Intervention de Florence Parly

Réunion du mardi 7 juillet 2020 à 19h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Florence Parly, ministre des armées :

C'est toujours un plaisir de répondre à votre invitation, mais je vous dirai que je suis particulièrement heureuse d'être aujourd'hui avec vous. Le Président de la République et le Premier ministre m'ont fait l'honneur de me reconduire à la tête du ministère des armées. Je suis plus que jamais déterminée à mener à bien la mission qui m'a été confiée de reconstruire nos armées et de mettre en œuvre la loi de programmation militaire que vous avez votée. Tout ceci m'oblige. Je sais à quel point vous êtes vigilants sur le fait que nous atteignons les objectifs fixés et je sais aussi que je peux compter sur votre soutien.

Je réponds à l'invitation de votre commission pour présenter le rapport annuel sur les exportations d'armement de la France, qui a été transmis aux membres des commissions chargées de la défense et des affaires étrangères le 1er juin dernier, avant d'être adressé à l'ensemble des membres du Parlement, comme la loi le prévoit. Cette audition me donne l'occasion de revenir sur un certain nombre d'éléments soulignés dans le rapport.

Je commencerai par quelques mots de contexte. Si le ministère des armées remet chaque année au Parlement le rapport sur les exportations d'armement, je crois que nous avons rarement fait face à un environnement stratégique aussi bouleversé et aussi imprévisible que celui que nous connaissons actuellement.

La crise sanitaire emporte évidemment de nombreuses conséquences sur notre industrie de défense, en particulier dans le secteur de l'aéronautique. Nous avons fait des annonces dans ce domaine. Je rappelle que j'ai décidé d'accélérer des commandes militaires d'un montant de 600 millions d'euros pour soutenir l'industrie aéronautique.

C'est une première étape de l'aide que nous devrons organiser et fournir aux entreprises qui concourent à la défense nationale. Ma priorité, pour les mois à venir, est d'éviter que le choc économique induit par la pandémie ne touche trop durement notre base industrielle et technologique de défense. Mais, soyons lucides, nos industriels seront nécessairement affectés par la baisse des commandes civiles.

Après de nombreuses visites, tant chez les « poids lourds » de la défense que dans des PME, je peux témoigner de la volonté des entreprises d'affronter la crise et du courage dont elles font preuve. Elles se sont largement mobilisées pour assurer la continuité de leurs activités – et donc des nôtres – durant la période de confinement.

Il faut avoir conscience du fait que, si la crise sanitaire affecte nos économies, elle modifie aussi profondément les comportements des décideurs publics. Cela aura une incidence directe sur nos exportations : nos partenaires étrangers seront encore plus exigeants et plus attentifs aux retours industriels de leurs investissements en matière de défense. La compétition fera très certainement rage entre les grandes nations exportatrices, et je ne serais pas étonnée que l'on constate une tendance croissante au repli sur soi. Cela ne doit nous conduire ni au fatalisme, ni au découragement, bien au contraire. Nous nous sommes d'ores et déjà mis en ordre de bataille pour soutenir nos entreprises et les accompagner à l'export. Les partenariats que nous avons noués à l'international sont solides. Face à des menaces croissantes, nos partenaires savent qu'ils ne devront pas baisser la garde et qu'ils peuvent compter sur la France.

J'en viens au bilan de nos exportations, dont le montant s'élevait, en 2019, à 8,33 milliards d'euros. Sur les cinq contrats majeurs entrés en vigueur l'année dernière, trois concernent l'Europe : les bâtiments de guerre des mines pour la Belgique, les hélicoptères H225M et H145M pour la Hongrie et les satellites de télécommunications pour l'Espagne ; les autres contrats concernent des corvettes pour les Émirats arabes unis et le contrat de conception pour les sous-marins australiens.

S'agissant de notre politique d'exportations, j'ai eu à cœur, depuis trois ans, d'engager un tournant européen. Dès mon arrivée, en 2017, j'ai souhaité que nous multipliions et que nous renforcions les partenariats européens. Au cours des deux premières années, le choix de l'Europe pour nos exportations a commencé à porter ses fruits. De très belles coopérations ont vu le jour, à l'image du contrat CAMO de renouvellement de la capacité motorisée belge – qui consiste à exporter vers la Belgique le programme Scorpion. L'an dernier, 25 % des prises de commande de nos industriels émanaient de pays européens.

L'année 2019 a couronné de succès la politique d'exportations européennes puisque, désormais, 42 % de nos clients sont des pays de l'Union européenne, et près de 45 % si l'on compte les autres pays européens, hors UE. Quatre pays de l'Union – la Belgique, les Pays-Bas, la Hongrie et l'Espagne – figurent parmi nos cinq principaux clients : c'est une première, c'est historique, mais ce n'est pas le fruit du hasard. Cette évolution est le fruit d'efforts soutenus, de longues discussions engagées avec mes homologues, de nombreux entretiens pour convaincre et de multiples déplacements pour promouvoir l'excellence et la fiabilité de notre industrie de défense. Parmi les efforts significatifs qui soutiennent notre politique d'exportations, je mentionnerai notamment l'accord que nous avons conclu en octobre 2019 avec l'Allemagne sur les exportations de matériels de défense. C'est une avancée majeure pour accompagner les programmes menés en coopération et les échanges de composants entre nos industriels.

