Je vous remercie pour votre sollicitude à l'égard des équipes de la DGRIS et de notre ministère.
La crise sanitaire inédite a influencé notre action internationale. Les contraintes liées à la fermeture des frontières nous ont conduits à adapter nos modes de travail afin d'assurer la continuité de l'activité.
La DGRIS a constitué une cellule de crise pour piloter l'élaboration et la mise en œuvre du plan de continuité d'activité. Nous nous sommes réorganisés autour des missions essentielles et avons appliqué avec la plus grande rigueur les directives sanitaires. La DGRIS s'est préparée à remplir ses missions de façon dématérialisée. À compter du 15 mars, la présence a été limitée à 25 % des effectifs. Nous avons maintenu en priorité les personnels amenés à se déplacer pour préserver nos coopérations internationales avec nos partenaires les plus proches, en particulier européens, assurer le lien avec le réseau diplomatique de défense et poursuivre nos missions d'anticipation stratégique.
Bien que la fermeture des frontières et les mesures sanitaires aient conduit à l'annulation ou au report d'événements et même d'exercices, nous avons préservé l'activité internationale grâce à une communication dématérialisée. Engagés depuis le 11 mai dans la reprise progressive d'activité, nous réorganisons les rendez-vous majeurs, tributaires de l'octroi d'autorisations.
La DGRIS a travaillé de concert avec l'état-major des armées, la direction générale de l'armement et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, notamment afin de consolider un calendrier des principales échéances et ambitions de défense nationale, européenne et internationale.
Elle a facilité des coopérations internationales par l'animation de groupes de réflexion et le partage d'informations et de retours d'expériences avec ses principaux partenaires ; développé des analyses sur le jour d'après et préservé le lien avec les attachés de défense, les élèves et les stagiaires étrangers en France.
À Paris, le plateau international, animé par la DGRIS à des fins de suivi de la crise, a contribué aux travaux de la cellule de crise ministérielle en dressant notamment une typologie de temporalité des réactions des différents ministères de la défense en appui des autorités civiles et en mesurant en temps réel les évolutions internationales.
À l'étranger, notre réseau de 89 missions de défense et de trois représentations militaires et de défense a soutenu le rapatriement des ressortissants français, et a aidé à décrypter les réponses de nos partenaires et à les faire entrer en résonance avec nos politiques nationales.
La crise sanitaire a donné lieu à une réaction initiale en ordre dispersé, marquée par des réflexes nationaux d'urgence, face à une crise qui a frappé l'Europe fort et vite. Les forces armées se sont organisées dans un cadre national, en raison de la propagation rapide du virus dans les pays mondialisés. Par la suite, les gestes de solidarité bilatéraux se sont multipliés. Les institutions multilatérales ont été plus longues à se mobiliser, confirmant ce que le Président de la République relevait dans son discours à l'école de guerre, le 7 février : « Alors que les défis globaux auxquels notre planète est confrontée devraient exiger un regain de coopération et de solidarité, nous faisons face à un délitement accéléré de l'ordre juridique international et des institutions qui organisent les relations pacifiques entre États ».
Plus lentes, les réactions des institutions multilatérales ont néanmoins été réelles. Je soulignerai l'impulsion française en direction de l'OMS, la mobilisation du G20 et celle du conseil de sécurité des Nations Unies pour un appel à une trêve mondiale.
L'initiative européenne d'intervention (IEI) a joué le rôle d'incubateur d'idées pour trouver les premières réponses coordonnées, comme l'effort conjoint avec les Pays-Bas et le Royaume-Uni dans les Caraïbes. La réflexion se prolonge par une recherche des voies d'amélioration du soutien mutuel et par une réflexion sur la résilience de nos forces armées.
L'Union européenne a appuyé la création d'une Task force du service européen d'action extérieure (SEAE), afin d'animer un partage d'informations entre États, optimiser les capacités militaires et assurer l'interface avec les entités de gestion de crise et l'OTAN. Elle s'est mobilisée dans la lutte contre la désinformation et pour préserver les opérations et missions en cours de la politique de sécurité et de défense commune.
L'Union européenne doit continuer à agir, non seulement pour la relance économique y compris via le fonds européen de défense (FEDef), mais aussi pour progresser vers une Europe plus solidaire, plus résiliente et plus souveraine.
