Madame la députée Mauborgne, le MCO est un enjeu majeur. Disposer de matériels de haute technologie sans avoir la capacité de les maintenir en condition opérationnelle serait un non-sens. L'objectif est que la maintenance soit confiée pour 40 % à l'industrie privée, les 60 % restants étant répartis entre du MCO opérationnel, c'est-à-dire projetable, et du MCO étatique. Cet objectif est presque atteint. Attention toutefois au chant des sirènes du « tout privé », qui a montré ses limites lors de la crise sanitaire. Par exemple, certains de nos véhicules tactiques, dont le MCO est confié à 100% à des concessionnaires privés, n'ont pas pu être réparés pendant deux mois en raison de l'arrêt de l'activité de ces mêmes concessionnaires. L'entretien des 60 % confiés à la partie opérationnelle et à l'industrie étatique a été efficace, au point que le taux de disponibilité technique opérationnelle est aujourd'hui plus élevé qu'au début de la crise. Nos mécaniciens militaires ont poursuivi le travail en puisant dans nos faibles réserves de pièces et nous arrivons à la fin de ces stocks : il faut les re-compléter au plus vite auprès des industriels. C'est finalement maintenant que se joue la continuité du MCO et donc notre capacité de réaction en cas de nouvelle crise. De manière plus générale, cette crise nous apprend qu'il ne faut pas seulement viser l'efficience et qu'en cas de crise l'efficacité doit demeurer pour maintenir une capacité opérationnelle. Ainsi, à l'avenir, il faudra faire de la résilience un impératif premier, à combiner à celui de l'efficience. Le niveau d'efficience du temps de paix doit garantir la résilience du temps de crise.
Je comprends très bien que l'effort du plan de relance concerne avant tout le secteur aéronautique. Quand le secteur aéronautique est favorisé, j'en bénéficie aussi. L'armée de Terre agit en permanence dans un contexte interarmées : les MRTT, en plus de remplir leur office de ravitailleurs, peuvent transporter des troupes. Pour autant, l'armée de Terre a des besoins aéronautiques qui doivent être pris en compte. Les hélicoptères que nous avons malheureusement perdus lors des dernières opérations doivent être remplacés et quinze Caïman doivent être livrés. Dans le plan de relance, il serait également possible d'améliorer le maintien en condition opérationnelle des hélicoptères, afin d'augmenter le nombre d'heures de vol de nos pilotes et d'augmenter les stocks de pièces. Il y a également des capacités vétustes dans le domaine aéronautique qu'il est essentiel de remplacer telles que le radar d'approche SPARTIATE (système polyvalent d'atterrissage de recueil de télécommunication et de l'identification de l'altitude) qui arrive en fin de vie. Ce radar permet à l'aviation légère de l'armée de Terre (ALAT) de déployer ses hélicoptères en dehors de toutes plateformes aéronautiques et de coordonner les mouvements de plusieurs escadrilles d'hélicoptères qui manœuvrent de concert.
Monsieur le député Chassaigne qui avait une question sur le MCO, des capteurs intelligents sont en effet expérimentés sur nos véhicules, non seulement pour améliorer la maintenance prédictive et anticiper le remplacement de pièces, mais aussi pour permettre aux industriels de concevoir des matériels plus résistants en opération.
Concernant votre question sur la guerre hors limites, la complexité grandissante des conflits, milite pour mettre en place et consolider des chaines de commandement réactives et en permanence adaptées à la situation et aux caractéristiques du théâtre d'opération.
Monsieur le député Thiériot, je serais fautif si j'avais élaboré une vision stratégique qui ne tienne pas dans la LPM. Mais dans cette enveloppe de la LPM, mon souci est de trouver les moyens nécessaires à l'entraînement. Ils ont sans doute été insuffisamment identifiés car je constate que les contraintes de maintenance se renforcent. Grâce à la verticalisation de la maintenance aéronautique, je serai mieux soutenu ; reste que pour l'instant, cela me coûte plus cher, et je n'ai guère d'autres solutions que de rogner les moyens prévus pour l'entraînement. Le prix des munitions et du MCO augmente également à un rythme soutenu qui met sous forte tension notre budget.
Concernant les trous capacitaires, en début de LPM, nous avons taillé les capacités de l'armée de Terre au plus juste en combinant la logique de réparation et de modernisation. Pour autant, nous sommes bien conscients que quelques fragilités demeurent comme dans le domaine du franchissement ou de la défense sol-air. Mais surtout, nous sommes confrontés à certaines menaces grandissantes. Des trous capacitaires apparaissent, c'est par exemple le cas de la lutte anti-drones.
