La Russie est-elle un « faux dur » ? C'est une excellente question. Si c'est un faux dur, c'est un faux dur capable d'envahir un État souverain par la force ; de vider les poubelles de l'action militaire en Syrie là où l'Occident hésitait à intervenir ; de faire une forme de thérapie de choc vis-à-vis de l'annonce de nouveaux systèmes militaires qui impressionnent l'Occident, comme nous l'avons vu en 2018 ; d'opérer des assassinats extra territoriaux en Angleterre. Effectivement, c'est un faux dur, mais il faut partir du principe que c'est un faux dur agressif. Sans accorder trop d'importance aux capacités techniques et militaires de la Russie, c'est un faux dur qui impressionne autant par la rhétorique que par l'action. Je pense qu'il n'existe pas vraiment de réponses à la question : car chacun a sa perception de ce que représente la Russie contre nous et avec nous.
Dans les cercles de réflexion américains, certains considèrent que la guerre froide a été gagnée par un surinvestissement dans les capacités de réponse qui ont rendu la Russie incapable de suivre financièrement et technologiquement, et qu'une même approche pourrait être adoptée aujourd'hui pour épuiser la Russie financièrement, technologiquement, en accélérant éventuellement la fuite des cerveaux. Ce sont des théories relativement lointaines, mais qui font partie du débat. Comme il est difficile d'atteindre le public russe – les Américains ne peuvent pas utiliser Hollywood pour conscientiser les Russes sur les valeurs de la démocratie libérale – ils se disent qu'ils pourraient utiliser des techniques créées et éprouvées pendant la guerre froide.
Sur la mer Noire, une vision européenne partagée serait évidemment souhaitable, sans sacrifier nos valeurs toutefois, en particulier vis-à-vis de ce que l'on appelle « les conflits gelés ». Ce ne sont pas des conflits gelés : des gens meurent tous les jours dans le Donbass. Je n'appelle pas cela un conflit gelé : il s'agit de l'utilisation d'un territoire comme d'une plaie ouverte pour en faire oublier d'autres. C'est ce que fait la Russie régulièrement. S'il s'agit de sacrifier des vies humaines au profit d'intérêts ou d'une realpolitik, ce sont des valeurs que je ne partage pas mais qui font partie du spectre politique.
Sur les sociétés militaires privées, ce que les Russes appellent des « sociétés de mercenariat paraétatiques », puisqu'ils les ont encadrées par un régime légal relativement flou, elles sont utilisées d'une manière qui n'est pas si différente de ce que nous connaissons en Occident, notamment aux États-Unis. Il s'agit de l'utilisation de fonctions paramilitaires : de dénis plausibles d'intervention, de reconnaissance en force et de réponses tactiques sur des champs de bataille. Outre ces fonctions paramilitaires, elles ont toutefois aussi des fonctions de représentation quasi officielles des intérêts russes. Elles sont des instigatrices de patriotisme russe à l'étranger, des porte-parole des intérêts russes. Aujourd'hui, leurs financements sont un moyen pour les différents oligarques de se positionner vis-à-vis du pouvoir et de récupérer les subsides d'une nouvelle part d'un nouveau « gâteau ». La croissance russe fonctionne en vase clos. L'argent russe, notamment l'argent corrompu, est réinvesti en vase clos en Russie et ne sort pas du territoire russe. Il a besoin d'être lessivé, recyclé par de nouveaux gâteaux. L'émergence des sociétés militaires privées est comme créatrice de valeur pour des oligarques et des porteurs d'intérêts autour du président Poutine et des cliques du Kremlin, qui organisent ces sociétés militaires pour promouvoir l'image de la Russie et également dégager des bénéfices. Ils ne font rien gratuitement.
Je suis moins spécialiste de la population. Cela étant, l'un des bénéfices dans les premières années de la politique du président Poutine a été la relance des politiques d'hygiénisme social, destinées à améliorer l'état de santé à la fois physique, mentale et morale des Russes. Effectivement, l'espérance de vie chez les hommes, qui est la plus faible en Russie, a connu un rebond important, avec une diminution de la consommation d'alcool, l'amélioration des mœurs, un meilleur traitement hospitalier et une meilleure prise en charge des enfants. Ce n'est pas encore aux standards occidentaux bien entendu, mais d'énormes progrès ont été réalisés. Cela a permis à la population russe non pas de croître, mais au moins de se stabiliser à la suite d'une prise de conscience que la population russe pourrait disparaître ou en tout cas s'amenuiser.