Lors de la réunion des ministres de la défense du 15 avril, la contribution des capacités de l'OTAN a été activée en matière de soutien logistique, de transport aérien et de constitution de stocks. La création d'un fonds de roulement et le recours aux capacités d'analyse des centres d'excellence en vue d'une planification dans l'éventualité d'une deuxième vague ont été envisagés.
Nous avons alerté nos partenaires africains des difficultés rencontrées en Europe. Dans ce continent qui a déjà été traversé par la crise Ebola, et où l'on continue de souffrir du paludisme, les modes de vie et la pyramide des âges – 60 % de la population a moins de 25 ans – ne sont pas les mêmes qu'en Europe. Les populations à risque sont âgées et concentrées dans des zones urbaines denses : c'est moins le cas en Afrique qu'en Europe. Pour autant, il serait illusoire, voire dangereux, de penser que l'Afrique sera totalement épargnée. Nous devons rester vigilants. D'abord, parce que les systèmes de santé ne disposent pas tous des capacités pour faire face à une explosion des cas. Ensuite, parce que les conséquences indirectes de la crise, au premier rang desquelles les effets économiques, sont particulièrement à craindre. Enfin, l'ensemble de ces facteurs pourraient entraîner une dégradation sécuritaire d'ensemble, notamment la persistance de groupes terroristes, qui pourraient utiliser cette crise pour alimenter leur rhétorique anti-gouvernementale et anti-occidentale.
Le 27 mars, la Task force Takuba a été lancée ; le 28 avril, la coalition internationale pour le Sahel a été établie. Puis plusieurs réunions de la ministre des armées avec ses homologues du G5, ont été organisées. Le Président a fait des propositions ambitieuses de gel de la dette. Le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a décidé de fournir à l'Afrique une assistance conséquente.
En regard de la « diplomatie du masque », une coordination internationale est indispensable pour rétablir la vérité face à une crise sanitaire marquée par des actions de désinformation et des luttes d'influence. Les pandémies ont toujours nourri des théories conspirationnistes mais les moyens de communication modernes accélèrent aujourd'hui fortement cette tendance. Des acteurs étatiques ont développé des stratégies agressives, cherchant à instrumentaliser la crise à des fins politiques. Des communications ont fait état d'aides potentielles aux pays touchés. Des contenus hostiles aux modèles démocratiques ont été propagés.
La Chine, épicentre géographique de la pandémie, critiquée pour son absence de transparence, a propagé ces discours. L'attitude de son ambassade à Paris sur les réseaux sociaux a entraîné une convocation de l'ambassadeur. Certains de ces contenus visaient les États-Unis, la crise sanitaire étant devenue un enjeu stratégique dans la compétition à laquelle se livrent les deux acteurs. Ce discours, relayé auprès de nos opinions par des États où la liberté d'expression est inexistante, perturbe la perception de la légitimité des réponses par les modèles démocratiques.
La Russie a déployé des personnels et des moyens sanitaires en Italie, aux États-Unis, en Serbie, en Égypte, en Iran, en Corée du Nord, en Mongolie et au Venezuela, cherchant à se poser en acteur responsable. Cette aide s'est accompagnée d'une communication assertive pour imposer l'image d'une puissance venant au secours d'États plus démunis.
Dans ce contexte de désinformation, il faudra être vigilant sur les conclusions que nous dresserons. Les bilans des décès annoncés par les gouvernements ne sont pas les indicateurs les plus pertinents de la capacité des nations à faire face à la crise. Nous devrons collectivement, au travers de l'Union européenne, répondre aux nouveaux enjeux de la sphère informationnelle.
Au-delà, la crise économique pourrait avoir des effets plus graves que la pandémie elle-même. Annoncée plus dévastatrice que celle de 2008, elle n'en diffère pas moins profondément, car elle n'est pas d'abord financière mais affecte d'emblée l'économie réelle. Les entreprises sont confrontées à un double choc d'offre et de demande, avec une forte tension sur les chaînes d'approvisionnement. Le redémarrage des secteurs encore touchés par des mesures de confinement pose la question du choix des mesures de relance.
La récession accroîtra les écarts entre les économies bien portantes et celles en difficulté, mettra à mal le modèle d'ouverture économique, renforcera les inégalités et les tensions sur la gouvernance des pays les plus fragiles. Parallèlement, l'effondrement du cours du pétrole réduit fortement les revenus des puissances exportatrices.
