Intervention de Général Philippe Lavigne

Réunion du mercredi 6 mai 2020 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Philippe Lavigne, chef d'état-major de l'armée de l'air :

Merci Madame la Présidente. La crise provoquée par le coronavirus a surpris par son ampleur et sa forme inédites. Elle a remis en cause le fonctionnement normal de la vie nationale et de nos institutions. Elle présage d'importants bouleversements de notre économie, de notre société et de notre sécurité.

Dans cette crise majeure, nos armées ont eu -et auront encore- à jouer un rôle dans la résilience de la nation. L'armée de l'air met, depuis le début, toute sa détermination, son énergie et son agilité pour engager, au service de ceux qui luttent en première ligne, l'ensemble des moyens nécessaires. Je rends hommage à leur action quotidienne depuis près de trois mois. À la mobilisation de l'armée de l'air pour être au rendez-vous de cette crise planétaire, s'ajoute un engagement toujours très fort pour la protection de l'espace aérien et de nos bases aériennes, la dissuasion nucléaire ainsi que sur tous les théâtres d'opérations extérieures.

Je rends également hommage aux militaires décédés ces derniers jours dans l'accomplissement de leur mission : le légionnaire de première classe Clément, le brigadier Martynyouk, du 1er régiment étranger de cavalerie, le sergent-chef Pougin et l'infirmier en soins généraux de deuxième grade Quentin Le Dillau, de la base aérienne 120 de Cazaux. Ces derniers ont perdu la vie mercredi 28 avril dans un accident de treuillage sur hélicoptère Caracal, au cours d'un entraînement à la mission permanente de recherche et sauvetage. Eux aussi étaient engagés au quotidien pour sauver des vies. Je présidais hier la cérémonie militaire en présence de leurs familles et frères d'armes sur la base aérienne 120 de Cazaux. Le contexte de la crise sanitaire rend le deuil difficile, mais la mission doit continuer.

Depuis près de quinze semaines, l'armée de l'air fait face à cet ennemi invisible et imprévisible, avec humilité, réactivité et avec l'esprit d'innovation qui constitue l'ADN de l'aviateur. Comme vous l'avez souligné, dès le 31 janvier, la base aérienne 125 d'Istres accueillait les premiers ressortissants en provenance de Wuhan. Avec un faible préavis, elle mettait en place un hub de désinfection, s'appuyant sur les équipes spécialisées NRBC et les pompiers de l'armée de l'air, ouvrant en trois jours le domaine opératoire de désinfection des aéronefs.

Répondant aux ordres du Président de la République qui lançait l'opération Résilience, l'armée de l'air s'est fortement mobilisée pour contribuer à la sauvegarde de la nation par des missions aériennes de soutien sanitaire et logistique, avec l'aide de nos équipes de désinfection. Un remarquable travail conjoint a été mené avec le service de santé des armées, les industriels, la direction générale de l'armement, la direction de la maintenance aéronautique. Nous avons ainsi expérimenté en des temps records des procédures nouvelles de médicalisation des aéronefs A400M, C130, CASA, hélicoptères Caracal et Puma. Nous avons transporté 93 patients médicalisés sous oxygène dans de très courts délais vers des hôpitaux peu engorgés, ainsi que 450 soignants.

L'engagement de l'armée de l'air est désormais essentiellement tourné vers les territoires outre-mer, au travers de missions d'aérotransport de fret et de personnel médical, tout en conservant en métropole la capacité de transporter quotidiennement une vingtaine de patients lourdement atteints, soit plus que durant le pic en avril. En outre-mer, nous avons réalisé diverses actions : les CASA stationnés en Guyane ont acheminé du fret en Martinique ; l'A400M médicalisé mène encore des missions en Polynésie française.

