Intervention de Claire Landais

Réunion du jeudi 30 avril 2020 à 10h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Claire Landais, secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale :

Le SGDSN s'est d'abord organisé pour continuer de remplir, de manière dématérialisée, ses missions essentielles comme le contrôle de l'exportation des matériels de guerre – la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) se réunissant désormais en audio ou en visioconférence grâce aux outils sécurisés Osiris et Horus – ou le chantier de l'Instruction générale interministérielle n° 1300 essentiel en vue de moderniser la gestion des informations classifiées.

Sa mobilisation en matière de sécurisation des communications l'a également conduit à tenir, à la demande du Président de la République, des conseils de défense en visioconférence.

Le décret du 21 avril 2020 a par ailleurs donné naissance à un service à compétence nationale dénommé « opérateur des systèmes d'information interministériels classifiés » fusionnant une sous-direction de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) et le Centre des transmissions gouvernemental (CTG).

Le SGDSN continue en outre à travailler avec la direction interministérielle du numérique (DINUM) au renforcement du réseau interministériel de l'État et à sa capacité à prendre le relais du Réseau interministériel de base uniformément durci (RIMBAUD).

La crise a bien entendu eu un impact sur l'action de l'ANSSI en matière de protection contre les attaques cyber, qu'elle assure notamment auprès des opérateurs d'importance vitale (OIV) – auprès des centres hospitalo-universitaires (CHU) par exemple – et sur le plan stratégique.

Elle continue en outre, compte tenu de la très nette augmentation de la petite cybercriminalité due à notre nouvelle exposition collective au risque numérique, à veiller sur le Groupement d'intérêt public action contre la cyber-malveillance (GIP ACYMA).

Elle participe également au côté des équipes de Cédric O à la réflexion sur l'application StopCovid, et se trouve très mobilisée en matière de systèmes d'information et de plateformes de traitement de données hétérogènes nécessaires à la gestion et au pilotage de la crise.

Le SGDSN a également été chargé de coordonner, notamment avec le Service d'information du Gouvernement (SIG), les efforts en matière de lutte contre la manipulation d'informations, la crise sanitaire pouvant être aggravée par certaines d'entre elles conduisant nos concitoyens à adopter des comportements totalement contre-productifs.

Il coordonne également, notamment avec la direction générale des entreprises (DGE) de Bercy et au travers du comité de liaison « Colisé », la sécurité économique puisqu'il faut protéger les acteurs détenant des savoir-faire ou des technologies stratégiques qui peuvent aiguiser l'appétit de pays partenaires ou adversaires.

Le retour d'expérience de la crise impliquera de se réinterroger sur les concepts de résilience, de souveraineté, d'autonomie stratégique et sur la relocalisation sur le sol national de certaines capacités productives : le SGDSN y veillera, en collaboration notamment avec la DGE et avec le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI).

Plus précisément, dans le cadre de la crise du Covid-19, le SGDSN a d'abord rempli un rôle de préparation de la nation. Ce rôle donne lieu à la rédaction de plans interministériels, aujourd'hui au nombre de quinze, dont le pilotage est assuré par la direction de la protection et de la sécurité de l'État (DPSE) : lutte contre des acteurs malveillants, contre le terrorisme, contre la menace cyber ou liés à des risques technologiques, industriels, naturels ou sanitaires. Dans ce champ sanitaire, figure notamment, le PNPLPG, né en 2004 et dont la dernière version date de 2011. Certes, s'agissant d'un plan concernant une pandémie de grippe, il tablait sur la découverte à brève échéance d'un vaccin et n'était donc pas directement applicable au le Covid-19 qui est un virus distinct. Mais il a inspiré notre réflexion au début de la crise, dans sa version non sanitaire, notamment lorsque nous avons élaboré avec le ministère des solidarités et de la santé un guide d'aide à la décision stratégique diffusé auprès de tous les autres ministères le 26 février dernier.