Une fois rebattues les cartes par la crise du Covid, un sursaut du multilatéralisme ne peut être exclu, mais il doit être provoqué. La lenteur des réponses aux demandes de financement de l'OMS et les ultimatums posés s'inscrivent dans la perspective d'une compétition sino-américaine généralisée. Il nous faudra œuvrer à préserver et à renforcer le multilatéralisme, en apprenant des crises passées et en proposant des réformes pour le rendre plus performant.
Le monde devient moins régulé, plus incertain et plus dangereux. L'opportunisme est la première caractéristique des menaces qui pèsent sur nos intérêts ou nos valeurs. En dépit des stratégies de communication, aucun pays ne saurait s'estimer gagnant. Le Président de la République a parlé de « nouvelle hiérarchie des puissances qui se dessine, au prix d'une compétition stratégique globale, désinhibée ». Certains pays entendent pousser unilatéralement leur avantage, profitant de la crise pour conforter leur stratégie de puissance. D'autres tentent de capter de nouvelles rentes, voire de remettre en cause certains équilibres stratégiques à la faveur du désordre.
Cette pandémie est-elle un « black swan », un événement totalement imprévisible ? Dans le Livre blanc de 2008 comme dans la revue stratégique de défense et de sécurité de 2017, le risque était clairement identifié. Toutefois, les difficultés rencontrées pour mettre en œuvre les mesures de protection et l'effet déstabilisant de la pandémie pourraient se traduire par des crises régionales entraînant des difficultés accrues dans certains États et des effets majeurs sur les migrations, en particulier en Afrique.
La crise agit comme un catalyseur des grandes menaces préalablement identifiées et précipite l'accumulation des tensions.
D'abord, loin de faiblir, le terrorisme de Daech au Levant, à Deir ez-Zor ou dans la Badia, est en voie de réorganisation sous une forme insurrectionnelle. Le désengagement progressif des États-Unis, les difficultés internes à l'Irak et la focalisation de tous sur la crise pandémique laissent place à une potentielle réémergence de l'organisation état islamique et à la reconstitution de sa capacité de frappe. En outre, les organisations terroristes pourraient tirer les leçons de la crise, la pandémie ayant mis en évidence la rapidité de la propagation d'un agent infectieux et la difficulté à en contenir les effets.
Ensuite, la prolifération des armes de destruction massive ne cesse de représenter une menace globale. Les proliférants travaillent d'autant mieux à bas bruit que la crise mobilise l'attention de la communauté internationale et complique les missions d'inspection de l'Agence internationale de l'énergie atomique.
Enfin, l'exacerbation de la compétition stratégique se déploie dans tous les domaines majeurs de confrontation : cyber, spatial, champ informationnel…
La compétition sino-américaine ne doit pas occulter le durcissement des autres stratégies de puissance, comme le montrent l'essai russe d'un missile potentiellement antisatellite le 15 avril, l'intensification des vols stratégiques et de la navigation près des espaces nationaux européens, l'activisme chinois et le déploiement de son groupe aéronaval en mer de Chine méridionale ou la mise en orbite le 22 avril du premier satellite militaire iranien. Gardons à l'esprit les effets d'aubaine suscités par le désordre de la crise, donc la possibilité de déstabilisations ou d'agressions opportunistes. C'est pourquoi nos armées doivent être en mesure d'intervenir, seules ou en coalition, pour défendre les intérêts stratégiques nationaux et européens.
Vous l'aurez compris, le covid-19 n'a pas rendu notre monde moins dangereux. Nous devons préserver nos budgets de défense. La prochaine crise pourrait être géopolitique. La loi de programmation militaire 2019-2025 a fixé un cap ambitieux, que nos partenaires européens doivent maintenir. Il faut anticiper les conséquences de la crise économique mondiale aux plans national et européen. La base industrielle et technologique de défense doit être consolidée en Europe dans l'intérêt de la reprise économique. Le cadre financier pluriannuel 2021-2027 doit être orienté vers la relance de l'économie européenne, en sauvegardant les ambitions initiales du FEDef à 13 milliards, au bénéfice des grands groupes comme des PME.
Les conséquences de la crise sanitaire doivent nous inciter à développer notre résilience collective, à réduire nos dépendances, à maîtriser nos chaînes de valeur, à promouvoir une souveraineté européenne et une solidarité davantage incarnée : l'article 42 -7 du traité de l'Union ou d'autres moyens devront être explorés. L'ensemble formera notre résilience stratégique. C'est à cela que la DGRIS continuera d'œuvrer.