Intervention de Michel Goya

Réunion du mercredi 24 juin 2020 à 9h40
Commission de la défense nationale et des forces armées

Michel Goya, ancien officier des Troupes de marines :

Je vous parlais de l'instrument premier de la guerre, qui est le soldat.

Il y a deux aspects. Au plus bas, il y a le soldat et à l'échelon le plus haut, il y a la décision ou la conduite stratégique et politique.

Depuis 1961, depuis la guerre contre la Tunisie à Bizerte, la France a mené 32 guerres et opérations de stabilisation majeure.

À l'intérieur de ces opérations, quand nous regardons les combats qui ont été menés, nous nous apercevons qu'en réalité, il n'y a pas de lien entre la victoire et le volume ou la capacité technologique. À Bizerte, nous avons quand même engagé deux régiments de parachutistes directement sur l'ennemi, sans aucun équipement lourd.

À Kolwesi, le bataillon parachutiste de légion étrangère qui saute est moins bien équipé que les gens qu'il affronte en face, il est beaucoup moins nombreux et dans la grande majorité des cas, en réalité, nous n'avons pas de supériorité technique.

Nous avons une supériorité dans l'organisation des moyens car nous pouvons organiser des appuis mais ce qui est le plus important, en réalité, c'est que nous avons des soldats qui sont bons, qui sont supérieurs à ceux qui sont en face. C'est le critère premier de tous les engagements.

Quand nous regardons les résultats, dans l'immense majorité des cas, un camp écrase l'autre.

Il n'y a pas de corrélation entre le nombre, ni même le niveau technologique. Ce qui est important, c'est véritablement la qualité humaine. Nous avons des soldats qui sont toujours aussi bons, qui sont bien formés et qui n'hésitent pas à prendre des risques. Il n'y a aucun doute là-dessus.

Quand nous regardons le bilan de ces opérations au niveau stratégique, nous nous apercevons que la faiblesse ne vient pas souvent de l'échelon tactique mais de l'échelon politique.

Quand nous avons échoué, c'est parce que nous avions une très mauvaise orientation stratégique dès le départ ou que nous avions un échelon politique qui lui, a eu peur de la mort et des pertes.

Depuis 1962, nous avons eu quatre journées où nous avons eu plus de dix soldats qui sont tombés dans une seule journée : à Bedo en 1970, à Beyrouth en 1983, à Uzbin en Afghanistan en 2008 et récemment au Mali, avec un accident d'hélicoptère.

À chaque fois, les secousses ont été extrêmement importantes, ce sont des événements stratégiques. Nous avons toujours remis l'opération en cause.

C'est un vrai problème. Il suffit à nos adversaires de tuer plusieurs de nos soldats en même temps pour que cela ait un impact stratégique. C'est un phénomène tout à fait nouveau.

Quand vous allez au parc André Citroën, vous regardez les noms qui sont sur le mémorial, vous remarquez que 80 % des noms qui sont dessus sont des gens qui sont allés au contact de l'ennemi. Ce sont des fantassins, des sapeurs ou des logisticiens, des gens proches de l'ennemi.

Or, quand nous regardons maintenant les priorités, notamment industrielles ou économiques, ils sont tout en bas de l'échelle. Là, il y a une contradiction flagrante, stratégique entre un problème, celui des pertes, qui fait peur au niveau politique et l'absence de tentative de résolution de ce problème.

Les Américains sont en train d'investir des milliards de dollars chaque année dans l'idée que sur chaque point de contact, nous ayons une supériorité totale pour que nous disposions, au sol, quand nos soldats sont au contact de l'ennemi, de la même supériorité que nous avons dans le ciel ou sur la mer, actuellement.

En France, nous n'avons pas perdu de soldats en combat aérien depuis 1945. En revanche, nous avons perdu des milliers de combattants, quasiment tous en luttant contre des organisations armées, soi-dit au passage.

Ce problème de la mort est un problème qui n'est pas forcément celui des armées, celui des forces. Nous parlions du décalage qu'il pouvait y avoir entre l'ambiance de la société et ce qui se passe réellement dans les unités au contact, éventuellement aussi entre les publicités de recrutement et la réalité du métier.

Mais en réalité ce n'est pas le risque qui pose problème. C'est quelque chose qui est assumé, qui est intégré. Ce qui pose problème dans l'armée, c'est l'ennui.

On s'engage éventuellement pour prendre des risques mais pas pour s'ennuyer ou ne pas être payé ou l'être difficilement, etc.

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