Si le SGDSN ne joue en principe aucun rôle dans la conduite opérationnelle de la crise, aux termes de la circulaire d'organisation de la gestion de crise du 1er juillet 2019 qui détaille notamment les différentes dimensions de la cellule interministérielle de crise (CIC) – celle-ci a été activée le 17 mars –, il a pourtant été amené à apporter son aide et à renforcer les équipes du ministère de la santé. Il travaille en outre très activement sur l'anticipation et, à court terme, à la préparation du compte à rebours qui nous sépare du 11 mai, et aux différentes hypothèses – flambée de violence, captation de tous les vaccins par une puissance étrangère, déplacements massifs de populations– qui nous écarteraient du scénario idéal de sortie de crise.

Le SGDSN anime également le réseau des hauts fonctionnaires de défense et de sécurité, également, pour la grande majorité d'entre eux, secrétaires généraux des ministères, qui a été mobilisé au début de la crise notamment pour activer les plans de continuité de l'activité et qui l'est aujourd'hui dans la perspective de la reprise prochaine.

Il a par ailleurs été chargé de missions inédites. À la suite de la réquisition par le Gouvernement début mars des masques sanitaires au profit du monde de la santé, assouplie le 21 mars pour les importations inférieures à 5 millions d'unités mais interdisant toute exportation, il a ainsi dû garder un œil sur les demandes de pays voisins, dans une logique de solidarité européenne qui l'a parfois conduit à permettre l'exportation de de volumes contrôlés.

J'en viens à la chronologie, en rappelant que le SGDSN ne fait aux termes de l'article R*1132-3 du code de la défense, que suivre l'évolution des crises en lien avec les départements ministériels concernés, ce qui explique qu'il peut suggérer au Premier ministre d'activer la CIC. Il n'est pas chargé de la détection et de l'analyse des signaux faibles d'un risque sanitaire montant et n'en a d'ailleurs pas les moyens. Cette responsabilité revient en effet au ministère de la santé. Je vous renvoie à cet égard aux propos de Jérôme Salomon et Katia Julienne devant la mission d'information Covid-19. C'est donc logiquement leur ministère qui, dès le 10 janvier, a été entièrement à la manœuvre, d'abord pour envoyer un message aux agences régionales de santé (ARS), puis un autre, le 14 janvier, aux établissements de santé, sachant que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) n'avait fait officiellement état de la découverte du virus que le 7 janvier.

Le Centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales (CORRUSS) a quant à lui été activé et renforcé dès le 22 janvier, comme le Centre de crise sanitaire à la fin de ce même mois : il n'y a donc pas eu de temps de latence dans la prise de conscience de la crise sanitaire.

Après avoir demandé au chargé de mission compétent de faire le lien avec la direction générale de la santé (DGS) dès le 21 janvier, avant de détacher entièrement cet effectif auprès du directeur général de la santé, le SGDSN a organisé dès le 29 janvier une première réunion sur la nature de la crise et sur la dimension interministérielle de la réponse à y apporter.

On a pu croire pendant un moment que la crise resterait circonscrite à son aspect sanitaire et à son point d'origine, comme cela avait été le cas pour d'autres épidémies. Le stade 1, dans lequel la France s'est trouvée placée dès janvier avait pour objet d'empêcher l'entrée du virus sur le sol national, le stade 2, déclenché le 29 février, de freiner sa propagation, et le stade 3, déclenché le 14 mars, de gérer les effets de la pandémie présente. C'est à ce dernier stade, qui s'est notamment concrétisé par le confinement, que l'importance de la crise a justifié que sa gestion ne relève plus seulement du centre de crise sanitaire mais aussi, pour le champ non sanitaire, de la cellule interministérielle de crise (CIC), activée le 17 mars. L'aspect interministériel était déjà présent avant cette date puisque, dès le 29 janvier, le SGDSN avait réuni les hauts fonctionnaires de défense et de sécurité et que, fin février, Jérôme Salomon a annoncé la constitution d'une task force à ses côtés où tous les ministères étaient représentés. Les aspects sanitaires et non sanitaires sont donc gérés par des pôles dédiés, auxquels il faut ajouter le centre de crise du MEAE, mais sous la supervision du cabinet du Premier ministre, grâce à une CIC de synthèse assurant une action d'ensemble cohérente.