La solidarité européenne s'est également exprimée. La Belgique, l'Allemagne, le Luxembourg ont mis à disposition de la France leurs moyens de transport pour évacuer des ressortissants ou transporter des patients. Le chef d'état-major des armées a d'ailleurs récemment proposé au Comité militaire de l'Union européenne de mettre à disposition une capacité stratégique d'évacuation médicale grâce au Commandement européen du transport aérien (EATC).

La solidarité est précisément l'un des axes qui guide l'action de l'armée de l'air dans la gestion de crise, à l'image des nombreuses initiatives des bases aériennes vers leur environnement local : dons de masques aux hôpitaux, montages de tentes comme sas de décontamination pour les EHPAD, renforcement des postes de commandement de crise du SDIS, par exemple dans les Landes par la base aérienne 118 à Mont-de-Marsan, impressions en 3D de pièces détachées de respirateurs artificiels ou de visières pour soignants.

Les aviateurs ont manifesté une grande capacité d'innovation. Leur imagination et leur esprit pratique, couplés à leur expertise technique, ont apporté une aide précieuse à l'adaptation de nos moyens et procédures dans cette lutte contre la pandémie. Je pense à l'adaptation de la génération électrique dans les hélicoptères, afin de brancher directement les équipements du SAMU.

Les aviateurs ont aussi fait preuve d'un formidable élan de solidarité, pour la population en général, ainsi que pour leurs frères d'armes et leurs familles (en particulier des aviateurs engagés loin de chez eux). De nombreuses cellules de solidarité ont été créées, animées par des applications numériques. Pour maintenir en condition les aviateurs confinés, des séances de sport en ligne ont été dispensées par des moniteurs de l'armée de l'air.

Une communication très active a été mise en place, du plus haut niveau jusqu'au plus proche échelon de commandement, afin de justifier le sens de notre engagement dans cette période de troubles, en prenant toutes les mesures sanitaires pour protéger le personnel. Ces mesures ont été adaptées aux spécificités de nos missions. Les masques ont été utilisés lorsque la distanciation n'était pas possible. Nous avons fonctionné par bordées en état-major, dans les postes de commandement ou les unités opérationnelles, au moyen de ségrégations temporelles. Des ségrégations spatiales ont été créées pour les équipes de chantier ou de maintenance. Des quatorzaines avant départ et retour de mission ont été initiées et de nombreuses formations ont été conduites en e-learning.

Nous sommes restés très engagés pour assurer la pérennité de nos postures permanentes et d'engagement en opération. La menace, liée à un contexte géopolitique et militaire instable, à de nouveaux champs de confrontation, n'a pas faibli. La désorganisation engendrée par la crise sanitaire pourrait au contraire constituer une opportunité pour les groupes terroristes L'armée de l'air n'a pas réduit sa participation aux opérations extérieures. Dans la bande sahélo-saharienne, elle dispose depuis fin décembre d'une capacité supplémentaire avec l'armement du Reaper, fortement utilisée en complément de ses capacités ISR (intelligence, surveillance, reconnaissance) et des capacités cinétiques des Mirage 2000.

Au Levant, si les activités de formation en Irak ont temporairement pris fin, la base aérienne de H5 reste totalement opérationnelle. Les Rafale Air poursuivent leurs missions de surveillance et d'appui aérien contre Daech.

En parallèle, l'armée de l'air assure ses missions permanentes sur le territoire national. Les forces aériennes stratégiques restent en mesure de répondre au volet dissuasion. Elles ont ainsi mené un exercice de nuit mobilisant une cinquantaine de moyens aériens. Le MRTT Phénix comptait bien sûr parmi ces moyens, alors que de jour, il œuvrait en parallèle pour transporter des malades dans le cadre de Résilience.

