Intervention de Jean-Pierre Maulny

Réunion du mercredi 27 novembre 2019 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l'IRIS :

Vous avez eu l'initiative de cette table ronde avant même que le président Macron ne publie son interview dans The Economist ; vous avez fait preuve de sagacité !

J'ai également une pensée pour les 13 soldats qui sont morts hier. Les questions que nous sommes sur le point d'aborder sont sérieuses, graves, avec malheureusement parfois la mort au bout du chemin pour nos soldats.

Sur l'OTAN, je pense qu'il faut résumer les épisodes précédents pour comprendre la situation où nous sommes aujourd'hui. Je ne parlerai pas de crise de l'OTAN. Simplement, la situation politique et les intérêts de sécurité des membres de l'OTAN ne sont plus exactement les mêmes, certes pas sur tous les aspects, mais en tout cas sur un certain nombre, d'où les difficultés que nous connaissons aujourd'hui.

L'OTAN a été fondée en 1949 contre la menace soviétique. À la fin de la guerre froide – elle était alors composée de 16 pays – elle avait gagné le conflit sans avoir tiré un coup de feu. La question de son maintien s'est posée. L'URSS en pleine dissolution, la Russie a pris la principale succession et le Pacte de Varsovie fut dissous. L'OTAN ne fut cependant pas dissoute pour trois raisons qui firent consensus entre les États membres, y compris de la France, même si le sujet a donné lieu à des débats. La première, c'est que tout le monde voulait maintenir un lien transatlantique en matière de sécurité avec les États-Unis. Ensuite, les Européens ne se sentaient pas en capacité d'assurer seuls leur sécurité. Enfin, la stabilité de la Russie suscitait des inquiétudes. Un des six scénarios du Livre blanc de 1994 concernait ainsi la résurgence de la menace majeure, la menace russe.

Dans les années qui ont suivi, l'OTAN a véritablement trouvé une utilité, non pas en tant qu'alliance militaire, mais en tant qu'outil militaire au moment des conflits balkaniques, puisqu'elle a fait du « peace keeping » et du « peace enforcement » ; nous n'étions pas sous le régime prévu à l'article 5, mais l'outil militaire a fonctionné. Il a fonctionné de nouveau, quoiqu'avec des difficultés, au moment du Kosovo.

Ensuite, nous avons eu l'épisode des élargissements de l'OTAN et de l'Union européenne. Les pays d'Europe centrale et orientale et les pays d'Europe du Nord, les ex-pays baltes, voulaient, d'une part, avoir accès à la prospérité européenne – c'était l'accès à l'Union européenne – et d'autre part, la sécurité proprement dite en matière de défense via l'accès à l'Alliance atlantique. Tout cela n'a pas suscité trop de grincements de dents de la part de la Russie. Entre 1997 et 1999 puis entre 2003 et 2005, c'est-à-dire au moment des deux élargissements, les Russes protestent mais ne sont pas véritablement en position de s'opposer. Le conseil OTAN-Russie est mis en place à cette époque.

Des divergences sont apparues par la suite. La première divergence est liée au fait que nous étions sortis de la guerre froide sans avoir véritablement fait de réconciliation avec la Russie, mais sans, en même temps, qu'il y ait de tension. La situation s'est dégradée durant les années 2000, autrement dit, bien avant 2014, en particulier à deux occasions. Tout d'abord, la défense antimissile de l'OTAN sur la partie européenne ont fait craindre aux Russes une remise en cause de leur force de dissuasion. Puis, lors du sommet de Bucarest, en 2008, le communiqué final indiquait que l'Ukraine et la Géorgie seraient membres de l'OTAN. Les relations se sont alors tendues avec les Russes. Elles se sont tendues partiellement parce qu'à l'époque, la coopération demeurait forte sur un certain nombre de dossiers : d'une part, en matière de lutte contre le terrorisme et, d'autre part, sur l'Afghanistan et au fond, sur la relation Russie-OTAN à propos de l'Afghanistan.

La deuxième divergence est venue des États-Unis ; pas de Donald Trump, mais de Barack Obama. Barack Obama a été élu sur le projet de retirer les troupes américaines du Proche-Orient. Il a commencé à le faire en Irak et il voulait le faire également en Afghanistan. D'une certaine manière, Donald Trump aujourd'hui ne fait que prolonger la politique de Barack Obama sur ce sujet. La sécurité des États-Unis, pour Barack Obama, passe d'abord par la sécurité en Asie, et non pas par la sécurité en Europe. En 2009-2010, tout le monde attendait Barack Obama : ce devait être la réconciliation. Or Barack Obama ne venait pas, si je puis dire. Ses paroles étaient très sympathiques, mais relativement tièdes. La politique de Barack Obama perdure aujourd'hui sur les deux points que j'ai soulignés, et deux divergences majeures dont on parle peu à l'heure actuelle, moins que l'épisode syrien, qui sont le retrait du Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA) – la question iranienne – et plus récemment, la reconnaissance de la colonisation d'Israël en Palestine. Ce sont deux sujets proche-orientaux cruciaux pour les Européens.

L'Alliance atlantique oscille aujourd'hui entre alliance militaire et objet, organisation politique. L'alliance militaire et l'outil militaire, personne ne les remet en cause. Cet outil fonctionne, bien qu'ayant des défauts, étant un peu lourd, un peu cher. C'est une alliance militaire, mais est-ce une organisation politique ? Voilà la question aujourd'hui. La France a toujours essayé de minimiser le rôle politique de l'Alliance atlantique, mais à partir du moment où vous avez une organisation, vous ne pouvez pas dire qu'elle n'a pas de rôle politique. C'est un fait. Avec l'épisode syrien, deux pays de l'Alliance atlantique ont agi sans avertir leurs partenaires de l'OTAN alors que l'article 4 prévoit normalement que les alliés doivent se consulter : l'un a décidé de retirer ses troupes du nord de la Syrie, l'autre y a des intérêts de sécurité, ce qu'a reconnu d'ailleurs le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, dans le nord de la Syrie.

L'essentiel est de bien délimiter le rôle politique de l'OTAN, de ne pas lui donner des rôles qu'elle n'a pas à avoir – parce qu'on va se poser plus de problèmes qu'autre chose – et bien entendu, de conserver l'outil militaire. L'OTAN ne doit pas être, par exemple, l'instrument d'un dialogue avec la Chine ou avec la Russie. L'instrument de dialogue doit être l'Union européenne, les États-Unis, l'Union européenne et les États-Unis ensemble, mais cela ne peut pas être une alliance militaire. À partir du moment où vous faites dialoguer une alliance militaire avec ce type de pays, nécessairement, vous avez la logique plus ou moins de l'ennemi qui vient en tête. C'est cela qu'il faut éviter.

Par ailleurs, si une commission d'experts ou de hautes personnalités, de sages est mise en place au prochain sommet de Londres pour réfléchir sur le futur de l'OTAN, je pense qu'il faut éviter le piège du consensus et privilégier un document très politique. Je me souviens, Camille, quand tu étais dans le groupe d'experts préparatoire, au moment du conseil stratégique de l'automne 2010, alors que des tensions étaient déjà perceptibles. Vous étiez là pour essayer de déminer les tensions. Or, il vaut mieux dire quelles sont exactement les convergences et les divergences de sécurité, ce qu'il faut absolument conserver et ce qu'il faut absolument éviter.

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