Monsieur le député Cubertafon, nous sommes sous dotés en infrastructures. Nos soldats ont le droit d'être bien logés et le plan hébergement s'efforce d'y remédier. Ils sont capables de dormir dehors, sous la pluie, avec juste un poncho, mais de retour au quartier, ils ont droit à une douche chaude et à des chambres en bon état. C'est un élément de fidélisation déterminant. Ils ne demandent pas de palace mais, comme vous l'avez vu en visitant certains sites, nous sommes parfois bien en dessous de ce que nous devons à nos soldats.
Vous avez raison, le petit équipement est tout autant capital pour le soldat qui vit avec ce qu'il a sur lui. Certes, il faut cinq ans pour équiper toute l'armée de Terre du nouveau treillis, mais pour le casque, le gilet pare-balles, et l'armement, les soldats reconnaissent que nous avons beaucoup progressé. Pour les petits équipements un peu sophistiqués tels que les jumelles de vision nocturne, les radios, les casques antibruit ou les casques de transmission, il faudra aller un peu au-delà, au bénéfice du soldat mais également de l'efficacité opérationnelle.
Monsieur le député Lagarde, vous m'interrogez sur notre ambition de faire face à des conflits de haute intensité en citant l'exemple du CAESAR. Cela rejoint ce que je viens de dire sur la réparation : tous les problèmes ne peuvent pas être réglés en une seule LPM mais la LPM en cours nous engage sur la bonne voie. A l'avenir, je serai particulièrement attentif à l'équilibre entre le besoin de disposer d'une masse critique d'équipements et des matériels qui combinent efficacité et juste niveau technologique.
C'est un dialogue à quatre : industriel, DGA, état-major des armées et état-major de l'armée de Terre.
Monsieur le député Lagarde, le dispositif de l'agence de reconversion de la défense (ARD) me semble plutôt bien fonctionner. J'ai noté votre regret de ne pas voir suffisamment de propositions adressées aux mairies. J'interrogerai l'ARD à ce sujet.
Il ne me sera pas si facile de vous répondre à propos de la Turquie. Bien qu'elle soit un allié dans l'OTAN, la Turquie entend exprimer sa volonté de puissance, répondre quand elle se sent menacée et imprimer sa marque. Mais la France se posant en tant que puissance d'équilibre, nous avons des discussions assez franches, parfois assez rudes avec notre allié turc.
Monsieur le député Lassalle, vous me demandez comment lever les freins administratifs. Ce qui me surprend c'est que dans une société encadrée par le principe de précaution, où l'on cherche à réglementer au maximum, laisser de la subsidiarité est parfois vu comme un dysfonctionnement. Or le principe de subsidiarité qui permet l'adaptation et la prise d'initiative en temps de crise est, par expérience, ce qu'il y a de plus efficace dès lors que la chaîne de commandement est solide.
Dans la crise sanitaire, nous nous sommes appuyés sur ce principe de subsidiarité. Or, les chefs de corps, confrontés chacun à des situations localement différentes, étaient les plus à même de trouver la meilleure solution. Ceci explique que dans tel régiment, des soldats soient rentrés chez eux, que dans tel autre, ils soient restés dans les quartiers, qu'ailleurs, ils aient continué leurs activités en vue d'une projection en opérations imminente. Aujourd'hui, la légitimité de la subsidiarité semble souvent contestée, mais nous allons nous battre pour la défendre et expliquer en quoi elle est indispensable au fonctionnement de l'armée de Terre.
La guerre prend de nouvelles formes, où se conjuguent des actions dans le champ matériel – les actions de combat – et d'autres dans le champ immatériel. Cette combinaison doit conduire à une posture qui dissuade l'adversaire. C'est dans ce cadre que nous travaillons à l'écriture du nouveau concept d'emploi des forces. D'ores et déjà, cela ne nous est pas étranger : l'armée de Terre se caractérise par sa capacité de maîtrise de l'emploi de la force. Nous ne délivrons pas systématiquement de la puissance : nous conduisons beaucoup d'opérations sans employer la force. L'opération Sentinelle est à cet égard exemplaire : c'est par leur présence que nos soldats parviennent à conduire la mission et à dissuader. Mais d'une manière globale, nous avons affaire à des adversaires beaucoup plus désinhibés dans l'emploi des moyens. Si nous ne sommes pas en situation de faiblesse, nous ne sommes pas non plus en situation de force mais il nous faut progresser et mieux synchroniser nos actions pour être plus dissuasifs.