Pour répondre à votre dernière question, je me garderai de dresser un tableau exhaustif des stocks de produits de santé, d'abord parce que je n'ai la vision que d'une petite partie. Nous consacrons actuellement nos efforts à la gestion de la crise, et non à déterminer ce qui s'est passé au cours des années précédentes. Si, en tant que fonctionnaire, j'ai constamment en tête l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, selon lequel « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration », je pense que nous ne sommes pas forcément en mesure de rendre compte dès aujourd'hui de tout ce qui a pu se passer. Mais la question est légitime. Par ailleurs, mon institution est chargée de la coordination de la préparation à la crise et non de la constitution de stocks, a fortiori quand cette dernière relève d'un secteur ministériel particulier. En vertu du code de la défense et du code de la santé publique, le ministère de la santé doit préparer le système sanitaire à la crise et dispose pour cela d'outils – autrefois l'établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS), aujourd'hui Santé publique France. Ce qui relève de la responsabilité du SGDSN, c'est de savoir si les moyens sectoriels, civils et militaires, sont coordonnés de façon satisfaisante, et pas de se prononcer sur le fait que les stocks stratégiques de chaque ministère sont suffisants ou non, même si, selon les domaines et les crises envisagées nous pouvons avoir plus ou moins d'outils ou de leviers à notre disposition et donc plus ou moins de visibilité sur les moyens ministériels de réponse à la crise.

Le SGDSN a publié en 2013 un document aujourd'hui abondamment commenté dans les médias, intitulé « Nouvelle doctrine de protection des travailleurs face aux maladies hautement pathogènes à transmission respiratoire ». Désignée à tort comme une rupture dans la doctrine de constitution des stocks, cette note portait en fait sur un champ spécifique, celui de la protection des travailleurs employés par les ministères, les établissements publics et les opérateurs d'importance vitale Au-delà de la question des masques, ces quelques pages visaient à préciser les dispositions imposées par le code du travail aux employeurs concernés, en relayant une position affirmée dans un avis de 2011 par le Haut conseil de la santé publique sur les indications respectives du port du masque FFP2 – qui protège son porteur des virus – et du masque chirurgical – qui empêche son porteur de projeter des gouttelettes sur les autres. Saisi par le directeur général de la santé à la suite de la polémique de 2010 sur ce qui a été présenté comme un surstockage de capacités, le HCSP réaffirme en 2011 que le port généralisé du masque par la population française n'est pas justifié et qu'il vaut mieux privilégier les gestes barrières, notamment la distanciation physique ; quant au masque FFP2, jusqu'alors regardé comme un outil de portée générale, il est désormais réservé à certains professionnels de santé appelés à se trouver en contact très étroit avec les malades, le masque chirurgical devant suffire dans les autres cas – une doctrine rappelée par les sociétés savantes au début de la crise du coronavirus.

C'est ce qui explique que nous ayons dit, dans notre publication de 2013, que le masque chirurgical était indiqué pour un contact simple avec le public, et que le FFP2 devait être réservé aux cas dans lesquels les gestes barrières ne pouvaient être appliqués – cette distinction s'appliquant aux travailleurs en général. Cette doctrine n'a donc pas vocation à déterminer la conduite à tenir vis-à-vis des malades et des cas contact, ni à porter une appréciation sur la volumétrie des stocks. Force est de reconnaître qu'elle recèle des ambiguïtés qui ont pu conduire certains à s'en saisir pour justifier telle ou telle position. Cependant, dès lors qu'elle affirme que le port du masque n'est pas obligatoire dans toutes les situations – notamment dans celles où l'aménagement des postes et l'organisation du travail permettent de respecter la distanciation physique –, il est logique qu'elle indique que les employeurs publics ont la responsabilité d'apprécier l'opportunité de constituer des stocks.

Cette doctrine a été émise à un moment où l'on considérait que les employeurs publics devaient constituer des stocks prépositionnés, proches de leur usage potentiel, plutôt que centralisés. L'un des objets de notre réunion du 29 janvier a précisément consisté à vérifier si les ministères dont les agents risquaient de se trouver exposés disposaient de stocks de masques., Les situations étaient variables mais c'était le cas chez certains et nous avons d'ailleurs redirigé une partie de ces stocks vers les soignants, qui en avaient un besoin urgent. En résumé, il s'agissait d'une nouvelle doctrine dans le sens où elle affirmait un nouvel usage du masque FFP2 par rapport au masque chirurgical, mais en aucun cas d'une rupture dans l'appréciation du dimensionnement des stocks stratégiques de produits de santé.

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