Je suis particulièrement heureux d'être présent parmi vous pour vous présenter les fonctions que j'occupe à Brest depuis maintenant 18 mois. J'en suis d'autant plus honoré que je crois être le premier préfet maritime à être reçu par un tel auditoire. Aussi je vous remercie, Madame la présidente, pour cet honneur que vous me faites et que vous rendez ainsi à notre fonction.
Permettez-moi de débuter par une petite accroche historique, m'inscrivant ainsi dans une longue lignée puisque c'est sous le Consulat, le 27 avril 1800, que Bonaparte – et non Napoléon – a créé la fonction de préfet maritime, seul correspondant du ministre de la marine. Il était, à l'époque, « chargé de la direction des services de l'arsenal et de la sûreté des ports, de la protection des côtes, de l'inspection de la rade et des bâtiments qui y sont mouillés ». Conformément au modèle du préfet territorial, Bonaparte renforçait ainsi la fonction de l'intendant de la marine en la fusionnant avec celle du commandant des ports et en accroissant ses pouvoirs de police en mer. Il confie, pratiquement dès le début, la fonction à des officiers généraux de marine – ce qui restera le cas jusqu'à maintenant. L'avènement de ce commandement unique, fruit d'une longue gestation depuis la création de la fonction d'amiral de France au XIVe siècle, est surtout guidé par une recherche d'efficacité. Depuis, la fonction a bien évidemment évolué. Plusieurs délégations ont été développées. Mais la mission reste conduite avec le même souci d'efficacité.
Dans un premier temps, je propose de vous présenter brièvement les fonctions des préfets maritimes en 2020 et les fameuses trois casquettes dont vous parliez, que je partage avec mes collègues de Toulon et Cherbourg. Je vous expliquerai ensuite ce qui constitue, à mes yeux, la pertinence de notre modèle, avant de préciser les particularités de la zone atlantique.
La première de mes fonctions est celle de préfet maritime. C'est elle qui a conservé le titre original donné par Bonaparte. Aujourd'hui, elle relève des dispositions d'un décret de 2004, le décret n° 2004-112, qui me désigne comme autorité administrative unique, seul représentant de l'État en mer. J'ai ainsi autorité dans tous les domaines dans lesquels s'exerce l'action de l'État en mer, notamment en ce qui concerne la défense des droits souverains et des intérêts de la nation, le maintien de l'ordre public, la sauvegarde des personnes et des biens, la protection de l'environnement, la coordination de la lutte contre les activités illicites. Cette fonction civile interministérielle qui, comme vous l'avez rappelé, relève du Premier ministre, s'inscrit dans le cadre original du modèle de français de l'action de l'État en mer que vient de vous présenter le secrétaire général de la mer.
Mes fonctions s'articulent autour de trois axes. Premièrement, je suis le préfet de l'urgence en mer. Chargé de la gestion des crises, je coordonne quotidiennement, via les centres régionaux opérationnels de sécurité et de sauvetage, les CROSS, les moyens des administrations qui interviennent pour sauver des vies, faire cesser les dangers pour la navigation, mais aussi protéger l'environnement. Je suis également l'autorité de la régulation, en charge de la police administrative générale en mer. Je coordonne, à ce titre, la lutte contre les activités illicites. Je fais assurer le maintien de l'ordre public et réglementer les usages et activités en mer. Enfin, et c'est plus nouveau, le préfet maritime est une autorité de mission en charge de la gouvernance de l'espace maritime et de la planification spatiale maritime. J'exerce cette fonction en tandem avec un préfet coordinateur, qui est un préfet de région, pour l'aménagement de l'espace marin, dans le cadre du développement durable – je pense, bien évidemment, à l'ensemble du dossier des énergies marines renouvelables – et de la protection de l'environnement – essentiellement les dossiers des aires marines protégées. Ce triptyque intervention/régulation/mission me permet d'appréhender globalement le fait maritime.
Ma deuxième fonction, opérationnelle et militaire, est celle du commandement de zones maritimes. Je suis responsable de toutes les opérations militaires qui engagent les moyens de la Marine nationale et des autres armées dans ma zone. Pour ce faire, je relève de l'autorité du chef d'état-major des armées.
Ma troisième casquette est celle de commandant d'arrondissement maritime. Il s'agit d'une fonction organique territoriale, pour laquelle je relève du chef d'état-major de la marine. Dans ce cadre, je suis en relation avec les services déconcentrés de l'État, notamment pour les questions relatives à la sécurité nucléaire des installations, à l'application de la réglementation liée à l'environnement et à la participation de la marine à des activités ne relevant pas de ses missions spécifiques. Je traite aussi du rayonnement des relations avec les autorités civiles et militaires et, surtout, je suis globalement responsable de l'ensemble des marins de l'ouest de la France dans les domaines du moral et de la discipline.