J'aimerais m'arrêter sur la question, légitime, de l'utilité et de la nécessité de nos exportations d'armement : pourquoi exporter des équipements et pourquoi faire le choix de l'Europe ? Si j'emploie mon énergie à me faire l'avocate de nos exportations, c'est parce qu'elles dynamisent notre industrie de défense, sont essentielles à notre balance commerciale et sont constitutives de notre économie et de la vitalité de nos territoires. Elles jouent un rôle d'autant plus essentiel que nous avons pour priorité d'assurer la relance économique. Comme vous le savez peut-être, à l'heure actuelle, 13 % des emplois industriels relèvent du secteur de l'armement. Chaque jour, 200 000 personnes travaillent sans relâche à bâtir nos armées du futur en construisant des équipements plus sûrs, plus robustes, plus performants et ce, sur l'ensemble du territoire français. Ce maillage d'entreprises, petites et grandes, de Cherbourg à Toulon, contribue tant à la vitalité de notre tissu économique qu'à la protection de nos forces et de nos concitoyens.

Exporter des équipements, c'est aussi vital pour notre diplomatie. Si la France peut aujourd'hui porter sa voix dans le monde, si elle est écoutée et considérée, c'est grâce aux partenariats stratégiques que nous développons de l'Europe à la région Indo-Pacifique. Entretenir des relations économiques et développer des coopérations avec nos partenaires étrangers, c'est garder la main sur nos intérêts de sécurité dans des régions clés et sécuriser nos approvisionnements stratégiques.

Enfin, la politique d'exportations concourt à la consolidation de notre autonomie stratégique. Les exportations sont nécessaires à la viabilité de nombre de programmes d'armements et de beaucoup d'entreprises stratégiques ; elles contribuent à doter nos armées des moyens dont elles ont besoin et à assurer notre défense. Afin de garantir la supériorité de nos forces sur le terrain, de préserver notre liberté d'action, quand nous le souhaitons et où nous le voulons, il nous faut pouvoir compter sur nous-mêmes. Le développement de notre base industrielle et technologique de défense garantit notre autonomie stratégique ; elle nous permet de nous engager, d'innover, de remplacer nos équipements ou d'assurer leur maintien en condition opérationnelle. C'est essentiel.

La France a toujours voulu préserver sa liberté d'action et son autonomie stratégique. Nous avons, de longue date, cherché à protéger notre souveraineté, particulièrement en matière de défense. Aujourd'hui, une telle ambition n'a de sens que si elle s'inscrit dans le projet européen. Nous savons que, pour protéger nos concitoyens, nous avons grand besoin de l'Europe. C'est plus qu'un besoin, c'est une chance qu'il faut saisir. Voilà pourquoi nous avons fait le choix résolu et engagé de l'Europe pour nos exportations, et nous en mesurons toute la pertinence. Nous créons des partenariats, nous favorisons l'interopérabilité des armées avec, en ligne de mire, la volonté d'agir ensemble. Pierre par pierre, contrat après contrat, c'est l'Europe de la défense que nous construisons. Nous le faisons par les actes et par les moyens, pas seulement par les idées ou par les mots.

À cet égard, les progrès que nous avons réalisés dans les grands programmes franco-allemands méritent d'être soulignés. Le système de combat aérien du futur (SCAF) comme le programme de char du futur (MGCS) ont franchi des étapes déterminantes, que j'estime irréversibles au vu de l'engagement politique de nos deux pays. Beaucoup de commentateurs jugeaient les obstacles infranchissables et l'entreprise dans laquelle nous nous sommes engagés, illusoire. Le renoncement ne fait pas partie de ma nature, et j'ai toujours considéré que ces projets répondaient à une aspiration profonde de nos pays ; c'est un état d'esprit que mes homologues, Mme von der Leyen et, aujourd'hui, Mme Kramp-Karrenbauer ont toujours partagé.

Pour 2020, une chose est certaine : nous poursuivrons une politique européenne ambitieuse. Nous œuvrons au quotidien pour créer des partenariats et faire émerger des instruments qui favoriseront la création d'un véritable marché européen des équipements de défense.

La crise à laquelle nous faisons face renforce notre volonté de développer la base industrielle et technologique de défense européenne. Nous avons du travail sur ce front, mais aussi des idées et des ambitions : doter le fonds européen de défense d'un budget substantiel, développer les financements européens pour les acquisitions d'équipements de défense, prôner une plus grande régulation du marché intérieur pour favoriser les projets européens sans dépendances extérieures, ou encore, lever les freins à l'exportation s'agissant des capacités développées entre pays européens. La ressource, nous l'avons ; il s'agit à présent de la convertir en moyens, et surtout d'avoir la volonté d'utiliser ces moyens au service des intérêts et des valeurs de l'Europe.

