C'est effectivement une idée qui est intéressante.
Je peux maintenant parler des pensions militaires de retraite puisque c'est un sujet qui est attendu. Comme vous l'avez souligné, Monsieur le président Chassaigne, je ne suis pas en mesure d'exprimer le point de vue du Haut Comité lui-même puisqu'il n'a pas encore pris parti sur un projet de rapport.
Néanmoins, le Haut Comité a déjà eu l'occasion de s'exprimer sur le sujet. Comme je le disais tout à l'heure, il y a une « doctrine » du HCECM en matière de pensions militaires de retraite. Elle est exprimée dans son rapport de 2010, dans lequel il soulignait déjà que les pensions militaires de retraite, en France, étaient utilisées aussi comme instrument de gestion des ressources humaines des armées, pour servir des objectifs de défense et pour pouvoir déterminer, en fonction de ces objectifs de défense, un certain format d'armée. Ce format d'armée doit notamment répondre à l'impératif de jeunesse des forces armées. D'ailleurs, cela remonte loin dans l'histoire de France puisque, quand on s'intéresse à l'histoire des pensions militaires de retraite – et M. le contrôleur général s'y est intéressé de très près – on voit que, depuis la fin du Premier Empire, les pensions ont systématiquement servi à ce type d'objectif.
On pourrait imaginer d'autres dispositifs qui viendraient déterminer des formats d'armée, qui viendraient garantir l'impératif de jeunesse des forces armées, d'autres instruments mais ils ne sont pas dans la culture française. Je pense à des dispositifs qui consisteraient par exemple à très bien payer les militaires pendant leur période d'activité et à leur donner ensuite un pécule important pour les faire partir quand on voudrait les faire partir, éventuellement sans pension viagère. Ce sont des systèmes qui sont tout à fait concevables en théorie, mais qui ne sont pas dans notre tradition.
Quand on regarde l'histoire des pensions militaires de retraite, notre tradition est de maintenir un lien entre l'institution militaire et l'ancien militaire à travers le système de pension, de veiller à ce qu'ensuite il puisse avoir une deuxième carrière professionnelle. Ceci est presque à mettre en parallèle avec l'interdiction du mercenariat, mercenariat qui est étranger à la culture des militaires français. Pour pouvoir assurer l'effectivité de cette interdiction du mercenariat, mieux vaut offrir au militaire lorsqu'il quitte son activité, la possibilité et les moyens de recommencer une deuxième carrière.
Je voudrais souligner puisque, Madame la présidente, vous avez rappelé mon appartenance au Conseil d'État, le point suivant : le Conseil d'État dans son avis, qui est maintenant public, a dit un certain nombre de choses en examinant l'article 37 du projet de loi qui comporte des dispositions particulières applicables aux militaires. Je dois vous dire que le Haut Comité d'évaluation de la condition militaire peut se retrouver entièrement dans ce qui a été dit dans cet avis du Conseil d'État. Je vais en rappeler la substance parce que c'est important.
Dans son avis, le Conseil d'État a dit qu'il examinait les règles particulières applicables aux militaires au regard des impératifs de la politique de défense. Il a dit qu'il les examinait au regard du principe constitutionnel de nécessaire libre disposition de la force armée. C'est la décision du Conseil constitutionnel de 2014 (2014-432 QPC). Il a souligné également dans son avis, comme le Haut Comité l'avait dit dans son rapport de 2010, que les règles dérogatoires qui existent actuellement dans le code des pensions militaires de retraite obéissent à des finalités de gestion des ressources humaines des armées. Il a évoqué l'impératif de jeunesse des forces armées, la nécessité d'aptitudes physiques particulières. Il a évoqué la nécessité de carrières brèves et la nécessité ensuite, pour le militaire, lorsqu'il quitte l'armée de pouvoir entamer une deuxième carrière.