Avant de détailler davantage ces fonctions dans ma zone de responsabilité, il me paraît important de souligner ce qui caractérise la pertinence de cette organisation, dont la conduite au quotidien ne pose pas de difficulté notable, et qui a démontré des qualités de résilience lors de multiples crises dans les différents domaines. À mon avis, ce socle de solidité repose sur une triple cohérence, que j'illustrerai en mentionnant les opérations que j'ai conduites en mars 2019 à l'occasion du naufrage du Grande America.
La première cohérence sur laquelle nous appuyons est celle de l'organisation. Je commande, avec mes trois casquettes, un seul état-major et je suis soutenu par trois adjoints – un par domaine – qui m'apportent chacun toute l'expertise dont j'ai besoin. Je dispose ainsi d'outils partagés de planification et de conduite, qui peuvent aisément s'adapter à toute crise. Dans l'exemple du Grande America, toutes les divisions de mon état-major ont contribué à l'armement du centre de traitement de crise, le CTC – qu'il s'agisse de la division de l'action de l'État en mer pour la gestion de la crise et les relations avec l'armateur et les avocats, de la division opérations pour la conduite des moyens en mer, ou de mon service communication pour répondre aux nombreuses sollicitations médiatiques.
La deuxième cohérence est celle de la continuité spatiale et temporelle de l'action dans l'espace maritime. Dans ma zone de responsabilité, il n'y a pas de rupture de suivi et de conduite des opérations. J'adapte l'emploi des moyens, je dimensionne les engagements et, d'une certaine manière, tout l'espace est couvert sans discontinuité. De même, si une crise se déclenche, je peux adapter notre réponse sans rupture temporelle dans le temps et la durée. Compte tenu de mon positionnement, je suis en mesure d'appréhender le fait maritime dans sa globalité. Dans le cas du Grande America, j'ai ainsi pu assurer la montée en puissance sans discontinuité, en passant d'une opération de sauvetage en mer et d'assistance à navire en danger à une opération antipollution.
La troisième cohérence est celle de l'emploi des moyens et ce, sous deux angles : mutualisation et optimisation. La mutualisation des moyens signifie qu'en tant que directeur des opérations de secours en mer, DOS, je cherche à mobiliser les moyens les plus adaptés pour répondre à une situation de danger ou de crise. Il peut s'agir de moyens institutionnels, civils ou militaires, mais également de moyens privés. Peu importe leur statut. L'efficacité prime. Je peux aussi choisir de les optimiser, en m'appuyant par exemple sur la polyvalence d'un bâtiment de la Marine nationale qui, déployé, peut agir dans le cadre de l'action de l'État en mer tout en menant une opération militaire. Dans le cas du Grande America, j'ai optimisé l'emploi des moyens étatiques, tant les CROSS que les moyens de la Marine nationale, les moyens affrétés et les moyens étrangers – ceux engagés par l'agence gouvernementale espagnole en charge de la sauvegarde maritime, la SASEMAR – ou encore l'agence européenne de sécurité maritime. Cette unicité de commandement de l'emploi des forces assure un continuum défense/sécurité entre la terre et la mer ainsi qu'entre les trois fonctions de l'action de l'État en mer, la conduite des opérations à la mer et le commandement territorial.
J'en viens maintenant, plus spécifiquement, aux particularités de mon théâtre d'opérations, l'Atlantique. Pour l'action de l'État en mer, cet espace maritime est un vaste territoire qui va du Mont-Saint-Michel à la frontière franco-espagnole. Il est marqué par le rail d'Ouessant, véritable autoroute de la mer qu'empruntent chaque jour un peu moins de 120 bâtiments, dont régulièrement des porte-conteneurs chargés de plus de 20 000 containers. Autre caractéristique, le temps est souvent capricieux et mouvementé au large des côtes bretonnes – je pense que les députés bretons ne me contrediront pas ! –, avec en moyenne, un tiers du temps, des conditions de mer supérieure à 5 et du vent supérieur à 30 nœuds. Les cinq marines y sont représentées : la marine de guerre, les marines de commerce, la pêche – qui représente dans son ensemble, en Bretagne, 50 % de la pêche française –, la marine de plaisance et la marine scientifique – avec, entre autres, les flottes d'IFREMER.
Dans le domaine de la plaisance et de la navigation de loisirs, près de 1 500 manifestations nautiques se déroulent chaque année sur ma façade. Il faut, à chaque fois, les accompagner et les réglementer.
