Intervention de Jean-Pierre Maulny

Réunion du mercredi 27 novembre 2019 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l'IRIS :

Il a été dit que nous avions des propos lénifiants sur la question de l'OTAN. Je pense que nous avons peut-être les uns et les autres des biais de déformation. Très souvent, nous sommes dans des séminaires internationaux, nous avons des Baltes ou des Polonais en face de nous, et nous faisons extrêmement attention aux paroles que nous tenons. Pourquoi ? Parce que ce que nous avons en tête que ce n'est pas l'OTAN, mais l'Union européenne. La question de la présence de la France dans l'OTAN relève de l'Union européenne. Nous ne pouvons plus organiser cette sortie de l'OTAN aujourd'hui. Au fond, c'est le rapport Védrine de 2013. Si nous le faisons, nous cassons toute perspective de construire une autonomie stratégique européenne, une Europe de la défense, etc. Nous perdrons toute crédibilité à ce niveau-là. La vraie question, encore une fois, ce n'est pas la question de l'OTAN, c'est véritablement la question des rapports entre l'Union européenne et les États-Unis. L'OTAN n'est qu'un vecteur de cette question de la relation entre l'Union européenne et les États-Unis.

J'émets une petite nuance sur la question de la France par rapport à l'OTAN et du retour en 2009. Au niveau militaire, nous avons parfaitement joué la carte. Au niveau politique, j'ai quand même le sentiment que nous n'avions pas véritablement de politique vis-à-vis de l'OTAN. En somme, que voulions-nous faire de l'OTAN ? Je pense que ce n'était pas une question. En 2009, le retour dans le commandement militaire intégré de l'OTAN était surtout lié à la question de la relation avec les États-Unis, dont nous avions besoin notamment dans le Sahel – c'est vrai que la relation fonctionne très bien à ce niveau-là – et avec les Britanniques effectivement, avec Lancaster House, mais ce n'était pas européen et cela n'a jamais été perçu par nos partenaires comme une décision de portée européenne. Cela nous a été reproché car c'était une relation bilatérale.

Nous avions à cette époque-là une administration – nous l'avons toujours en partie – française qui fondamentalement était très sceptique sur la construction européenne, notamment après ce qui a été ressenti comme un échec au moment de la présidence française de l'Union européenne au deuxième semestre 2008, où nous avions voulu faire avancer la coopération structurée permanente. Le virage français – il y a véritablement un double virage – concernant la construction européenne en matière de sécurité et de défense, c'est le « Brexit » en 2016, c'est le référendum, parce que tout d'un coup, on a peur que l'Union européenne se délite et on se dit : « finalement, la Défense, c'est un bon objet pour recréer de la cohésion ». C'est là que vous avez la première lettre Le Drian-von der Leyen sur une feuille de route le 11 septembre 2016. La deuxième étape, c'est l'élection d'Emmanuel Macron et le conseil des ministres franco-allemand de juillet 2017.

Pour ce qui est de l'interview d'Emmanuel Macron à The Economist, je pense que ce n'est pas l'OTAN le plus important. C'est une phrase dans une interview qui fait dix pages. Il faut la lire en entier, parce qu'on a toute l'explication de texte derrière. Je pense que ce n'est même pas la Russie non plus qui est le centre, c'est l'Union européenne. Il faut faire quelque chose au niveau de l'Union européenne. Je suis allé à un séminaire juste après l'interview de The Economist. Il y avait des Polonais, tous ceux qui pouvaient être critiques. La réaction a été : « Emmanuel Macron affaiblit l'article 5 », « Emmanuel Macron affaiblit l'OTAN ». Après, on commence à parler d'autonomie stratégique européenne. Là, nos amis polonais et baltes disent : « oui, c'est vrai, il faut faire quelque chose de plus au niveau européen. » « Oui, effectivement, aller vers plus d'autonomie stratégique européenne, ce serait pas mal ». Tout cela est un système de mutuelle, si je puis dire, de garantie de sécurité. C'est comme une assurance sociale, si vous voulez. Ces pays ont eu une avec l'OTAN. Ils ne sont pas opposés à en avoir une deuxième si jamais la première garantie tombe. Mais évidemment, ils n'abandonneront pas l'OTAN dans un premier temps parce qu'ils ont une perception. Nous ne pouvons pas leur retirer. C'est ce qui existe actuellement. Ils considèrent que la Russie est une menace, et nous ne pouvons pas leur démontrer le contraire s'ils le ressentent comme tel.

