Intervention de Corentin Brustlein

Réunion du mardi 25 février 2020 à 18h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Corentin Brustlein :

Je complète les réponses à certaines questions qui n'ont pas été abordées, celle de M. Lejeune en particulier sur la manière dont l'Europe se protège face aux nouvelles armes. Vous avez mentionné l'exemple de l'Avangard.

Le « zoo » que mentionnait Bruno Tertrais est très hétérogène. Ces armes exotiques, ou « armes du manège » comme on dit également, sont à des stades de développement très variés et certaines n'ont certainement pas vocation à être un jour opérationnelles. Je pense que nous pouvons attendre avant de chercher les moyens de nous protéger du missile à propulsion nucléaire par exemple. Pour l'instant, comme le souligne un ami expert du nucléaire russe, ce sont plutôt les scientifiques russes qu'il convient de protéger de leur propre missile, puisque les drames se produisent de ce côté pour le moment.

Vous avez posé la question de l'Avangard spécifiquement. C'est un missile intercontinental, qui a une tête, une charge utile qui, au lieu de suivre une trajectoire balistique classique, suit une trajectoire planante à très haute vitesse. La vitesse n'est pas plus élevée dans le cadre d'une trajectoire balistique que d'une trajectoire planante. La vitesse restera la même parce qu'elle dépend fondamentalement des moteurs initiaux.

Actuellement, l'Europe n'est pas protégée face aux missiles balistiques russes. C'est un fait, nous n'avons aucune protection. Quand je parle de protection, je parle de protection active, c'est-à-dire de défense antimissile. Nous avons une protection limitée dans un cadre précis qui est celui de l'OTAN et qui ne vise pas la Russie. Elle n'est donc pas du tout optimisée contre les missiles, le type de menace et une trajectoire qui correspondraient à l'arsenal russe. Nous n'avons donc pas de protection, même face à des missiles qui ont des trajectoires balistiques « simples », et les missiles balistiques russes sont tout sauf simples. Il y aurait plus que des simples têtes à bord d'un missile à charge nucléaire.

La question que posent les planeurs hypersoniques est une question qui est en fait un sport de « super riches ». La dissuasion est déjà un sport de riches, la dissuasion océanique ou la dissuasion stratégique sont des sports de super riches. Mais quand on en est à se préoccuper de l'hyper-vélocité, notamment des planeurs hypersoniques, c'est que l'on fait partie des trois grands sur cette question, c'est-à-dire Chine, États-Unis et Russie.

Les planeurs hypersoniques intéressent la Russie pour une seule raison : avoir la certitude que cela passera les défenses antimissiles américaines. C'est uniquement pour cette raison, parce que les défenses antimissiles américaines sont optimisées pour des trajectoires balistiques. En adoptant d'autres types de trajectoire plus complexes, on pourra donc prendre ces défenses par surprise, réduire le délai d'alerte et minimiser les capacités de défense. Ces capacités de défense des forces américaines face aux missiles intercontinentaux russes, à l'heure où nous parlons et à l'horizon prévisible, sont déjà extrêmement faibles. On estime qu'elles seraient déjà bien en peine d'arrêter des missiles nord-coréens bien moins sophistiqués et bien moins nombreux.

La réponse européenne face à des missiles russes à têtes nucléaires a toujours été la dissuasion. C'est la seule réponse qui soit crédible face à un pays comme la Russie qui a un arsenal si divers. Toutefois, cela ne veut pas dire qu'il n'est pas nécessaire de chercher une autre réponse au développement capacitaire de la Russie, notamment dans la perspective des suites du traité FNI. Nous voyons que la Russie investit massivement dans des missiles qui ont une portée faite pour le théâtre européen, désormais de type sol-sol donc moins onéreux, pouvant être produits en plus grand nombre, probablement afin de pouvoir prendre pour cible des installations militaires critiques de l'Alliance dans l'hypothèse d'une crise ou d'une d'escalade. Face à ce type de menace, nous pouvons éventuellement réfléchir à un rôle limité de défense antimissile. Avons-nous les capacités de protéger les centres de commandement de l'Alliance qui permettent concrètement de gérer une crise face à la Russie et de superviser l'ensemble des opérations ? C'est une question qui peut se poser. À ce stade, l'essentiel de l'approche de l'Alliance reste de faire comprendre à la Russie que, quand elle en est à viser un effet stratégique, même à l'aide d'armes conventionnelles, face à l'OTAN, c'est-à-dire à frapper des cibles vitales critiques dans le cœur du continent européen, elle doit avoir une incertitude sur le type de réponse que cela pourrait susciter. La priorité reste à mon sens de maintenir ce doute bien présent dans l'esprit de la Russie.

