Intervention de Michel Goya

Réunion du mercredi 24 juin 2020 à 9h40
Commission de la défense nationale et des forces armées

Michel Goya, ancien officier des Troupes de marines :

Je vais essayer de répondre au problème, qui paraît un peu insoluble, des ressources disponibles qui sont forcément limitées et des enjeux qui sont énormes.

Dans notre formation militaire, quand nous préparons des opérations, on nous dit qu'il faut toujours avoir un élément réservé. C'est quelque chose que nous mettons à l'écart, une ressource et une unité que nous mettons un peu à part, qui seront destinées à faire face aux surprises, aux opportunités éventuellement.

Cet élément réservé est quelque chose en plus, mais c'est aussi, d'une certaine façon, un actif non utilisé, donc une chose odieuse dans une vision comptable des choses, qui sera la première à être supprimée lorsqu'il faudra faire des économies.

Le problème, en supprimant cet élément réservé, c'est que nous nous fragilisons face à n'importe quelle surprise. Nous finissons d'ailleurs par payer plus cher que les économies faites sur cet élément réservé.

Le fait de faire face à tous nos défis avec des ressources limitées oblige, j'en suis persuadé, à avoir des éléments disponibles qui nous permettent de remonter en puissance rapidement. C'était fondamentalement le principe de base de notre armée, depuis la Troisième République : petite armée d'active et grande force de réserve. Nous étions capables, en 1914, de multiplier par cinq notre volume de force. Tout était organisé de cette façon et la conscription plus les réserves étaient une manière d'avoir un modèle soutenable économiquement. Depuis 1990, nous avons sacrifié tous ces éléments réservés simplement pour faire des économies, il ne faut pas chercher plus loin dans la réflexion stratégique. Nous avons abouti à ce que nous appelons en termes de scénario de cinéma, un scénario en crayon à papier. C'est-à-dire que nous avons abouti au fait que toutes les choses se rejoignent en un tout petit point. Nous avons commencé par réduire nos armements avec des crédits d'équipement qui diminuaient ou qui restaient stables pour des générations de matériel qui coûtent entre deux et quatre fois le prix de la génération précédente. Forcément, ce n'était pas tenable, nous avons réduit considérablement nos stocks.

Pour prendre le cas de l'armée de Terre, elle a aujourd'hui six fois moins de chars de bataille qu'en 1990, quatre fois moins de pièces d'artillerie et deux fois moins d'hélicoptères. Évidemment, ils sont de nouvelle génération mais au bout du compte, je ne suis pas sûr que si l'armée de Terre française de 1990 affrontait celle d'aujourd'hui, cette dernière l'emporterait.

Par pure logique, nous avons financé ces grands programmes et asséché tout le reste. Nous avons aussi abouti à la solution de supprimer ceux qu'ils utilisaient et donc de réduire également le volume de nos forces. L'armée dans laquelle je suis entré était deux fois plus importante en volume de celle dont je suis sorti.

Nous aboutissons effectivement à quelque chose de grande qualité. Avec 15 000 soldats projetables et 45 avions, nous sommes capables de faire deux fois l'opération Serval. C'était une belle opération mais ce n'était pas non plus une grande opération militaire. Nous avons affronté 3 000 combattants équipés légèrement. Ce n'est pas une superpuissance militaire.

Nous avons un véritable problème de volume que nous ne pourrons probablement retrouver que par la mixité.

Jérôme de Lespinois l'évoquait, dans le domaine aérien, il faut avoir des moyens de supériorité, des instruments qui nous permettent ponctuellement d'être les plus forts face à des puissances fortes. Mais il faut accompagner cela de systèmes de quatrième génération, voire de troisième génération. En Afrique, nous ne sommes pas forcément obligés d'utiliser des hélicoptères Tigre ou des avions Rafale, d'autres outils peuvent faire le job tout aussi bien pour infiniment moins cher.

Mais c'est aussi un modèle humain.

Je reviens sur l'idée de réserve. Ce n'est pas forcément une armée inactive. Je citais le cas américain, les Américains dépensent effectivement environ 10 % de leur budget pour les réserves et la garde nationale, soit une capacité de remontée en puissance qu'ils utilisent. Une force expédition américaine comprend 30 % de réservistes ou de gardes nationaux. C'est considérable et infiniment plus que nous.

Cette armée de réserve n'est donc pas forcément une armée inactive, c'est une armée dans laquelle nous puisons pour utiliser des moyens qui nous manquent en volume mais aussi des compétences qui n'étaient pas forcément utilisées jusque-là.

Par exemple, la défense anti aérienne tactique française est quelque chose qui a pratiquement disparu. Sauf à considérer que nos forces ne seront plus jamais attaquées par la voie des airs, il aurait peut-être été intéressant de conserver cette capacité, sous cocon et notamment dans les forces de réserve. Je pense que ce qui est le moins utilisé doit passer en réserve, peut-être pas forcément ce qui est le plus prestigieux.

Sous la Cinquième République nous n'avons utilisé que trois fois nos chars de combat, ils ont tiré relativement peu d'obus. Ne faut-il pas passer ces moyens lourds en réserve ? Nous conservons la capacité de l'utiliser, mais à moindre coût.

Je pense que nous ne pouvons pas faire autrement.

Quand les Américains ont professionnalisé leurs forces en 1973, ils ont dit que rien d'important ne devait se faire sans impliquer le reste de la nation. Ils ont donc conçu leur modèle avec beaucoup de réserve en se disant que s'il y avait quelque chose d'important, ils seraient capables de remonter en puissance. Cela implique massivement le reste de la nation, ce n'est pas une petite troupe de professionnels dans son coin qui fait la guerre au loin. On est obligé de faire appel à tout le monde et d'impliquer tout le monde dans les choses importantes.

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