La posture permanente de sûreté est, elle aussi, totalement mobilisée au travers de ses hommes, notamment au centre national des opérations aériennes de Lyon-Mont Verdun. Si le trafic aérien dans le ciel de France a réduit de près de 90 %, le nombre de décollages sur alerte des chasseurs a augmenté, pour des pertes de communication, des vérifications de dérogation pour les quelques aéronefs de tourisme autorisés à voler, mais aussi pour l'entraînement de nos chasseurs sur des plateformes aéronautiques comme Roissy, habituellement surchargées. Nombreux sont par ailleurs les avions à long rayon d'action russes continuant de longer les côtes nordiques en direction des nôtres ; l'armée de l'air participe à la manœuvre pour les contrer. À l'aide de ses Mirage 2000-5 de Luxeuil, l'armée de l'air vient d'ailleurs de se déployer dans les pays baltes pour assurer la police du ciel dans le cadre de l'OTAN.

Dès la mi-mars, l'armée de l'air a mis en place un plan de continuité d'activité. Ce plan a permis de garantir les missions permanentes et les engagements opérationnels, tout en préservant la santé des aviateurs et de leurs familles. Les activités jugées moins essentielles ont été temporairement réduites. Le ralentissement de l'activité a engendré un retard de régénération capacitaire. Il est désormais impératif dans un premier temps de maîtriser cette dette organique, puis dans un deuxième temps de la résorber progressivement. Durant le confinement, l'armée de l'air n'a pas cessé son activité, évaluée entre 50 et 70 %. La reprise d'activité se fera en deux étapes : du 11 mai à la fin de l'été, une remontée progressive vers 80 % du niveau antérieur et, à compter de septembre, un retour vers une normalisation de notre fonctionnement.

Mes priorités lors de cette phase de reprise demeurent inchangées : préserver la santé de nos personnels et le « cœur » opérationnel, en assurant nos missions aussi bien sur le territoire national qu'en opérations extérieures. Nous devons aussi préserver la performance de notre MCO aéronautique, pour poursuivre la préparation opérationnelle et devons reprendre les actions de recrutement et comme de formation militaire.

La gestion du risque sanitaire sera menée selon le schéma que nous connaissons bien de gestion du risque opérationnel.

L'annulation de nombreux exercices interalliés de préparation opérationnelle, nationaux et interalliés, pourrait fragiliser l'entraînement des forces aux missions de « haut du spectre ». Mes échanges réguliers avec mes homologues européens, américains ou de la zone indopacifique confirment la volonté de toutes nos armées de maintenir des liens et de replanifier dès que possible ces exercices de haut niveau.

Le MCO est également un sujet d'attention, au regard de l'amenuisement des stocks logistiques. L'industrie aéronautique, souvent duale, est fragilisée par la crise. Un travail d'équipe est plus que jamais nécessaire. Il en va de la survie de notre base industrielle et technologique de défense (BITD) et de la capacité de l'armée de l'air à mener ses opérations dans la durée.

Enfin, nos ressources humaines sont au cœur de mes priorités. Je veille à de la réalisation du plan annuel de mutation, important dans la vie des aviateurs et de leurs familles. Les recrutements ont repris le 27 avril. L'enjeu principal en matière de ressources humaines reste la fidélisation. Nous poursuivons pour cela la modernisation des formations et je suivrai attentivement les travaux sur la nouvelle politique de rémunération des militaires.

Les formations, justement, ont progressé en e-learning. Elles vont progressivement reprendre physiquement, conformément aux directives interministérielles et en toute sécurité.

Je souhaite enfin préserver au maximum les permissions d'été afin que les personnels, qui ont été largement engagés, puissent se régénérer. Il en va du moral de mes aviateurs et de notre efficacité collective.

En conclusion, je suis fier de l'engagement des aviateurs au profit de la population, fier d'une armée de l'air qui a su préserver ses missions permanentes et opérationnelles, la santé de ses aviatrices et aviateurs. Vingt et un se battent encore contre la maladie, dont deux toujours en réanimation[1]. Nous avons accompagné le choc, relancé la machine. Mon enthousiasme n'a pas faibli, conscient des enjeux que va représenter l'après-crise pour notre pays et pour nos armées.

Je vous remercie de votre écoute.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.