Intervention de Emmanuel Dubois de Prisque

Réunion du mercredi 11 décembre 2019 à 9h35
Commission de la défense nationale et des forces armées

Emmanuel Dubois de Prisque :

Sur l'idée selon laquelle la Chine serait un rival systémique de l'Union européenne, l'ancienne Commission avait produit un papier là-dessus juste avant de partir. C'est un peu surprenant parce que pendant des décennies, le rôle de l'Union européenne était de transformer d'éventuels ennemis en amis sur la base d'une coopération tous azimuts. Tout à coup, on nous explique que nous avons un rival systémique. C'est un peu embêtant. Nous ne savons pas trop comment nous dépêtrer de cela, d'autant plus que l'Europe n'a pas été créée pour faire face à des ennemis. L'ADN de l'Europe est la coopération. Le fait de transcrire dans les lois européennes des règlements européens sur une base volontaire est tout à fait étranger à l'ADN chinois.

La Chine aujourd'hui a énormément besoin de l'UE, dans le sens où elle fait face à cette rivalité avec les États-Unis et donc est en demande vis-à-vis d'elle. En même temps, on ne voit pas bien sur quel dossier elle est prête à faire des compromis. Nous savons que l'UE négocie depuis de longues années un accord sur les investissements. Cet accord butait sur une question tout à fait inattendue il y a encore quelques années : le système de crédit social chinois, ce système qui doit être mis en place l'année prochaine. Ce sera peut-être reporté parce que pour l'instant, il n'y a pas vraiment de système intégré. Ce sont des initiatives locales qui consistent à évaluer et noter le citoyen et les inscrire sur des listes noires. Cela concerne également les entreprises. Les entreprises européennes en Chine sont très inquiètes puisqu'elles seront contraintes de transmettre un grand nombre de leurs données au pouvoir chinois, dont nous ignorons ce qu'il sera en mesure de faire avec. Cela pourra concerner bien sûr des aspects très personnels. Nous sommes dans une situation ennuyeuse.

Alice EkmanEkman a évoqué l'idée du découplage. Évidemment, ce n'est pas à l'ordre du jour en Europe. C'est une idée qui prend plutôt aux États-Unis et en Chine, puisque la Chine insiste à la fois sur le fait que nous avons un futur partagé et sur sa nécessaire indépendance stratégique. Ne devrions-nous pas aussi nous poser des questions très profondes et presque existentielles sur notre éventuelle interdépendance avec un régime chinois qui est porteur de pratiques très différentes des nôtres ?

Cela rejoint la question de la fusion du civil et du militaire. D'une certaine façon, cela fait écho à un tropisme très profond en Chine, c'est-à-dire l'idée selon laquelle il n'y a pas un domaine militaire séparé. Tout est à la fois militaire et civil. Au moment où la Chine réalise sa première unification au troisième siècle avant Jésus-Christ, elle invente la conscription. La guerre n'est plus du seul ressort d'une aristocratie guerrière, mais de toute la société. L'effort militaire, d'une certaine façon, est celui d'une société entière. Nous voyons cela à travers la question du civil et du militaire. Savoir si Huawei dépend du parti communiste ou s'il existe une loi spécifique demandant aux entreprises chinoises de transmettre ces données au pouvoir est quelque peu oiseux, puisqu'il est évident que les entreprises chinoises sont au service non seulement du parti, mais de la Chine. Elles ont vocation à transmettre toutes les technologies qu'elles ont obtenues, même par des moyens légaux, au pouvoir et à l'armée chinoise.

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