Nous faisons face à une forte densité de cas d'urgence en mer, qui se traduit par une augmentation annuelle du nombre d'interventions que nous conduisons. Au titre des événements particulièrement importants, j'ai déjà évoqué le cas du naufrage Grande America. Je dois malheureusement aussi citer le drame qui s'est produit en juin dernier aux Sables‑d'Olonne.
En matière de gouvernance, j'exerce des fonctions de préfet coordonnateur de façade maritime, que je partage avec deux préfets de région désignés à cet effet pour deux espaces maritimes littoraux distincts : l'espace Nord Atlantique - Manche Ouest dont je suis préfet coordonnateur avec le préfet des Pays-de-Loire ; l'espace Sud-Atlantique dont je suis préfet coordonnateur avec la préfète de Nouvelle-Aquitaine.
L'enjeu est l'application, à l'échelle de la façade maritime, d'une politique maritime qui intègre harmonieusement les différentes stratégies sectorielles. Il s'agit de favoriser le développement économique durable en respectant l'environnement marin et la biodiversité et en rétablissant un bon état écologique lorsque celui-ci est atteint, tout en veillant à une cohabitation apaisée et partagée entre les différents usagers. La publication récente du premier volet des documents stratégiques de façade est une illustration de ce rôle de gouvernance, qui va de la participation à la gestion des aires marines protégées, en passant par l'accompagnement du développement des champs éoliens en mer – dont le premier en France verra le jour au large de Saint-Nazaire, donc sur ma façade.
La zone maritime atlantique est donc particulièrement vaste et complexe à tout point de vue. Nous y travaillons, d'ailleurs, en associant largement tous les acteurs – collectivités territoriales, acteurs économiques, tissu associatif et acteurs institutionnels, qu'il s'agisse des services de l'État à terre à terre ou de ses opérateurs comme l'Office français de la biodiversité.
Passons maintenant au commandement de la zone maritime atlantique, à savoir l'une de mes deux casquettes militaires. La simple lecture de la carte illustre son étendue. En effet, ce théâtre part du sud de l'Atlantique, c'est-à-dire des rivages de l'Antarctique, pour remonter tout l'Atlantique Nord – à l'exception des zones de Guyane, des Antilles et de la Manche - mer du Nord – jusqu'au détroit de Béring en incluant l'Arctique. Je n'aurai pas la prétention de vous présenter l'exhaustivité de ce théâtre, mais j'évoquerai quand même les principales opérations que la France conduit aujourd'hui en Atlantique.
L'Atlantique est d'abord un espace de voisinage stratégique. C'est l'océan de nos sous-marins nucléaires stratégiques basés à Brest. Je reviendrai sur les conséquences de ce fait en matière d'opérations. C'est, ensuite, l'océan de nos alliés – l'OTAN et l'Union européenne – avec qui nous travaillons et conduisons des opérations quasi quotidiennement. Mais c'est aussi celui dans lequel d'autres puissances agissent de manière de plus en plus marquée. Je pense en premier lieu à la Russie, mais aussi à la Chine. C'est encore l'espace de nos liens internet – qui passe à 99 % par les câbles sous-marins. Enfin, c'est l'océan de nos voies d'approvisionnement principales.
Le premier volet majeur de nos opérations en Atlantique concerne la défense maritime du territoire. L'objectif est la protection et la surveillance de nos approches maritimes. Nous suivons en permanence les navires d'intérêt, ciblés pour des motifs de sûreté ou qui transitent en direction de nos ports. Tous les moyens aéromaritimes de toutes les administrations sont potentiellement nos yeux et nos oreilles. Je dispose également d'un outil majeur de surveillance du littoral dans ce domaine : une chaîne sémaphorique composée de 25 sémaphores.
Nous nous préparons également au contre-terrorisme maritime. D'une part par la prévention, en disposant occasionnellement des équipes de protection à bord de navires à passagers – principalement sur les ferries reliant la Bretagne à la Grande-Bretagne. D'autre part par l'action, en nous entraînant, en lien avec les autorités terrestres, à une attaque terroriste qui pourrait se manifester en mer, en particulier à bord d'un navire à passagers. La protection de nos approches maritimes passe aussi par la détection et la destruction des nombreuses mines historiques qui constituent un danger potentiel pour les usagers de la mer.
