en matière de développement durable. D'où l'importance des travaux conduits sur les chapitres qui concernent celui-ci dans le cadre de la révision du plan d'action en quinze points. Ce processus en apparence technique nous permettra d'être beaucoup plus exigeants lors de la négociation d'accords commerciaux.

Plutôt que d'accords de libre-échange – expression que je n'emploie plus car elle a une connotation négative –, je préfère parler d'accords commerciaux : un accord commercial, c'est bien car cela encadre les échanges. On indique ainsi aux partenaires avec qui l'on signe ce type d'accords qu'on leur facilite l'entrée sur le marché européen à condition qu'ils respectent certaines exigences en matière de qualité des produits et de production, ainsi qu'en matière de respect des droits humains et des normes sanitaires et sociales. C'est nouveau, et c'est un point sur lequel nous voulons absolument insister.

Quant aux mesures extraterritoriales, il est prévu de les traiter en très grande partie dans le cadre de l'outil anticoercition. Il nous faut pour cela continuer à discuter avec ceux des États-membres dont l'ambition est moindre que la nôtre. En tout état de cause, la ligne de la Commission est très ambitieuse.

S'agissant des négociations menées au sein de l'OMC, notamment sur la pêche, l'Inde veut absolument obtenir des exemptions au titre de son statut de pays en développement. Ce n'est plus acceptable. Elle souhaite, par exemple, bénéficier d'un délai de vingt-cinq ans pour appliquer les éventuelles nouvelles règles en matière de subvention de la pêche. Il faut donc continuer à négocier pour obtenir une concurrence équitable – il y a encore beaucoup à faire à cet égard.

L'amélioration de l'attractivité de la France pour les investisseurs étrangers est le fruit d'un travail de fond. L'augmentation de notre compétitivité en est un élément majeur. Elle a été amorcée en 2017, sous l'impulsion du Président de la République, par des mesures incitatives telles que la baisse de 33,3 % à 25 % de l'impôt sur les sociétés (IS), la diminution des impôts de production et la réforme de l'impôt sur la fortune (ISF) – car sans capital, il n'y a pas d'investissement dans la production. Notre attractivité a également été accrue grâce à l'assouplissement d'un certain nombre de règles applicables au marché du travail, à la réforme de l'assurance chômage ou à la nouvelle articulation entre convention collective de branche et accord d'entreprise. De ce fait, en 2019 et en 2020, la France était le pays qui attirait le plus d'investissements étrangers, devant l'Allemagne et le Royaume-Uni – y compris en matière industrielle. Pour autant, il reste du travail. La question d'un certain nombre de cotisations sociales sur les emplois qualifiés se pose au vu de ce que pratiquent d'autres pays européens. Il faudra sûrement aller encore plus loin dans la baisse des impôts de production. Mais les étapes qui ont déjà été franchies permettent à notre pays d'avoir de nouveau une création nette d'emplois industriels et un solde net positif des flux d'investissements entre la France et l'étranger.

S'agissant des exportations, il faut distinguer l'aspect conjoncturel et l'aspect structurel.

D'un point de vue conjoncturel, la France n'a jamais eu autant d'entreprises exportatrices. Cela peut sembler paradoxal, quand on considère le niveau de notre déficit, mais on observe, de fait, une dynamique très forte d'entreprises qui osent enfin l'international. On compte 136 000 entreprises exportatrices en 2022, contre 128 000 en 2019 et 123 000 en 2017. Dans les derniers mois de 2021 et les premiers mois de 2022, le niveau des exportations a été supérieur à ce qu'il était en 2019 dans la plupart des secteurs. Certains restent toutefois très en-deçà de leur niveau de 2019 : c'est notamment le cas de l'aéronautique, dont les exportations ont chuté de près de 50 %. Cela nous pénalise beaucoup, puisque ce secteur représentait 13 % des exportations françaises avant la pandémie.

Le dynamisme global de nos exportations est toutefois pénalisé par l'augmentation très forte de la facture énergétique et par le niveau de la croissance. Même si celle-ci est un élément positif – elle atteint 7 % en France –, elle entraîne une hausse des importations : nos usines, qui tournent à plein, ont besoin de composants importés. Par ailleurs, la consommation des ménages se tourne aussi vers des produits de consommation fabriqués à l'étranger.

Sur le plan structurel, il faut poursuivre la politique qui a été amorcée et qui mettra des années à porter tous ses fruits. Elle repose sur quatre leviers. Le premier, c'est la compétitivité, dont j'ai déjà parlé. Le deuxième, c'est la réindustrialisation de la France : c'est une évidence, mais pour exporter, il faut produire. Nous devons donc travailler à la relocalisation d'une partie des chaînes de valeur et à l'investissement dans les technologiques d'avenir, qui sont les industries de demain. Le troisième levier, c'est la politique commerciale européenne : en menant une politique commerciale moins naïve, nous pourrons mieux protéger nos entreprises et leur ouvrir davantage les marchés tiers. Le quatrième levier, enfin, c'est l'accompagnement des entreprises à l'international. C'est l'objet du plan de relance export et de la Team France Export, qui a été créée en 2018 pour regrouper les différents acteurs qui accompagnent les entreprises à l'international.

Fait nouveau, j'ai créé, à l'automne 2021, le dispositif Équipe France Business. Il s'agit de mobiliser toutes les énergies qui ont envie d'aider les acteurs économiques du pays à être plus performants à l'international. Cela inclut la Team France Export, les chambres de commerce et d'industrie, BPIFrance, Business France, les régions, les conseillers du commerce extérieur de la France, le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), le MEDEF international, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), le Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI), les chambres de métiers, les chambres d'agriculture, etc. Il ne faut pas oublier les entreprises elles-mêmes : les PME et les ETI qui exportent, les filiales des grands groupes installées à l'étranger, les dirigeants ou les cadres dirigeants d'une entreprise étrangère installée dans tel ou tel pays, et même les Français qui ont créé une entreprise de droit local – chers aux députés des Français installés hors de France – et qui ont envie de participer à la dynamique de rayonnement économique de notre pays. Jusqu'ici, le sentiment d'appartenir à un collectif, à cette Équipe France Business, n'était pas forcément mis en avant.

Le sommet entre l'Union européenne et l'Union africaine se tiendra les 17 et 18 février à Bruxelles. Sur le plan commercial, il s'agit de refonder notre partenariat avec l'Afrique, en renforçant nos relations commerciales et d'investissement. Nous insistons, plus largement, sur le triptyque « prospérité, sécurité, mobilité ». La prospérité recouvre le financement des économies africaines, notamment l'entrepreneuriat des jeunes et des femmes, la résilience sanitaire et la sécurité alimentaire. La sécurité correspond à l'accompagnement dans la gestion de la crise et le soutien aux cadres de sécurité. La mobilité concerne les étudiants, les chercheurs, les volontaires et la question, essentielle, des migrations. Il faudra réfléchir, enfin, à la manière dont on peut décliner la stratégie Global Gateway de l'Union européenne pour accompagner le continent africain.

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