Intervention de Florence Parly

Réunion du vendredi 17 avril 2020 à 15h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Florence Parly, ministre des armées :

Nous tenons également à rendre hommage à l'adjudant-chef Olivier Michel et au brigadier Vincent Monguillon. Chaque jour, à l'entraînement ou en opération, nos soldats, marins et aviateurs risquent leur vie pour défendre la France et protéger les Français. Leurs cinq camarades blessés ont été immédiatement pris en charge par les hôpitaux de Toulouse et de Tarbes, et j'en remercie le personnel soignant et les secours, déjà très fortement sollicités.

Je vous adresse également tous mes vœux de santé. La maladie est entrée dans votre quotidien d'élu et nos concitoyens vous interrogent. Dès les prémices de cette crise, les armées se sont mobilisées, en France comme à l'étranger, contre l'épidémie, malgré l'épidémie, pour soutenir nos concitoyens, en particulier nos personnels de santé et les plus vulnérables.

Le Covid change-t-il nos plans et nos prévisions ? Oui, nous devons bien sûr nous adapter à cet environnement inédit. Le Covid nous dévie-t-il de nos objectifs et de nos missions ? Non. Le Covid n'ôte rien à l'urgence des combats que nous menons pour les Français, ni à notre détermination, pas plus qu'il ne fait disparaître les menaces, Daech ou Al Qaïda. Le virus pourrait même être saisi comme une opportunité par ces groupes terroristes, ne serait-ce qu'à des fins de communication : c'est déjà ce que fait Boko Haram pour déstabiliser les États du Sahel. N'oublions pas non plus que Daech et Al Qaïda ont depuis longtemps manifesté un intérêt pour les armes nucléaires, radiologiques, biologiques, chimiques (NRBC), et particulièrement leur composante biologique.

Mais nous ne nous laisserons pas distraire. La lutte contre le terrorisme reste ma priorité. C'est pourquoi Résilience est bien distincte de Sentinelle, et c'est pourquoi nous maintenons notre engagement au Sahel et au Levant, avec près de 6 000 personnes. Notre combat ne faiblit pas, il s'adapte aux circonstances. Au Sahel, les unités ont été relevées en février, juste avant que la crise ne touche la France. Le mandat actuel pourrait être prolongé d'un ou deux mois au besoin. La relève du poste de commandement de la force Barkhane est intervenue plus récemment, avec des mises en quatorzaines dès le départ.

Nous maintenons la pression sur les terroristes et nous continuons à accompagner nos partenaires au combat dans la région des trois frontières : les terroristes sont frappés durement et régulièrement, comme nous nous y étions engagés lors du sommet de Pau. Du coup, les forces armées des pays du G5 Sahel s'affermissent à nos côtés et reprennent confiance face à la menace. Il est essentiel de pérenniser ces résultats encourageants. Nous avons lancé officiellement la task force Takuba le 27 mars dernier. Malgré l'épidémie, la coalition pour le Sahel tient bon. Nos alliés européens sont toujours présents à nos côtés, preuve que l'Europe de la défense est solide et solidaire, même en temps de crise. Reste à savoir comment le continent africain absorbera l'épidémie. La France a pris des initiatives multilatérales importantes pour soutenir les pays africains les plus pauvres, et il n'est pas exclu que nous fassions évoluer nos modes d'action.

Au Levant, l'épidémie et la montée des tensions entre les Américains et les milices chiites en Irak ont conduit les forces irakiennes à suspendre les activités de formation. Nous avons donc rapatrié nos formateurs il y a deux semaines. Cette suspension est temporaire : notre objectif reste de défaire durablement Daech au Levant. Nous disposons toujours de capacités de surveillance et de frappes, en coordination avec les Américains et les Britanniques. La base aérienne H5 en Jordanie est toujours opérationnelle et nos avions volent tous les jours. Au Liban, la force Daman, au sein de la FINUL, a effectué ses relèves avant la crise.

Dans le Golfe, en revanche, nous avons été contraints d'en repousser certaines du fait de la fermeture des frontières. C'est le cas des quelques dizaines de militaires déployés au Koweït et de la task force Jaguar en Arabie Saoudite.

En mer, la mission Agénor de surveillance maritime dans le détroit d'Ormuz se poursuit avec les Néerlandais, avec un seul point d'appui à Abou Dhabi, les autres ports de la région ayant progressivement fermé. Seule l'opération Corymbe, dans le Golfe de Guinée, a été suspendue : la fermeture des ports de la région ne nous a pas laissés d'autre choix. Nous discutons avec un des pays riverains pour obtenir l'autorisation d'organiser des escales techniques.

Les autres opérations se poursuivent au prix d'adaptations temporaires, et notamment des quatorzaines systématiques avant le départ en mission. La santé de nos militaires étant le nerf de la guerre, notre stratégie est simple : prendre en charge tout militaire déployé dès l'apparition de symptômes.

