Madame Mauborgne, vous avez été aussi en première ligne et je vous redis mon admiration pour l'engagement du personnel de santé durant cette crise.
Concernant la préparation opérationnelle, nous avons pris des mesures comme la règle des trois tiers. Nous conduisons nos instructions en diminuant par trois le volume de personnel formé, ce qui permet d'avoir des dispositifs aérés et de ne pas concentrer nos soldats. Les activités se déroulent aussi en trois temps : une phase préparatoire où nos militaires s'équipent avec les effets de protection et où les consignes sont rappelées, le déroulement de l'activité et la sortie d'activité avec la décontamination du matériel. Cela prend du temps et met l'instruction sous contrainte. Je constate que nos unités se sont assez bien adaptées car des solutions ont été trouvées. Cela permet de poursuivre nos activités tout en nous protégeant de la contamination. Nous avons également eu quelques réactions au sujet du déplacement d'unités en provenance d'Alsace qui se rendaient à Canjuers pour leur mise en condition finale avant projection. Même si le risque de ce déplacement était très faible en raison de l'isolement des troupes dans le camp de Canjuers, dans une logique d'apaisement des craintes que ce mouvement suscitait, nous avons réorienté ces unités au niveau régional. Il y a aussi un effort de pédagogie à faire pour expliquer notre impératif d'entraînement en camp avant départ en mission. Concernant le recrutement, même si nous utilisons davantage internet cela n'est pas pleinement satisfaisant. En effet, avant d'engager des volontaires pour cinq ans, il est indispensable de les rencontrer et de leur faire passer une visite médicale. C'est pourquoi nous avons rouvert cette semaine les CIRFA (Centres d'information et de recrutement des forces armées). Pour autant, nous aurons certainement un retard de recrutement à la fin de l'année même si je reste confiant.
Madame Dubois, les Américains prennent aussi des mesures de précaution. Le maintien de leur soutien en bande sahélo-saharienne dépend plus de leur volonté politique que du niveau, aujourd'hui mesuré, de la crise sanitaire en Afrique. À ce stade, ils n'ont ni retiré leurs moyens de surveillance ni ceux de ravitaillement et nous combattons coude à coude contre la menace terroriste. Madasme Poueyto, pour des raisons de sécurité, nous avons mis en sommeil les stages des troupes aéroportées qui nécessitent la coordination de deux armées, creusant ainsi un retard de formation et de préparation opérationnelle.
En ce qui concerne les cibles d'activités prévues par la LPM, même si la crise complique beaucoup les choses, nous ne renonçons évidemment pas à atteindre ces objectifs et cherchons à nous adapter. Par exemple, pour sa phase de préparation opérationnelle interarmées (POIA), la 9e brigade d'infanterie de marine a malheureusement passé son tour. Une fois la reprise de la programmation, nous essaierons de compenser ce retard de préparation opérationnelle. Je suis très vigilant sur ce point-là.
La baisse du recrutement n'aura pas de conséquence immédiate sur les OPEX ni sur les opérations intérieures (OPINT) comme Sentinelle. Au pire, nos unités tourneront temporairement plus vite en OPEX ou en OPINT. Il est également important de noter qu'un régiment de l'armée de Terre n'est pas un espace confiné comme un porte-avions et que le COVID y est plus facilement gérable. Dès qu'un soldat est malade, il est isolé, ainsi que son entourage. Nos cadres au contact permanent de la troupe permettent rapidement d'identifier un malade et de l'isoler.
Monsieur Becht, les opérations de Barkhane se poursuivent normalement. Par chance, les unités projetées en février étaient saines. Quelques cas sont néanmoins apparus sur zone. Quand un soldat ressent de la fièvre dans un véhicule blindé, les dix occupants sont isolés. Les opérations doivent toutefois continuer de manière normale car nos adversaires poursuivent le combat. Nous n'avons donc pas le choix.
Monsieur Lachaud, vous avez raison d'être attentif aux familles car elles sont, dans cette crise, un paramètre encore plus important qu'à l'accoutumée pour le moral de nos soldats. Les cas de figure sont très différents. Certaines familles s'inquiètent parce que le militaire rentre le soir à la maison, d'autres parce qu'il est bloqué au quartier, d'autres parce que l'incapacité de faire du télétravail entraîne de l'inactivité, etc. Les régiments projetés régulièrement en opérations prennent en compte les familles, c'est culturel. C'est d'ailleurs le rôle des chefs de corps avec leur bureau environnement humain (BEH) qui ont pour mission de maintenir le contact et de leur venir en aide si nécessaire. Il serait trop tard de s'occuper des familles seulement quand la crise arrive. Ces actions, conjuguées à l'envoi de la lettre de la ministre aux familles dont les conjoints étaient en OPEX, contribuent à développer un sentiment de considération et un soutien réel à l'égard de ces familles. Ceci participe, in fine, à la sérénité de nos soldats et concourt à l'efficacité opérationnelle.
Monsieur Lassalle, je n'ai pas les prérogatives m'autorisant à dresser un état de la situation dans le monde car cela est plutôt du ressort de l'EMA. J'ai effectivement cité le cas de la Libye, assez proche de nous, pour illustrer l'évolution de la conflictualité. Nous sommes en effet passés là-bas d'une guerre de milices à une guerre de semi-intensité où chacun amène ses soutiens équipés de moyens lourds : défense sol-air, blindés, drones, avions capables de conduire des actions de ciblage. Il y a également une guerre de l'information particulièrement féroce. En Afrique, la crise sanitaire semble pour l'instant contenue, mais elle peut entraîner des famines et de l'insécurité. Ailleurs, cette crise, contribuant potentiellement à la déstabilisation des équilibres en place, pourrait offrir des opportunités à certains compétiteurs pour prendre des gages territoriaux.
Monsieur Lassalle, vous avez également mis en parallèle l'exemple historique de la propagation de la grippe espagnole par l'armée et le retour de nos unités revenant d'OPEX. De même que nous avons veillé à n'envoyer aucun soldat contaminé en République centrafricaine ou au Mali, nous devons être attentifs à leur retour. Il s'agit de les centraliser, de détecter les cas symptomatiques et de les tester. Cette question du suivi du retour se posera surtout dans les mois qui viennent et nous y serons très attentifs.
Monsieur Chassaigne, vous distinguez l'armée pour les opérations intérieures et celle pour les opérations extérieures. Certains considèrent notre armée comme uniquement expéditionnaire, mais pourtant, quand les Français en ont besoin sur le territoire national, elle est là comme le montre cette crise. Le risque serait d'avoir une armée optimisée pour de l'appui intérieur et de voir, après, si nous en aurions besoin ailleurs. Cette crise montre qu'une armée principalement tournée vers les menaces extérieures peut également agir sur le territoire national. En revanche, il est certain que notre armée n'a pas assez d'épaisseur pour faire face à un conflit majeur doublé d'une crise intérieure d'ampleur. Je pense à des ruptures d'approvisionnement d'alimentation, à l'arrêt des transports ou à des catastrophes naturelles.
Ce qui me semble important, c'est que l'ambition d'une armée capable de se battre dans le haut du spectre, dans le cadre d'un conflit majeur, nous forcera à avoir une épaisseur qui nous rendra d'autant plus efficaces dans une opération intérieure. Qui peut le plus peut le moins.
Sur le territoire national, une partie des ressources humaines stratégiques peut également venir de la réserve. Si l'opération se prolonge, elle doit être engagée. Il faut donc aller plus loin dans le développement d'une réserve plus réactive et toujours plus opérante.