Intervention de Antoine Bondaz

Réunion du mercredi 11 décembre 2019 à 9h35
Commission de la défense nationale et des forces armées

Antoine Bondaz :

Sur l'IA, des plans nationaux ont effectivement été mis en avant et la Chine bénéficie d'un énorme avantage, notamment son pool [vivier, en anglais] de données. C'est le pays avec le plus de données au monde. La méthode d'analyse de ces données souffre encore de certains retards, ayant trait aux équations mathématiques et, concrètement, à l'opérationnalisation de ces données. Nous savons par exemple que de nombreux chercheurs chinois ont été formés en France dans les meilleurs instituts de mathématiques pour rentrer en Chine et essayer d'exploiter ces données. L'APL considère que l'IA est fondamentale. Depuis les années 1990, la Chine considère que les guerres s'informatisent. C'est commun à l'ensemble des pays, et c'est notamment un résultat pour la Chine de l'impression qu'elle a eue de la première guerre du Golfe et du début de l'utilisation par les États-Unis d'armes de précision. À partir de ce moment-là, la Chine a considéré qu'elle était en retard et qu'il fallait considérablement moderniser son appareil militaire. Depuis quelques années, la Chine parle de guerre intelligente, mais ce n'est pas quelque chose qui lui est propre.

Un point concret de l'utilisation de l'IA ou des nouvelles technologies est la robotique. La Chine a investi considérablement en termes de robotique. Elle est en retard en robotique de pointe, mais en robotique appliquée aux militaires, comme les planeurs sous-marins, la Chine se modernise relativement vite et bénéficie de l'intégration civilo-militaire, avec des centres de recherche purement militaires qui vont coopérer avec de jeunes start-up et développer ces planeurs sous-marins qui permettent à la Chine de renforcer ses capacités de détection des sous-marins américains dans la région. Un point très souvent mis en avant par la Chine est l'utilisation des drones quels qu'ils soient. L'ancien chef d'état-major de la marine japonaise disait que l'utilisation des drones en Chine est fondamentale sur le plan politique du fait de la politique de l'enfant unique. Son argument était intéressant. Il était de dire que la Chine ne peut pas se permettre au cours d'une guerre de perdre énormément de soldats puisque l'impact social sur les familles serait considérable. La Chine aura donc tout intérêt à accélérer et à accroître encore plus que les autres pays, notamment les États-Unis, cette idée de guerre autonome. Sur les positions de la Chine sur ce point, la France a mis en avant les onze principes sur les systèmes d'armes autonomes dans le cadre de l'alliance sur le multilatéralisme ; c'était en marge de l'Assemblée générale des Nations unies en septembre 2019. La Chine a donné son consentement à ce texte. Il suffira de voir désormais les négociations.

Sur la cyberguerre, la Chine investit considérablement. En source ouverte, nous avons énormément d'informations. La création de la force de soutien stratégique qui rassemble les capacités cyber et spatiales est un message envoyé par la Chine que la dimension cyberélectromagnétique est fondamentale.

La Chine a des ambitions spatiales. Cette année, elle a réalisé 29 lancements spatiaux. C'est le premier pays au monde en termes de lancements spatiaux. L'arrivée de nouveaux acteurs, notamment de start-up qui, elles-mêmes, sont des sociétés qui permettent de faire des lancements est extrêmement nouveau et novateur en Chine, avec des lancements particuliers, par exemple, un lancement il y a quelques jours à partir d'un tracteur-érecteur-lanceur (TEL) qui permet d'envoyer des intercontinental ballistic missiles (ICBM) ou missiles balistiques intercontinentaux.

Sur la question des différends territoriaux, la Chine a 14 frontières terrestres, 14 voisins continentaux et considère qu'elle est encerclée par les États-Unis. Cela veut-il dire qu'elle va chercher à accroître son territoire ? Je ne le pense pas. La question de l'Arctique se pose. La Russie n'est pas toujours à l'aise avec les ambitions chinoises. Beaucoup estiment que l'Arctique permettra aux SNLE, notamment chinois, de lancer des vecteurs sur les États-Unis. L'argument est à relativiser puisque les Américains ont amassé un nombre d'appareils de détection très important dans l'Arctique. Historiquement, l'URSS devait envoyer ses ICBM par l'Arctique, justement pour frapper les États-Unis. Je ne crois pas vraiment que l'Arctique soit, du point de vue chinois, l'endroit où positionner ses SNLE pour être sûre de pouvoir frapper le territoire américain. La question se pose beaucoup plus dans le Pacifique Sud. Si la Chine parvenait à y déployer des SNLE, elle pourrait contourner une partie des défenses antimissiles américaines.

Ce qui nous est souvent dit à l'École centrale du parti à Pékin, qui forme les hauts cadres qu'Alice mentionnait, c'est que le parti a un rôle d'organisation. Aujourd'hui, il compte 90 millions de membres. L'argument mis en avant par les membres du parti consiste à dire que le parti est là pour organiser un pays tellement grand que sans lui, il ne pourrait pas l'être. Beaucoup d'éléments de langage du parti étaient utilisés avant lui, notamment par le mouvement de renaissance nationale, le mouvement nationaliste dès le début du XXe siècle. La question de la renaissance de la nation chinoise n'est pas une notion propre au parti communiste. Elle est utilisée dès les années 1910-1920 par les nationalistes en Chine. L'idée de « siècle des humiliations » n'est pas propre à la rhétorique du parti communiste. Il est très important aujourd'hui pour le parti communiste chinois de considérer que sans le parti, la Chine s'effondrerait. Un lien est parfois fait de façon abusive entre la Chine et le régime politique, la République populaire de Chine. Je citerai un discours de Xi Jinping en janvier 2018, quelques semaines après l'élection du nouveau congrès chinois. Il disait de façon extrêmement pragmatique : « avec 200 000 membres, le parti communiste de l'Union soviétique a pris le pouvoir. Avec 2 millions de membres, il a réussi à vaincre Hitler. Avec 20 millions de membres, il s'est effondré ». Le message envoyé par Xi Jinping à ses élites est : ce qui est le plus important aujourd'hui pour l'avenir de la République populaire de Chine, c'est l'avenir du parti et ce qui est fondamental pour l'avenir du parti, c'est sa cohésion en interne. Cette dimension et ce qui va être utilisé sur le plan domestique et sur le plan international pour renforcer cette cohésion interne sont fondamentaux.

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