L'état de santé des marins du porte-avions Charles de Gaulle me tient particulièrement à cœur : quand on est ministre des armées, on a charge d'âmes. 1 760 marins étaient à bord du porte-avions depuis le 21 janvier : d'abord engagés dans l'opération Chammal en Méditerranée orientale, ils ont ensuite participé à plusieurs exercices multinationaux et à la protection des approches maritimes européennes en Atlantique nord et en mer du Nord – leur mission devait se poursuivre jusqu'au 24 avril. Mais, le 7 avril, j'ai été informée par le chef d'état-major de la marine de la présence de trente-six cas symptomatiques à bord. J'ai aussitôt pris la décision de mettre fin à la mission du porte-avions et d'anticiper le retour du groupe aéronaval. Le même jour, j'ai ordonné l'envoi immédiat d'une équipe du Centre d'épidémiologie et de santé publique des armées (CESPA) pour réaliser une enquête et une première série de tests.

Dès le 8 avril, cette équipe a réalisé une soixantaine de tests à bord, dont cinquante se sont révélés positifs. Sur ses conseils, trois marins ont été évacués le 9 avril et l'un d'eux est toujours en réanimation. Parallèlement, nous avons commencé à organiser la manœuvre de débarquement sanitaire, en lien avec les autorités locales de Toulon. Les marins de toutes les unités – le porte-avions, les frégates, le pétrolier ravitailleur, état-major embarqué, aéronefs – ont regagné leur base, les avions et hélicoptères dès le 11 avril, les bâtiments les 12 et 13 avril. Les marins du porte-avions et de la frégate de défense aérienne Chevalier Paul sont confinés au sein de la base navale de Toulon, du pôle Écoles Méditerranée de Saint-Mandrier et de la base d'aéronautique navale d'Hyères. Les pilotes ont été pris en charge et confinés pour quatorze jours sur leur base aéronavale : Hyères pour les hélicoptères, Lann-Bihoué pour les Hawkeye, Landivisiau pour les Rafale. En raison des résultats négatifs de l'enquête épidémiologique, l'équipage de la frégate anti-sous-marine La Motte-Piquet basée à Brest a été autorisé à effectuer son confinement à domicile.

Pour les mêmes raisons, deux groupes ont été différenciés au sein de l'équipage du bâtiment de commandement et de ravitaillement Somme : une centaine de marins négatifs ont été autorisés à effectuer sa période de confinement à domicile, tandis qu'une soixantaine de « cas contacts » restent confinés par précaution au centre d'instruction navale de Brest.

Cette campagne de tests sans précédent se poursuit : 2 010 tests ont permis de détecter 1 081 marins positifs ; tous les résultats ne sont pas encore connus. Cinq cent quarante-cinq marins présentent des symptômes. Ils sont tous sous surveillance médicale étroite du service de santé des armées et vingt-quatre sont hospitalisés à l'hôpital d'instruction des armées Sainte-Anne de Toulon, dont un en réanimation.

La situation est complexe car beaucoup de personnes infectées n'ont pas ou peu de symptômes ; la détection n'est pas simple et la situation est très évolutive. Au fur et à mesure de la campagne de tests, nous adaptons les conditions de logement des marins, en isolant dans une chambre seule chaque marin négatif et en logeant deux par deux les marins positifs ne nécessitant pas d'hospitalisation, afin de garantir une surveillance mutuelle.

Geneviève Darrieussecq se rendra en début de semaine prochaine à Toulon pour apporter notre soutien aux marins et s'assurer de leur bonne prise en charge. Le navire sur lequel continuent de se relayer trois équipes de service est décontaminé par une équipe du deuxième régiment de dragons de Fontevraud. Nous en sommes à 30 % du chantier.

La maladie, le confinement sont des épreuves supplémentaires, au retour d'une mission exigeante dont nos militaires peuvent être très fiers. Mais il fallait les protéger ainsi que leurs familles. Pour ce qui est de l'origine de la contamination, l'enquête épidémiologique en cours retracera le cheminement du virus jusqu'au porte-avions. Une enquête de commandement établira les décisions prises par les différents acteurs et permettra de tirer les enseignements de la gestion de l'épidémie.

Plusieurs hypothèses sont à l'étude : le porte-avions a fait escale à Brest entre le 13 et le 16 mars, juste avant le début du confinement en France, un mois après l'escale effectuée à Limassol, à Chypre, du 21 au 26 février. Cette escale a été maintenue sur décision du commandement opérationnel de la marine nationale pour des raisons logistiques mais aussi de régénération de l'équipage, très sollicité.

Le commandant du porte-avions a-t-il souhaité interrompre la mission lors de cette escale ? Cette rumeur est fausse. Elle a été démentie par le commandant puis, de façon publique, par le porte-parole de la marine nationale. Le commandement pouvait-il mesurer l'ombre portée de l'épidémie ? Les activités prévues lors de cette escale et la venue des familles à bord avaient été annulées. En revanche, les marins étaient autorisés à voir leur famille à terre moyennant certaines précautions. En pareille chose, il faut savoir rester humble : le commandement est un art difficile, les connaissances sur le virus et l'épidémie étaient alors limitées et les restrictions n'étaient pas encore en vigueur. Et nous ne savons toujours pas encore si le virus était présent à bord avant l'escale du 13 mars. L'enquête épidémiologique devra répondre à cette question et retracer l'enchaînement qui a conduit à la propagation du virus dans ce cluster si particulier. Parallèlement, l'enquête de commandement permettra de retracer les décisions prises et la manière dont les mesures prescrites ont été appliquées. Je souhaite qu'elles soient menées sereinement et sans parti pris. J'ai demandé que leurs conclusions soient rendues publiques, afin que tout un chacun puisse savoir exactement ce qui s'est passé, et que nous puissions collectivement tirer les leçons de cette situation inédite.