Sur les théâtres d'opérations, Madame la députée Thillaye, nous voyons effectivement apparaître de plus en plus de matériels étrangers, russes, turcs ou autres, assez perfectionnés comme les drones. Nos armées sont, elles aussi, entrées dans l'ère des drones. À l'issue de la LPM, l'armée de Terre devrait disposer de 1 200 drones, dont certains comme le Patroller, à peine plus petits que le Reaper, le système de mini drones de reconnaissance (SMDR), ainsi que de petits drones pour aider le combattant à reconnaître l'intérieur d'une maison ou regarder de l'autre côté de la colline. Concernant l'innovation technologique, nous expérimentons au Mali des robots terrestres pour l'accompagnement logistique et utilisables en tant que supports d'armes, l'homme restant dans la boucle. Si l'adversaire utilisait des armes létales où l'homme ne serait plus dans la boucle, c'est-à-dire des systèmes d'armes autonomes, il faudrait bien évidemment s'y adapter. Je ne suis pas inquiet sur notre capacité à prendre en compte cette menace, sans pour autant passer à l'utilisation d'armes létales sans homme dans la boucle. Je serais d'ailleurs particulièrement intéressé par les conclusions du rapport d'information que vous conduisez sur le sujet des SALA.
Concernant la projection d'un GTIA Scorpion en 2021 sur un théâtre d'opérations, j'étais récemment au 3eRIMA où tout est mis en œuvre pour atteindre cet objectif. La marge de manœuvre est faible et dépend essentiellement du respect du calendrier de livraison des industriels. Je ne crois pas à la fatalité et pense qu'il est possible de rattraper les retards. Pour établir un parallèle, je n'ai pas recruté pendant les deux mois de la période de confinement. Toutefois, je ne dis pas d'emblée qu'il me manquera deux mille hommes à la fin de l'année. Oui, potentiellement, j'en ai perdu deux mille, mais je travaille pour qu'il n'en manque pas plus de 400 à 500 fin 2020.
Concernant le rôle de l'armée de Terre dans la dissuasion, monsieur le député Gassilloud, le Président de la République a rappelé le 7 février l'articulation entre les forces conventionnelles et les forces nucléaires : nous avons besoin d'un modèle d'armée complet pour éviter de nous faire contourner. L'armée de Terre contribue donc à la dissuasion mais faut-il encore être dissuasif. C'est cet objectif aussi que l'on cherche avec une armée de Terre durcie.
Concernant la guerre de l'information, l'irruption du champ informationnel représente en effet la plus grande rupture. Nous devons déjà nous défendre, durcir l'entraînement et notre préparation pour avoir des soldats et des cadres capables de faire face à des menaces informationnelles. Nos hommes présentent tous une vulnérabilité en termes de guerre informationnelle avec leurs smartphones dans leur poche qui les abreuvent d'informations, vraies ou fausses. C'est le rôle du commandement d'apprendre à nos soldats à prendre du recul et de les éclairer dans l'incertitude dans laquelle la guerre informationnelle peut les plonger. Voilà pour la partie défensive.
Du point de vue offensif, nous devrons être capables de combiner nos moyens dans la guerre informationnelle, bien que nous soyons forcément un peu plus inhibés que certains dans ce domaine. Le nouveau concept d'emploi des forces terrestres prendra en compte cette dimension, d'abord dans la doctrine, ensuite dans les moyens, enfin dans la capacité de mise en œuvre. C'est complexe : la guerre informationnelle demande beaucoup de synchronisation et de discernement.
Monsieur le député Gassilloud, oui la vision stratégique prend en compte le besoin d'intégration interarmées et interalliée dans la guerre de haute intensité. Il est illusoire de croire que nous ferons de la haute intensité seul, dans les champs cinétiques comme dans les champs informationnels, sans nos alliés, même si nous devrons rester capables d'intervenir éventuellement seuls, en particulier dans des opérations du type de celles que nous conduisons depuis 20 ans.
La dynamique interalliée est bonne. Le partenariat « capacités motorisées » (CaMo) avec les Belges est bien avancé, mais nous devons aussi compter sur nos autres alliés majeurs, les Américains bien évidemment, avec lesquels nous nous préparons pour 2021 à réaliser l'exercice Warfighter, de niveau des corps d'armée, dans lequel un PC de division française sera intégré, mais également les Britanniques, les Allemands, les Espagnols et les Portugais.