Les ambitions territoriales de la Chine suivent une hiérarchie géographique. Les priorités pour la Chine sont : Hong Kong, compte tenu des troubles qui devraient durer, et Taïwan, parce qu'il est perçu comme une anomalie à corriger. En revanche, la mer de Chine du Sud et la péninsule coréenne sont des questions d'environnement géographique. Il y a aussi bien sûr des questions historiques, mais il s'agit de projection d'influence. Taïwan est une erreur à corriger, nous n'avons pas de calendrier officiel donné, mais au plus tard pour 2050.
Oui, la Chine essaie d'être active sur tous les points de tension dans la région. Non, il y a une hiérarchie très claire. Sur Hong Kong et Taïwan, elle sera intransigeante, quelles que soient les positions des uns et des autres. Elle considère que ce sont des questions strictement intérieures et que toutes positions extérieures sont des « forces occidentales hostiles » qui tentent de manipuler la Chine de l'intérieur. D'ailleurs, c'est aussi comme cela que Hong Kong est perçu : comme le résultat des manipulations d'agents extérieurs étrangers. On se rapproche parfois des théories du complot dans les déclarations du porte-parole du ministère des Affaires étrangères ou de la presse chinoise.
L'IA est une question très importante. Depuis longtemps déjà, la Chine investit dans ce secteur. Plus largement, elle a investi auparavant dans le big data et l'analyse des données agrégées à des fins de surveillance, de gouvernance, mais aussi de maintien au pouvoir. La Chine a un temps d'avance. Elle suit de manière très fine l'évolution des tendances d'opinion à partir de ces données. Aujourd'hui, elle investit beaucoup dans les « smart cities », les villes intelligentes. Un certain nombre d'entreprises qui sont au cœur de ce projet accusent le coup des sanctions prises par l'administration américaine puisque Trump a listé Huawei, mais aussi d'autres entreprises telles que Hikvision, Dahua, Megvii, soit toutes les entreprises qui sont au cœur de ce projet chinois intégré de ville intelligente de demain. La Chine va doubler ses investissements en la matière pour être moins dépendante des technologies étrangères. À terme, elle sera capable de proposer un « package » totalement autonome, à la fois dans le domaine des données agrégées, mais aussi des « smart cities ». Si nous anticipons un découplage, il y aura alors deux types de villes, deux types de gestion urbaine, deux types de surveillance en fonction du fournisseur, mais il n'y aura plus de compatibilité possible. C'est l'un ou l'autre. En Europe, il y a une certaine résistance concernant les technologies de surveillance, mais c'est beaucoup moins le cas dans certains pays d'Afrique, y compris au Maghreb. Nous avons vraiment ce potentiel de découplage à terme.
Sur la question satellitaire, il faut quand même citer le cas de Beidou, le système satellitaire chinois, qui a vocation à être une alternative au GPS et progressivement une référence pour le monde. La Chine promeut son système satellitaire dans le cadre des nouvelles routes de la soie et espère qu'un nombre croissant de pays utilisera cette infrastructure. De manière générale, pour la Chine, les nouvelles routes de la soie sont un cadre qui lui permettra à terme d'être moins dépendante des infrastructures étrangères. Elle considère que jusqu'à présent, elle est trop dépendante des infrastructures portuaires, aéroportuaires, ferroviaires et routières gérées par d'autres entreprises étrangères, qu'il est temps d'avoir davantage d'influence et une capacité de supervision y compris sur les systèmes logistiques des ports. La Chine n'investit pas uniquement dans une quinzaine de ports de la Méditerranée. Elle investit également dans les services logistiques, les services de traitement des marchandises, d'acheminement, etc. Les nouvelles routes de la soie sont une étiquette très large, il y a beaucoup de communication autour, mais c'est une façon pour la Chine de mieux gérer la mondialisation, de mieux superviser les flux de marchandises, mais aussi les flux de données et de personnes. Des accords douaniers commencent à être signés entre des pays frontaliers. La Chine a créé des tribunaux d'arbitrage commerciaux pour gérer des différends. Ces tribunaux ne font pas encore référence. La Chine espère pouvoir à la fois acheminer, mais aussi gérer toute la chaîne de déplacement de flux, de personnes, de données. C'est une vocation de très long terme.
La Chine considère que l'élection de Donald Trump est une opportunité à la fois en termes de gouvernance mondiale, pas uniquement de présence en Asie-Pacifique, avec la question de l'Alliance qui pose des problèmes et certains alliés qui se posent des questions sur sa fiabilité et sur son coût, au moment où Donald Trump appelle à partager ses dépenses, mais aussi sur le vide laissé dans les institutions unilatérales. La Chine joue beaucoup, notamment dans son rapport avec des acteurs européens, sur les éventuels points de tension partagés, comme le retrait des États-Unis de l'accord sur le climat, le retrait de l'accord nucléaire iranien, l'approche générale de Donald Trump vis-à-vis du multilatéralisme, pour encourager une coopération avec elle. À Bruxelles, nous voyons une dynamique se dégager. Certains pays européens ont une position très volatile vis-à-vis de la Chine, mais la tendance globale est à davantage de coopération, de coordination. La politique étrangère chinoise a encouragé la réflexion stratégique dans certains États membres et à Bruxelles, parce que quand un pays réfléchit de manière aussi stratégique, cela amène d'autres pays à le faire.
Comment la France est-elle perçue par la Chine ? Les dirigeants chinois sont conscients que le président Macron est ambitieux, qu'il a aussi une capacité d'entraînement en Europe, qu'il voudrait faire des choses au niveau européen. Ils sont conscients que traditionnellement, la France siège au Conseil de sécurité permanent de l'ONU, qu'elle a une volonté de jouer la carte du multilatéralisme. C'est un peu troublant pour la Chine. C'est un marché important. Souvent, on dit que la France n'a pas de poids vis-à-vis de la Chine, mais cette dernière prend en compte cette capacité d'entraînement de la France. Cette capacité a du poids. La Chine aimerait jouer un rapprochement vis-à-vis de l'Europe pour modifier les rapports de force internationaux et isoler davantage les États-Unis. Nous pourrions même nous demander si ce n'est pas à l'approche du département du front uni qui existe toujours à Pékin et Xi Jinping qui fait référence au front uni, c'est-à-dire : « pour mieux isoler l'ennemi principal, on se rapproche des zones grises pour isoler cet ennemi ». Bien sûr, c'est de la géostratégie diluée, mais aujourd'hui, la Chine voit la France et l'Europe comme utiles pour restructurer l'ordre mondial, mais aussi en Afrique pour partager des expériences et une présence que la Chine essaie de développer, mais elle manque d'expérience, de connaissances linguistiques, culturelles, géographiques et géostratégiques de certaines régions, y compris de l'Afrique francophone.