Ces points sont absolument essentiels. Ils sont absolument essentiels parce qu'ils disent précisément toute la singularité des pensions militaires de retraite. Le Haut Comité a toujours, lorsqu'il est intervenu sur le sujet, mis en avant le fait que les pensions militaires de retraite obéissent à ces finalités particulières, qu'elles obéissent également à une finalité de reconnaissance de la condition militaire et que l'on ne peut pas évoquer les pensions militaires de retraite en les regardant comme un avantage vieillesse, comme une simple assurance vieillesse. Il y a certes une dimension d'assurance vieillesse. À partir d'un certain âge, il faut pouvoir disposer de ressources. De ce point de vue là, c'est aussi le cas des militaires. Mais il y a une autre dimension : une dimension de gestion des ressources humaines des armées pour déterminer un certain format d'armée et il y a aussi un élément de reconnaissance et un élément de la condition militaire.
Il y a un point qui me paraît très important dans le projet de loi qu'a déposé le gouvernement. C'est ce que le Conseil d'État a estimé comme devant être rajouté. Le Conseil d'État a estimé qu'il était nécessaire, j'insiste sur ce mot, d'ajouter un article dans le code de la Défense, tout en haut du statut. Il a proposé au gouvernement un article L4111-1-1 qui dit la chose suivante : « Les dispositions du chapitre quatre – c'est-à-dire celles qui sont relatives aux militaires et qui figurent dans le code de la Sécurité sociale – concourent aux objectifs de la défense et permettent d'adapter à ces objectifs la structure des forces armées. Elles constituent une composante de la condition militaire. » C'est très important parce que c'est en quelque sorte l'article chapeau des règles particulières applicables aux militaires. Ces règles particulières figurent dans le code de la Sécurité sociale. Cet article chapeau, qui figure quant à lui dans le code de la Défense, donne le sens de ces dispositions particulières et précise que c'est un élément de la condition militaire. Cela me paraît très important, parce que c'est la définition du sens profond de ce que sont ces règles qui, dans le projet de loi, bien que figurant dans le code de la Sécurité sociale, ont ce sens particulier.
Cela me paraît également important sous un autre angle. Le Conseil d'État a suggéré, en termes de gouvernance, que des compétences soient reconnues, par exemple au Conseil supérieur de la fonction militaire, pour donner des avis sur ce sujet. C'est vrai que, quand on met en place un dispositif nouveau, puisque ce système universel de retraite par points est un dispositif entièrement nouveau, la question que l'on se pose, s'agissant des militaires, puisqu'il y a des règles particulières, est de savoir comment ces règles particulières vont vivre. Comment ces règles particulières vont-elles évoluer, être le cas échéant adaptées ? Puisqu'il va y avoir des décrets qui seront pris, qu'il va y avoir une ordonnance, comment les mesures d'application seront-elles pilotées en termes de gouvernance ?
J'exprime là un point de vue personnel, mais il me semble que, quand on lit le projet d'article L4111-1-1 et qu'on lit que ces règles particulières concourent aux objectifs de la défense et permettent d'adapter à ces objectifs la structure des forces armées, qu'elles constituent un élément de la condition militaire, je lis personnellement cette disposition comme signifiant que, pour leur suivi, pour leur évolution éventuelle, pour les mesures d'application, le ou la ministre en charge des armées devra être associé à la préparation de ces mesures. C'est le premier point.
Le deuxième aspect dont je voulais parler est qu'un certain nombre de points seront précisés par décret et seront importants car ils auront une forte incidence sur les pensions militaires : âge d'équilibre, modalités de bonification…. Quand on regarde le projet de loi et ses fondamentaux, un certain nombre de fondamentaux des pensions militaires de retraite sont là, à savoir la retraite à jouissance immédiate, la possibilité d'avoir une deuxième carrière… Le cœur des pensions militaires de retraite est là mais l'article L4111-1-1, article chapeau qui donne le sens, devra aussi guider la façon dont les points organisés par décret devront être conçus.
Comme vous le savez, un très grand nombre de militaires, ceux qui ont des carrières très courtes, ne bénéficient pas actuellement et ne vont pas bénéficier de ces dispositifs particuliers, parce qu'ils partiront au bout de cinq ou dix ans. Concernant ces militaires, le système universel de retraite, à travers la prise en compte des bonifications, devrait pouvoir apporter, dans son principe, une réponse tout à fait satisfaisante à leur situation.