Nos armées sont fières, courageuses et résolument engagées dans la protection de nos concitoyens. Protéger la santé de nos forces est donc ma priorité car elle conditionne leur capacité à remplir leur mission au service des Français : protéger, défendre, dissuader. Je continuerai évidemment de suivre attentivement l'évolution de la santé de nos marins, comme je le fais chaque jour pour l'ensemble des personnels du ministère. La médecine des forces a récemment créé un service de télémédecine. Des consultations à distance sont organisées à destination du personnel civil et militaire du ministère, ainsi que de leurs familles ; je tiens à saluer cette initiative du service de santé des armées. C'est cet esprit d'innovation et cette rapidité d'exécution qui fonde la résilience de notre nation.

Notre enjeu collectif, c'est que la nation reste debout. Cette crise nous a plongés dans l'inconnu mais, pour les armées, l'inconnu ne signifie pas l'inattendu. La capacité d'adaptation dont nos militaires savent faire preuve au quotidien, notamment en opération, est particulièrement utile dans la lutte contre le Covid-19. L'opération Résilience, lancée le 25 mars par le Président de la République a pour but d'apporter de la cohérence, de la coordination et du commandement à l'ensemble de nos missions ; elle s'articule autour de trois piliers essentiels.

Premièrement, le soutien médical et sanitaire : les opérations de vol MORPHEE, les vols médicalisés d'hélicoptères de l'armée de terre et de l'armée de l'air, l'évacuation de patients par le porte-hélicoptères amphibie Tonnerre.

Deuxième pilier : le soutien logistique. Le PHA Mistral est arrivé hier à Mayotte avec plusieurs centaines de tonnes de fret, dont des denrées alimentaires et du matériel médical. Le PHA Dixmude est en train d'accoster à Saint-Martin, aux Antilles.

Troisième pilier : les missions de surveillance et de protection. Trente-cinq missions en cours pour protéger des entrepôts contenant du matériel médical ou pour dissuader des pillages.

L'opération Résilience a accompli 284 missions au total, soit douze missions par jour. Elle a ainsi permis le déplacement de 143 patients et de 152 soignants sur le territoire et vers l'étranger pour soulager les hôpitaux les plus éprouvés ; 6 125 personnes ont été accueillies au titre du Covid-19 dans les hôpitaux d'instruction des armées ; plus de cinquante missions ont été réalisées pour la désinfection d'aéronefs ayant transporté des patients ou de bâtiments publics. Des équipes logistiques spécialisées ont été mises à disposition des agences régionales de santé dans neuf départements. Du matériel médical et sanitaire a été livré à des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), des centres hospitaliers et des établissements funéraires.

De son côté, la direction générale de l'armement (DGA) met son expertise technique et sa capacité d'innovation au service de la lutte contre le virus. Depuis la mi-mars, l'établissement de Vert-le-Petit, spécialisé notamment dans la protection biologique, s'est mobilisé pour contribuer à définir un cahier des charges de fabrication de masques grand public. À ce jour, près de 400 équipements ou matériaux ont été testés dans le laboratoire de la DGA, et les industriels produisent désormais massivement ces modèles. La DGA a également, à travers l'Agence de l'innovation de défense, apporté son soutien financier à plusieurs PME proposant des tests de diagnostics virologiques ou sérologiques.

Avant de répondre à vos questions, il me semble essentiel de vous dire quelques mots sur l'Europe. Nous sommes tous, et tous en même temps, éprouvés par cette crise. Nos pays sont dans leur majorité confinés et, à l'heure où certaines puissances sont tentées d'instrumentaliser cette crise pour renforcer leur emprise, nous nous montrons soudés. Je suis fière que nous défendions la coopération plutôt que le repli sur soi, la solidarité européenne plutôt que l'oubli de nos partenaires.

La solidarité européenne s'est exprimée à de nombreuses reprises : ainsi, l'Allemagne, le Luxembourg, l'Autriche et la Suisse ont accueilli dans leurs hôpitaux des patients français. J'échange très régulièrement avec mes homologues, ainsi qu'avec les membres de l'initiative européenne d'intervention (IEI). C'est dans le cadre de l'IEI que nous avons envisagé une coopération avec les Pays-Bas et le Royaume-Uni dans les Antilles, puisque nos trois pays acheminent des moyens dans la région. Cela s'est traduit par la création d'une cellule de coordination tripartite basée à Fort-de-France. L'Europe est capable de créer des projets concrets pour défendre ses intérêts. Une task force a été mise en place pour accroître nos échanges sur la gestion de la crise du Covid-19. L'Union européenne devra jouer un rôle important pour nous aider à sortir de la crise et à progresser vers une Europe plus résiliente et plus souveraine.

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