La politique américaine à ce niveau-là, et notamment la politique de Donald Trump, il faut faire très attention à ce qui se passe parce que le jeu politique – je dis bien politique – c'est de faire une sorte de chantage pour dire : « si vous continuez, je me retire de l'OTAN ». Naturellement, les pays d'Europe du Nord et les pays d'Europe centrale sont paniqués à cette idée. Derrière, on a le risque que certaines situations soient traitées non pas au niveau de l'OTAN, mais au niveau bilatéral. Il ne faut pas oublier que Donald Trump – c'est une différence majeure avec Barack Obama – ne croit pas au multilatéralisme. Il préférera toujours des accords bilatéraux, notamment pour faire de l'exportation d'armement, etc. Il faut que nous fassions extrêmement attention au niveau européen, parce qu'il faut que nous conservions cette cohésion. Il faut à la fois que nous disions : « il faut bouger au niveau européen, il faut construire cette autonomie stratégique » parce que c'est une construction de l'Union européenne et que l'Union européenne, pour le coup, ce n'est pas qu'une alliance militaire. C'est véritablement une organisation politique. Nous avons quand même énormément de politiques communes, et même la politique commune en matière de défense, je sais bien, cela avance très lentement, mais cela avance quand même. Tout cela, il faut essayer de le défendre avec un horizon qui va être 20, 30 ou 40 ans, et pas un horizon à 2 ou 3 ans. Je pense que c'est tout cela qui est en jeu.

Le dialogue principal pour l'instant, si on doit avoir un dialogue avec la Russie, c'est le Format Normandie sur la question de l'Ukraine et c'est l'application des accords de Minsk. Ce n'est pas l'OTAN proprement dite. L'OTAN peut faire de la déconfliction. Il y a toute la question de remettre en place, parce que cela ne fonctionne plus, des mesures de confiance et de sécurité. Normalement, cela devrait être au niveau de l'organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), mais on peut imaginer que ce soit au niveau de l'OTAN. Après, je suis quand même très étonné qu'en France, il y ait une lettre qui soit partie de Poutine vers tous les membres de l'OTAN et vers la Chine, un certain nombre de pays, pour proposer un gel des déploiements de missiles russes par rapport au traité FNI. Pour avoir cette information, il fallait lire le Financial Times. Aucun journal français n'a repris cette information. Cela a été après rejeté par l'OTAN. C'est vrai qu'avec la façon dont a procédé Poutine, cela s'explique un peu, mais c'est quand même anormal que ce type d'information n'ait pas été connue en France dans les journaux.

Les enjeux dans les mois et dans les années qui viennent, c'est vraiment cette question de construction de l'Union européenne, sachant qu'encore une fois – Camille, tu nous diras si cela fait partie des choses qui sont prévues au sommet de l'OTAN à Londres – il y a cette attaque de la part des Américains sur la coopération structurée permanente et sur le Fonds européen de défense, sur la question de la relation aux États tiers. C'est une question importante. Nous savons très bien à peu près quelle limite nous voulons mettre. Nous ne voulons pas fermer la porte aux Américains ; ce n'est pas la question. Pour l'instant, ils en font une sorte de casus belli. Naturellement, ils vont faire là aussi pression sur tous les pays d'Europe du Nord et d'Europe centrale pour dire : « la Commission européenne et les Français, il faut absolument qu'ils cèdent sur le sujet ». C'est problématique.

Sur la question de l'article 4, oui, c'est vrai que nous avons une forme de schizophrénie sur le sujet, mais c'est le jeu tactique. Le jeu tactique, c'est de dire : « attendez, il n'y a pas de dialogue sur la question de la Turquie et des États-Unis », mais en même temps, si nous ne voulons pas renforcer le rôle politique de l'OTAN en considérant que les questions de sécurité ne concernent que la sécurité territoriale des pays de l'OTAN, effectivement, ce dialogue-là n'est pas nécessairement au sein de l'OTAN, mais plutôt au sein des Nations-Unies. Là, il y a une dialectique, tout comme il y a toujours eu une dialectique américaine, une sorte de schizophrénie, mais qui est assez logique sur la question de la construction européenne en matière de défense. Nous avons vécu la même chose en 1999 au début de la création de la politique de sécurité et de défense commune, quand les Britanniques avaient signé l'accord de Saint-Malo avec les Français. Tout de suite, ils s'étaient fait convoquer en disant : « Qu'est-ce que c'est que ça ? Qu'est-ce que vous faites entre vous ? » En fait, nous renforcions la sécurité de l'Union européenne avec les accords de Saint-Malo, et de fait, nous renforcions la sécurité de l'Europe et donc l'OTAN dans son rôle de sécurité collective. C'est la même situation aujourd'hui. On retrouve cette même schizophrénie de la part des Américains, la même politique, sauf que c'est quand même un peu plus violent à l'heure actuelle.

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