Nous abordons ici le sujet des moyens qui permettent à la France d'être une puissance maritime. Il ne faut pas se leurrer. L'image de l'élastique prêt à se rompre est souvent utilisée. Or il est déjà en train de se rompre. Je suis certes optimiste, parce que la loi de programme militaire nous permettra d'accroître nos moyens. Mais pour l'instant, en tant que commandant de zone maritime, j'essaie de faire au mieux avec les moyens qui nous restent. Or ils nous permettent de faire le strict minimum de ce que nous devons. Pour illustrer ce propos, je vais citer cet exemple : seules quatre frégates sont actuellement opérationnelles à Brest. L'une d'entre elles est en arrêt technique majeur – c'est normal dans la vie d'un bateau. Une autre accompagne le Charles-de-Gaulle en Méditerranée. La troisième est au large de la Norvège, où elle s'entraîne dans le cadre d'un exercice interallié. Je n'ai donc à ma disposition, pour assurer la protection du golfe de Gascogne, qu'une seule frégate. C'est quand même excessivement mince, même si je peux rappeler celle de Norvège en cas de besoin. Telle est, aujourd'hui, la réalité. Si la frégate dont je dispose rencontre un aléa, je ne pourrai pas mener ma mission. Pour l'instant, nous l'assurons, mais sans aucune marge.
Pour citer un autre exemple, j'ai évoqué la mission Corymbe au titre de laquelle nous sommes censés assurer une quasi-permanence dans le golfe de Guinée. Je viens de reprendre cette permanence il y a une quinzaine de jours, avec un patrouilleur parti de Toulon, le Commandant Bouan, qui doit être au Nigeria aujourd'hui. Mais pendant deux mois, je n'ai pas eu de bateau dans le golfe de Guinée. Il était prévu d'y déployer un patrouilleur de haute mer de plus de 35 ans d'âge. À la suite d'un problème majeur de structure, il a dû rester au bassin à Brest pour être réparé afin que nous puissions encore l'utiliser durant quelques années. Ainsi, durant deux mois, nous n'avions pas de bateau dans le golfe de Guinée. Certes, vu de Sirius, cela n'a pas changé grand-chose. Mais si nos intérêts français avaient été atteints, notamment par un acte de piraterie similaire à celui qu'a connu le Ponant en 2008, nous n'aurions pas eu de bateau français prêt à intervenir rapidement. Je pense que je ne vous apprends rien, car cette situation vous a déjà été décrite par les chefs d'état-major. Vous comprendrez donc que nous attendons avec impatience cette LPM qui nous permettra de combler les trous.
Le domaine dans lequel ces trous sont les plus flagrants est certainement celui des avions et des hélicoptères. L'un des principaux moyens dont je dispose pour l'action de l'État en mer est l'hélicoptère que nous avons basé à Lanvéoc pour assurer ce que nous appelons le SAR, le Search and Rescue. L'an dernier, il a été disponible seul, sans hélicoptère de rechange durant 118 jours – soit quasiment un tiers du temps. Cela signifie que dès qu'une maintenance est programmée, il faut faire appel au complément effectué par l'hélicoptère de Cherbourg. C'est ainsi que durant une dizaine de jours, j'ai bénéficié de l'extension de l'hélicoptère de Cherbourg dans la zone du golfe de Gascogne. La réciproque se produit aussi régulièrement : lorsqu'une maintenance est programmée à l'aéroport de Maupertus, nous faisons une extension de Lanvéoc vers la Manche - mer du Nord. Ma crainte majeure, aujourd'hui, est de me retrouver un jour ou l'autre sans hélicoptère de secours.
Le cas le plus flagrant est celui du Dauphin de service public basé à La Rochelle, lequel est resté indisponible environ un tiers du temps l'an dernier. Heureusement, l'armée de l'air dispose d'hélicoptères Caracal à Cazaux, qui ont également une capacité pour l'intervention en mer. Le 7 juin dernier, par exemple, le Dauphin était indisponible. Certes, sa disponibilité n'aurait rien changé à l'issue malheureusement du naufrage du bateau de la SNSM. Toujours est-il qu'il n'a pas pu faire ses recherches. Dieu merci, j'ai pu utiliser deux hélicoptères de l'armée de l'air.
Jusqu'ici, je n'ai pas manqué d'opérations de secours faute de disponibilité des moyens, mais cela risque d'arriver car je ne dispose d'aucune marge. Je n'ai pas de profondeur organique. C'est la raison pour laquelle le contrat de flotte intermédiaire d'hélicoptères pour la marine est le bienvenu. Il permettra en effet de combler des trous qui n'ont pas encore eu de conséquences réelles, mais qui en auront nécessairement un jour ou l'autre. J'espère donc que cette flotte intermédiaire arrivera en temps utile pour combler ces trous.
Je crois que la France a un potentiel énorme. Je constate la richesse de tous les instituts de recherche implantés à Brest, entre l'IFREMER, le SHOM – le Service hydrographique et océanographique de la marine –, l'Institut universitaire européen de la mer, particulièrement bien placé dans le classement de Shanghai, ou encore l'IPEV, l'Institut polaire Paul-Émile Victor qui travaille sur les zones arctiques. Or quand il s'agit de puissance maritime, il faut également s'interroger sur les moyens confiés à la recherche. Je sais que le directeur de l'IPEV aimerait avoir plus de moyens pour développer la recherche ou mettre à niveau les installations dont il dispose en Antarctique. Tous ces éléments sont liés, quand on parle de puissance maritime.
Le potentiel français est superbe. Il faut le concrétiser. Je partage, en outre, l'avis du secrétaire général quant à la nécessité de faire prendre conscience à l'ensemble des Français de la richesse dont ils disposent avec la mer.