Monsieur Favennec Becot, vous avez posé deux questions. Sur les biens à double usage, nous sommes loin de mon domaine de compétences, donc je me garderai de m'exprimer sur l'exhaustivité des dispositions existantes. Il y a des points de vigilance auxquels je me suis intéressé de manière temporaire, qui sont liés par exemple à de nouvelles technologies comme la fabrication additive qui peuvent poser un certain nombre de questions. La prolifération des technologies de fabrication additive est un point d'attention légitime, mais qui est, à ma connaissance, largement pris en compte par les autorités gouvernementales.

Sur la question du « Brexit », l'accord de Lancaster House ne prévoit pas de mutualisation des forces océaniques britannique et française. Il prévoit une mutualisation des coûts sur certaines installations de radiographie requises dans le cadre du programme de simulation, qui était français, mais avec une installation conjointe, qui est utilisée de manière alternée par les équipes de l' atomic weapons etablishment (AWE) et du commissariat à l'énergie atomique (CEA). Ces accords ne sont pas remis en cause par le « Brexit ». Le « Brexit » amène Londres à réaffirmer sa vocation européenne de toutes les manières possibles et imaginables.

Toutefois, le « Brexit » n'est pas sans poser un certain nombre de questions à long terme et ne va pas être sans effet sur la dissuasion nucléaire britannique. Nous pouvons imaginer plusieurs hypothèses, comme l'hypothèse d'une indépendance écossaise, que nous ne pouvons pas forcément évacuer et qui poserait la question du maintien de Faslane en Écosse. L'Écosse est très antinucléaire. Il y aurait certainement un compromis qui pourrait être trouvé, mais cela pourrait compliquer beaucoup de choses. De manière plus indirecte, il peut arriver que l'accord trouvé avec l'Union européenne tarde, qu'il soit insatisfaisant du point de vue de l'économie britannique ou que celle-ci doive affronter une récession drastique. Les Britanniques ont dans les prochaines années des échéances extrêmement importantes en termes de renouvellement de leur arsenal, que ce soit pour leurs sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) et en termes d'augmentation des crédits, pour leurs SNLE ou même pour la nouvelle tête. Dans le débat britannique, ce sont des décisions qui ne sont absolument pas garanties et qui sont politiquement très sensibles. À mon sens, le « Brexit » n'a pas de conséquence directe. De manière indirecte, il y a clairement des points de vigilance.

Monsieur Chassaigne, vous avez posé la question du chemin vers le désarmement qui serait crédible et compatible avec la vision exposée par le président de la République. Nous connaissons ce chemin, dans une large mesure. Nous avons réalisé nationalement un certain nombre de paliers que d'autres sont nombreux à ne pas avoir franchis, que ce soit l'arrêt de la production des matières fissiles, que ce soit l'arrêt des essais nucléaires et le démantèlement des installations. Ces points sont des évidences.

Je pense que, si l'on réfléchit aux prochaines étapes, on réfléchit à des niveaux d'ambition moins élevés. C'est à mon avis tout le sens de la partie du discours du président de la République portant sur la maîtrise des armements et sur la nécessité de réinventer cet outil. Nous n'allons pas régler le problème du désarmement subitement, alors que l'environnement stratégique est dans une situation pire qu'il ne l'a été depuis trente ans. Toutefois, les mesures de confiance et de sécurité telles qu'elles ont été conçues pendant la guerre froide pourraient être adaptées pour faire face de meilleure manière aux dynamiques d'escalade, y compris celles qui pourraient prendre de nouvelles formes.

Par exemple, le document de Vienne existe encore. C'est encore un document largement contourné par la Russie dans sa mise en œuvre, mais il existe et il a une certaine valeur. L'OTAN a d'ailleurs conduit un certain nombre de travaux pour convenir d'une proposition pour retravailler ces documents. Nous pouvons imaginer des avancées assez pragmatiques pour réussir à réduire ce qu'on appelle les risques stratégiques, c'est-à-dire les risques d'escalade entre puissances nucléaires, mais encore faut-il réussir à préserver ce que nous avons, c'est-à-dire le traité New Start, le traité Ciel ouvert et le document de Vienne.

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