Intervention de Manuel Lafont Rapnouil

Réunion du mercredi 20 novembre 2019 à 9h40
Commission de la défense nationale et des forces armées

Manuel Lafont Rapnouil, CAPS :

Je voulais d'abord rejoindre ce que Thomas Gomart a dit sur l'importance du Format Normandie et la dimension ukrainienne, qui méritaient d'être rappelés.

À propos du rôle du privé dans la conflictualité, c'est un des aspects de ce que j'ai appelé la « commodification de la sécurité » : le fait de traiter la sécurité comme un bien que l'on peut échanger. Cela ne concerne pas que les États. Cela correspond à une forme d'aversion au risque, puisque l'on va demander à quelqu'un d'autre d'assumer le risque. Je pense que cela renvoie plus largement à la question de qui sont nos partenaires. Le partage du fardeau face à la conflictualité, ce n'est pas juste le partage du fardeau en termes budgétaires ou financiers, mais c'est aussi le partage du fardeau en termes politiques. Nous savons très bien que les armées qui contribuent en troupes, en matériel, aux opérations de maintien de la paix ne sont pas exactement les mêmes que celles qui financent le maintien de la paix onusien. Un des pans majeurs de notre stratégie dans le Sahel consiste à mettre en avant les partenaires locaux, dont la fragilité est l'une des raisons de la situation dans laquelle nous sommes. Là-dedans, ce ne sont pas que des partenaires privés. Ce n'est pas juste un problème de privatisation, c'est aussi un problème de répartition de la tâche entre les différents acteurs.

Un certain nombre de partenaires privés peuvent penser qu'il y a là un espace à occuper pour eux. La tentation est réelle pour les États. S'ajoutent à cela des stratégies délibérées pour occuper le terrain de façon moins visible politiquement, pour poser des jalons, ou pour développer un business et un type de lien. En effet, ces sociétés privées n'interviennent pas que dans les conflits ouverts. Elles n'interviennent pas qu'auprès ou pour le compte des États, mais aussi dans un certain nombre de cas pour défendre des intérêts privés sur place. Je suis très réservé sur les vertus de cette tendance à la privatisation du conflit ; en effet, la situation sera très différente si des acteurs privés sont parties au conflit, avec des intérêts en jeu qui ne sont pas ceux des principaux protagonistes. On sait très bien qu'aujourd'hui, il y a un certain nombre de conflits qui durent parce que des groupes armés qui pouvaient avoir, qui parfois ont encore, un agenda politique, ont en fait aussi un agenda de groupes criminels organisés et que leurs dirigeants ont trouvé une forme de pouvoir, une forme d'accès à des ressources économiques, parfois politiques, liées à ces activités privées et à ces logiques criminelles, et que cela complique énormément les efforts de règlement des conflits.

D'où l'importance de régler les conflits, de construire, de consolider la paix. Et la privatisation du conflit, la privatisation de la fonction de sécurité s'oppose à la vision que l'on a de l'État comme ayant le monopole de la violence physique légitime et est tout à fait au cœur des difficultés que l'on rencontre aujourd'hui.

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