Intervention de le général Thierry Burkhard

Réunion du mercredi 17 juin 2020 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

le général Thierry Burkhard, chef d'état-major de l'armée de Terre :

Monsieur le député de La Verpillière, je souhaite favoriser l'entraînement en garnison. Nous y faisons la préparation opérationnelle métier (POM) au niveau basique, du groupe et de la section ou, pour le 68e RA, de la pièce d'artillerie. Cela suppose évidemment que nos hommes aient une partie plus importante de matériels majeurs avec eux, et cela évite les temps de déplacement. C'est encore mieux quand les unités bénéficient d'un terrain d'entraînement pour manœuvrer à petite échelle. La simulation permet également de s'entraîner en garnison sur des scénarios plus élaborés : c'est ce qui est prévu avec Scorpion, où l'engin est directement connectable à la simulation. Cela étant, nous n'aurons jamais une armée prête à la guerre si nous ne faisons que de la POM et de la simulation. Il est indispensable de se confronter à la difficulté de grands exercices interarmes en regroupant plusieurs régiments pour faire manœuvrer l'infanterie, l'arme blindée, le génie, la logistique, etc.

Dans votre circonscription, monsieur le député de La Verpillière, le RMED peut acquérir localement un bon niveau d'entraînement mais, en tant que régiment de soutien, il doit aussi sortir pour délivrer ses effets au profit des autres unités afin qu'elles apprennent à mettre en place leur chaîne santé. Le 68e RA est également un bon exemple : il peut faire de l'école de pièce, réaliser les formations initiales et les formations techniques de spécialités (FTS) en garnison, il dispose de moyens de simulation pour entraîner les équipes de l'avant et les équipes de pièces, mais (heureusement) il ne tire pas au canon à La Valbonne… Pour aller au bout de son entraînement, il doit se déplacer à Canjuers ou à Suippes. Et comme c'est un régiment d'appui, il doit s'intégrer dans l'exercice des autres régiments : les batteries sont normalement binômées avec les unités qu'elles appuient ; il est fréquemment en contact avec les régiments de la 7e brigade blindée pour travailler ensemble le combat interarmes.

Vous avez raison, madame la députée Poueyto, de dire qu'après avoir été soldats de la paix en 1995, nous avons redécouvert la guerre en Afghanistan, mais une guerre asymétrique, et que nous sommes désormais conduits à nous intéresser à la haute intensité. Une armée de Terre européenne capable de s'engager dans la haute intensité ne peut se concevoir sans une composante aérocombat intégrée, même si elle est forcément coûteuse. Dans un milieu aérien contesté, il faudra améliorer la synchronisation des unités et prioriser la suppression des défenses sol-air adverses. Nos hélicoptères, comme l'armée de l'air, devront manœuvrer différemment, parce que la menace s'exercera dans la profondeur et dans des milieux contestés. Il n'y aura pas de remise en cause du modèle d'aérocombat, bien au contraire : il y aura des chars à détruire, des opérations héliportées à conduire en profondeur. Nous avons toujours besoin d'un modèle d'aérocombat complet.

Pour agir en haute intensité, monsieur le député Marilossian, l'armée de Terre doit s'entraîner à un niveau compris entre la brigade et la division. En 2023 ou 2024, nous organiserons un exercice de niveau divisionnaire. Faut-il plus de masse ? Oui il en faut, car dans un conflit de haute intensité, nous avons besoin d'une masse plus importante. Celle-ci pourrait être constituée par la réserve : réserve opérationnelle de niveau 1 (RO1) et réserve opérationnelle de niveau 2 (RO2). C'est l'objet de la question de monsieur Ardouin. La réserve joue un rôle important dans le fonctionnement de l'armée de Terre, par le biais des compléments individuels, qui viennent renforcer les centres de commandement et les états-majors. Les unités de réserve participent à des missions, dans le cadre de l'opération Sentinelle mais également pour la protection de nos installations.

En revanche, le fonctionnement de la réserve doit être simplifié À l'heure d'internet, il nous faut des moyens de gestion correspondant au mode de vie actuel.

Faute de moyens suffisants, il convient d'agir successivement. L'objectif à court terme est la remontée en puissance de l'armée d'active et c'est là-dessus que je fais porter mon effort. Dans cet intervalle, le meilleur appui que puisse m'apporter la réserve, c'est de continuer à fonctionner durant deux à trois ans en remplissant avec l'armée d'active les mêmes missions qu'aujourd'hui. Ce délai permettra de réfléchir au rôle qu'elle sera amenée à jouer dans un conflit de haute intensité. Plusieurs options sont possibles : soit la maintenir dans des missions de sécurisation du territoire, soit lui demander de faire quelque chose du type de la défense opérationnelle du territoire - ce qui nécessiterait de la former à d'autres missions, comme se battre contre un ennemi infiltré, des parachutistes, par exemple, ou défendre des points sensibles - soit être intégrée pour partie dans la relève des unités engagées dans un combat de haute intensité. Faut-il des batteries d'artillerie, des escadrons de transport logistiques, des escadrons de reconnaissance et d'investigation armés par des réservistes ? Dans le nord-est syrien, l'unité américaine venue protéger les puits de pétrole et les Kurdes appartenait à la garde nationale : nous n'en sommes pas encore là, mais cela mérite qu'on y réfléchisse. Mais si des unités de réservistes devaient être engagées en opération en haute intensité, il faudrait les former et les équiper comme des soldats d'active, ce qui devrait être pris en compte dans la LPM suivante. Pour l'heure, la LPM actuelle ne le prévoit pas. Il faut prendre le temps de la réflexion avec le ministère et avec vous.

L'autonomie est un réel sujet, monsieur le député Son-Forget. Prolongeons votre exemple sur les munitions de petit calibre : les produire chez nous est très confortable à la condition de maîtriser les coûts, les produire entre alliés est une solution médiane acceptable, moyennant une certaine vigilance. Mais s'il faut aller les acheter à l'autre bout du monde, ce n'est probablement pas raisonnable : nous offrons à nos adversaires des vulnérabilités ce qui réduit notre capacité de dissuasion. Entre la solution qui consiste à accumuler des quantités énormes de munitions et de pièces de rechange et celle qui consiste à s'assurer d'une chaîne d'approvisionnement sécurisée qu'elle soit nationale ou étrangère, il y a un juste milieu à trouver.

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