Le deuxième volet opérationnel concerne la mission Corymbe dans le golfe de Guinée, et plus largement l'ensemble de nos actions en faveur de la sécurité dans cette zone. Pour la France, il s'agit d'abord, bien sûr, de soutenir les forces déployées en Afrique et d'être prête à assurer la sécurité de ses ressortissants en cas de crise. Mais il s'agit aussi – et même surtout, aujourd'hui – d'accompagner, en appui du processus de Yaoundé, les marines des pays riverains amis et les structures de cette organisation vers plus de sécurité, notamment face à la pêche illégale, à la piraterie et aux trafics qui menacent leur propre stabilité, avec évidemment des effets potentiels jusque chez nous.
Le troisième volet opérationnel, qui nous préoccupe au quotidien et constitue ma priorité dans la conduite des opérations, est le soutien à la dissuasion. C'est une opération permanente. Elle garantit, d'une part, la liberté d'action de nos sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, nos SNLE, et, d'autre part, sa crédibilité. Dans cette optique, je commande un large dispositif qui permet aux sous-marins de se mouvoir en toute sécurité dans les approches brestoises lorsqu'ils partent en patrouille ou lorsqu'ils y reviennent et de s'entraîner dans nos zones d'approche. Nous assurons la crédibilité de leurs missions, de l'organisation et de la conduite de certains effets, notamment lorsque nous réalisons un tir de missile balistique. Au bilan, il s'agit de sanctuariser une large zone autour du port base et ce, quelles que soient les conditions environnementales ou opérationnelles.
J'ajoute que ce volet opérationnel me conduit à assumer une quatrième fonction – qui n'est pas vraiment une casquette, mais plutôt un képi : le commandement de la défense du Finistère, qui est une spécificité confiée au préfet maritime de l'Atlantique. Il s'agit là d'une responsabilité territoriale opérationnelle permanente visant à assurer la coordination de la protection par des forces terrestres des secteurs et activités liées à la FOST, la Force océanique stratégique. Lorsqu'un SNLE appareille, nous protégeons le goulet de Brest pour garantir qu'aucune attaque ne puisse être menée depuis ses rivages.
Plus en profondeur, et parce que le soutien de notre dissuasion commence au large, je mène des opérations en Atlantique Nord. J'ai évoqué la recrudescence des activités de défense russes dans cette zone. Elle concerne aussi, bien évidemment, la composante sous-marine. L'impérieuse nécessité de sanctuariser les mouvements de nos propres sous-marins nous oblige naturellement à prendre en compte cette réalité, à nous entraîner, à demeurer interopérables avec nos alliés, à acquérir une connaissance fine de notre théâtre et de ses conditions d'environnement, et à y naviguer régulièrement dans tous les compartiments. Aussi effectuons-nous des manœuvres régulières de nos moyens, qu'il s'agisse des frégates, des sous-marins ou des avions de patrouille maritime, à titre national ou en coopération avec nos alliés. Ce besoin de connaissance et de maîtrise est rendu d'autant plus aigu par le caractère exceptionnel de la fonte des glaces en Arctique, zone appelée à prendre une importance stratégique croissante.
J'en viens maintenant à ma casquette de commandant d'arrondissement maritime. D'un point de vue territorial, elle couvre pratiquement la moitié ouest de la France. J'y suis représenté par trois commandants de la marine, les COMAR, à Lorient, Nantes et Bordeaux – étant entendu que ceux de Lorient et Bordeaux exercent aussi des fonctions dans d'autres organisations militaires. Ainsi, le COMAR de Lorient est d'abord commandant de la force des fusiliers marins et commandos.
J'attache en tout cas une grande importance à notre présence dans ces régions, notamment pour des questions de rayonnement, essentiel entre autres pour le recrutement, car je constate les effets croissants de la méconnaissance de notre institution dans les zones les plus éloignées de Brest et de Lorient. Aujourd'hui, l'une de mes principales responsabilités consiste à engager la remontée en puissance de la marine à Brest et à Lorient, permise par la loi de programmation militaire du renouveau que vous avez votée, en particulier en préparant des schémas directeurs d'infrastructures pour accueillir les nouveaux équipements, que ce soient les FREMM – les frégates multimissions –, les FDI – les frégates de défense et d'intervention – ou le nouveau système de lutte antimines. Il s'agit également de traduire dans les faits l'effort consenti pour les conditions du personnel, ainsi que le plan famille.
Ma zone de responsabilité territoriale s'appuie principalement sur la base de défense Brest-Lorient. Celle-ci a une forte coloration Marine nationale, ce qui offre une grande cohérence dans la conduite et la coordination.
Je termine ici ce tour d'horizon nécessairement synthétique de mes fonctions et de mes préoccupations, et je suis prêt à répondre à toutes vos questions.