Intervention de Claire Landais

Réunion du jeudi 30 avril 2020 à 10h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Claire Landais, secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale :

Il nous semble que le champ des OIV actuellement retenu ne comprend pas toutes les activités essentielles au pays en période de pandémie. Ainsi, la grande distribution n'en fait pas partie alors que nous mesurons notre chance qu'elle ait tenu. L'intendance et la logistique sont des métiers stratégiques que l'État doit réinvestir. La crise va nous conduire à repenser la définition des secteurs concernés par le dispositif sur les OIV.

Il peut sembler troublant que le plan « Pandémie grippale » ait été actualisé à quatre ou cinq reprises au cours de la décennie 2000, mais pas depuis 2011. Ces actualisations faisaient suite à un grand nombre d'alertes de l'OMS. Au cours de la décennie suivante, d'autres menaces dont les menaces bactériennes et non virales, ont accaparé l'attention. Bien sûr, nous aimerions prévoir la réponse à des virus inconnus, mais comment savoir quels seront les bons réflexes ? Nous nous sommes raccrochés à tout ce qui était pertinent dans le plan « Pandémie grippale », ce qui nous a permis de gagner beaucoup de temps au début de la crise.

Au cours de la décennie 2010, nous avons continué à nous préparer dans le champ sanitaire. Un nouveau plan variole a ainsi été élaboré, et nous avons beaucoup travaillé sur les menaces NRBC. Nous étions surtout préoccupés par les acteurs malveillants à la suite des attaques terroristes, et il est vrai que nous imaginions d'abord le risque sanitaire sous cet angle. En tout état de cause, les plans et les exercices réalisés n'ont pas été inutiles pour réagir à la pandémie. Le plan de 2011 était toujours adapté à une pandémie grippale, mais ses aspects sanitaires ne l'étaient pas totalement s'agissant d'une pandémie causée par un virus inédit.

Le SGDSN a une vision plus nette lorsque les plans ont un volet capacitaire, mais tous n'en ont pas. Dans le domaine NRBC, qui implique beaucoup de coordination entre les ministères et de chasse aux doublons ou aux oublis, nous pouvons aiguillonner les administrations, sans toutefois avoir de capacité de contrôle étroit sur elles. Il n'en va pas de même pour les plans qui n'ont pas de volet capacitaire.

Au moment de la réquisition des masques, il n'a pas été question d'aller récupérer tous les stocks partout en France. Le décret de réquisition portait sur tous les stocks de masques FFP2, tandis que seuls les masques chirurgicaux stockés chez les producteurs et les distributeurs étaient concernés. Nous ne pouvions pas connaître tous les lieux de stockage de masques chirurgicaux, et nous n'avions pas les moyens d'aller les récupérer. Des stocks ont été récupérés au sein de l'État, chez certains opérateurs et quelques entreprises privées, mais forcément d'autres sont passés au travers des mailles du filet. Et il est très compliqué d'un point de vue logistique d'acheminer des stocks centralisés sur le terrain. Santé publique France se serait épuisé à envoyer des équipes récupérer de petits stocks de masques avant de les recentraliser puis de les redistribuer.

Il est donc possible que des stocks peu volumineux soient restés oubliés dans des hangars, mais il était normal de concentrer nos outils logistiques pour récupérer les gros volumes.

Cet effet de taille s'est aussi manifesté lorsque l'importation de masques a été libéralisée le 21 mars dernier. Une possibilité de réquisition a été prévue pour les commandes supérieures à 5 millions, mais elle n'a été que peu utilisée car les commandes du ministère de la santé ont été tellement massives que la gestion des petits flux aurait inutilement détourné ses moyens.

Cet outil a néanmoins permis à certains importateurs de se signaler et de devenir par la suite des fournisseurs importants de Santé publique France.

Le SGDSN ne prend aucune part à la définition de la doctrine de tests et de détection. Je peux en revanche vous indiquer que dans la logique du plan « Pandémie grippale », au stade 3, la priorité n'est plus au suivi des contacts pour identifier les foyers d'infection, mais à la prise en charge des malades. La question redevient essentielle au moment de déconfiner la population, mais nous n'avons pas pris part à la définition de la doctrine d'identification des cas contacts.

Cette crise nous permet de mesurer l'ampleur de notre dépendance aux outils numériques, particulièrement dans les centres hospitaliers et le secteur de la santé. Le SGDSN fait partie de ceux qui réfléchissent à la constitution de capacités propres, nationales ou européennes, pour ne pas recourir à des outils risquant d'être utilisés par des acteurs étrangers, stratégiques ou criminels. Nous travaillons à l'émergence de solutions souveraines ; la réflexion sur les plateformes de traitement de données hétérogènes est conduite avec des industriels français.

Il n'existe pas d'équipe projet sous l'égide du SGDSN pour l'élaboration d'un outil de pilotage centralisé, mais l'ANSSI soutient et conseille ceux qui réfléchissent aux outils de pilotage. Le compromis entre le besoin d'efficacité pour gérer la crise et la protection des libertés publiques est réévalué, mais pour l'ANSSI et le SGDSN, la crise ne justifie pas tout. Il faut continuer à concilier la protection des libertés individuelles et l'efficacité de l'action publique en période de crise. Ainsi, l'application StopCovid est élaborée en lien avec la CNIL, et il n'est pas acquis que la centralisation des données soit toujours dangereuse, tout dépend qui en a la charge, avec quels mécanismes de pseudonymisation, et de conservation. La décentralisation des données entre les mains d'acteurs mus par des logiques commerciales n'est pas forcément une meilleure solution. Nos guides éthiques restent précieux en période de crise, les aménagements qui y sont apportés disparaîtront une fois la crise passée.

Je ne souhaite pas me prononcer sur l'évaluation du nombre de masques par le ministère de la santé. Nous sommes en phase de gestion de crise, et tant les soignants que le personnel administratif de ce ministère sont admirables.

La commande de masques ne dépend pas du SGDSN, les stocks de produits de santé dépendent du ministère de la santé, par l'intermédiaire de son opérateur Santé publique France.

Il n'y a pas de plans portant sur l'approvisionnement alimentaire en général, mais le plan sur la pandémie grippale et le guide d'aide à la décision stratégique prévoient la surveillance des éventuelles tensions sur l'approvisionnement alimentaire et des mécanismes de contrôle des prix. Il n'y a pas à ce jour de tensions sur l'approvisionnement alimentaire français.

Le SGDSN ne joue pas un rôle de lanceur d'alerte en cas de crise car nous n'avons pas d'outils de détection avancée. Nous recevons les alertes, notamment des services de renseignement, et nous les transmettons au reste de l'administration. En revanche, l'anticipation et la prospective font partie de notre métier. Mais la capacité de l'État à faire cet exercice d'anticipation est limitée, et ce n'est pas forcément une priorité pour les agents de l'État pris par l'action administrative quotidienne. Il n'est pas évident de leur demander de s'extraire du quotidien pour penser à long terme. Nous tentons de le faire, la crise nous rendra peut-être plus audibles.

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