Intervention de Alice Ekman

Réunion du mercredi 11 décembre 2019 à 9h35
Commission de la défense nationale et des forces armées

Alice Ekman, analyste responsable de la Chine et de l'Asie à l'UISS :

On dit souvent que la Chine a une diplomatie pragmatique et c'est vrai : sa politique étrangère est mise en application de manière pragmatique, mais motivée par un cadre idéologique qui reste présent. L'un n'empêche pas l'autre. La mise en application est basée sur une conscience des intérêts nationaux et la manière de promouvoir au mieux les institutions internationales. C'est une façon finalement assez terre à terre, assez lucide, de promouvoir ses intérêts. Cela existait déjà sous Hu Jintao et cela existe toujours sous Xi Jinping. Ce qui change sous Xi Jinping, c'est le retour de l'idéologie. Il fait davantage référence à Marx que Hu Jintao. Nous pourrions dire que ce n'est que du cynisme, qu'une utilisation politique d'un cadre idéologique à des fins de maintien au pouvoir, etc. Mais encore une fois, l'un n'empêche pas l'autre. À la lecture de tous les discours de Xi Jinping, notamment les discours internes au parti depuis 2012, cela ne peut pas être que du cynisme. Les références rouges sont très virulentes et fortes, ainsi que certains gestes, par exemple la façon dont il a célébré le deux-centième anniversaire de la naissance de Marx, ou sa manière d'employer certaines phrases utilisées par Mao. L'héritage soviétique et l'héritage maoïste demeurent très forts dans la vision du monde de Xi Jinping aujourd'hui. Cela n'empêche pas que nous sommes dans une politique étrangère réaliste avec des intérêts nationaux, avec une base à Djibouti, etc.

Pour revenir à des questions de politique intérieure, pour Xi Jinping, le détour de Deng Xiaoping par le capitalisme était indispensable pour sortir la Chine de la pauvreté, mais il est temps de revenir dans la juste voie du socialisme. Dans l'histoire de l'humanité, selon la rhétorique rouge que vous connaissez mieux que moi, il y a le féodalisme, l'esclavagisme, le capitalisme et à terme, l'idéal communiste, qui est toujours très présent dans les discours. Quand on demande aux cadres du parti si la Chine est communiste, ils répondent : « le communisme est un idéal vers lequel nous devons tous tendre, mais nous n'y sommes pas encore, nous ne sommes qu'à l'étape première du socialisme ». Bien sûr, tout le monde ne dira pas cela, certains chercheurs en politique étrangère sont beaucoup plus pragmatiques. Ceci dit, le pouvoir aujourd'hui est au sein du parti et pas au sein des ministères, il y a une hiérarchie très particulière. Les preneurs de décision en instance ultime ont été formés par l'École du parti, ont eu des lectures obligatoires particulières, ont un cadre particulier qui forme leur vision du monde. Cette vision est cadrée par les antagonismes : pays développés et pays en développement, avec des références à la conférence de Bandung, pays capitalistes et pays socialistes.

L'internationalisme guide encore la politique étrangère chinoise. Bien sûr, ce n'est plus l'internationalisme dont on parlait sous Mao. On considérait alors que la révolution ne serait complète et totale que lorsqu'elle serait mondiale. On ne pouvait pas se contenter d'une révolution sur le territoire national, il fallait aider d'autres mouvements révolutionnaires de par le monde. La Chine ne fait plus cela ne tient plus ce discours-là. Aujourd'hui, elle dit : « il faut contribuer au bien de l'humanité. La Chine est sur Terre pour faire le bien des autres peuples, et ce bien-là passe par une voie de développement, d'influence, d'inspiration, socialiste telle que nous l'avons développée sur notre territoire ». C'est intéressant à analyser parce que cela n'existait pas aussi fortement il y a sept ans. Ce cadre n'a jamais disparu, mais sous Xi Jinping, probablement aussi sous l'influence de certains conseillers influents qui sont officiellement et ouvertement marxistes, tel que Wang Huning, le cadre marxiste de la politique intérieure et extérieure chinoise est omniprésent. Il doit être pris en compte dans l'analyse des rapports de force Chine - États-Unis, parce qu'il y a une dimension idéologique, mais aussi au sujet du rapprochement Chine - Russie ou le type de dialogue Chine - Corée du Nord, Chine - Vietnam, Chine - Laos, même si les intérêts sont là. Les tensions Chine - Vietnam restent fortes parce qu'il y a des tensions en mer de Chine du Sud. Là, nous revenons à une dimension très réaliste. La bureaucratie chinoise fonctionne avec un héritage très léniniste (fonctionnement de l'administration, prise de décision, protocole) ; on l'oublie souvent quand on se rend en Chine. Il y a différentes façons d'être autoritaire ou de cadrer une politique et une population. La méthode chinoise est clairement d'influence maoïste et soviétique.

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