La semaine dernière, j'ai indiqué devant la sous-commission sécurité et défense du Parlement européen – qui m'auditionnait pour la première fois – la nécessité de doter le fonds européen de défense d'un budget ambitieux. Je suis convaincue que ce fonds peut et doit être un instrument de la relance économique pour nos emplois et nos PME, qui font la richesse du tissu industriel européen.

Comme je vous le disais en introduction, le montant des exportations s'élevait en 2019 à 8,33 milliards d'euros. C'est un très bon chiffre, dont nous sommes fiers, d'autant plus qu'il a été réalisé sans « contrat Rafale ». Une fois encore, ce résultat confirme l'excellence de l'offre française, reconnue très largement au-delà de nos frontières. Si l'industrie française est à ce point appréciée, c'est parce qu'elle sait s'adapter aux besoins des armées des pays clients et interagir avec les industries de défense étrangères. Nous avons la chance d'avoir une offre extrêmement variée, riche en innovations, grâce au talent de nombreuses PME. Des grands programmes d'armement aux petits équipements, nous disposons d'une véritable vitrine de l'excellence et du savoir-faire français, que je continuerai de faire vivre et de mettre en valeur auprès de mes homologues, au cours de chacun de mes entretiens et de mes déplacements à l'étranger.

Je veux vous assurer que nous continuerons de mener cette politique dans le respect le plus strict des exigences qui s'appliquent aux exportations d'armement, en pleine conformité avec nos valeurs et nos engagements internationaux. À cet égard, je tiens à rappeler le dispositif très strict qui encadre, sous l'autorité du Premier ministre, toute délivrance de licence. La règle est l'interdiction et l'exception, l'autorisation. Les demandes sont d'abord soumises à l'examen des services des ministères de l'Europe et des affaires étrangères, des armées et de l'économie et des finances, avant de faire l'objet d'un arbitrage au sein de la commission interministérielle pour l'étude des exportations des matériels de guerre (CIEEMG). Elles sont évaluées avec la plus grande rigueur et la plus extrême minutie, sur le fondement de critères aussi variés que la situation sécuritaire et géopolitique, nos intérêts stratégiques, l'impact opérationnel d'une éventuelle livraison de matériel, les enjeux industriels, ainsi que l'adéquation des demandes à nos orientations de politique étrangère et aux engagements internationaux de la France, en particulier dans le domaine du droit international humanitaire.

Nous continuerons par ailleurs à cultiver la transparence vis-à-vis des Français. Comme vous l'avez constaté, c'est la deuxième fois que nous publions le rapport sous un format qui a été entièrement repensé il y a un an afin d'apporter un maximum de clarté et de lisibilité. De manière inédite, il intègre, dans l'annexe 11, page 103, le rapport annuel établi au titre du traité sur le commerce des armes (TCA), qui porte non pas sur des prises de commande, mais sur des flux réels, c'est-à-dire des livraisons et importations réellement effectuées.

Après ce propos liminaire, je ferai un rapide tour d'horizon de nos opérations extérieures, en me concentrant sur deux zones : la Méditerranée et le Sahel – au lendemain du sommet de Nouakchott.

La Méditerranée est devenue, ces dernières semaines, un nouveau terrain d'intimidation et de démonstration de force, où la Turquie manifeste chaque jour un comportement de plus en plus préoccupant. Beaucoup ne savaient pas, jusqu'à récemment, que l'OTAN mène une opération de sûreté maritime en Méditerranée orientale appelée Sea Guardian, dont une des missions consiste à assurer la surveillance maritime contre les trafics. Elle s'inscrit dans le contexte de l'embargo imposé par les Nations unies sur les livraisons d'armes à la Libye.

Il y a quinze jours, alors qu'un navire français, opérant sous commandement OTAN, contrôlait un cargo suspect en provenance de Turquie, des frégates turques qui accompagnaient ce navire ont interféré, et l'une d'entre elles a, comme on dit en langage militaire, « illuminé » le navire français avec son radar de conduite de tir. C'est un acte agressif et indigne d'un allié de l'OTAN. Je l'ai dit très clairement lors de la dernière réunion ministérielle de l'OTAN, qui s'est tenue il y a quelques jours. J'ai été soutenue par beaucoup de mes homologues européens, et je les en remercie vivement.

Nous sommes censés être une alliance. Il n'est pas acceptable qu'un allié viole consciencieusement les règles que l'alliance est censée faire respecter et tente de menacer ceux qui l'interrogent. Nous avons donc formulé quatre demandes pour que ce type d'incidents ne se reproduise pas : la réaffirmation solennelle du respect de l'embargo ; le rejet catégorique de l'utilisation par la Turquie des indicatifs OTAN pour mener ses trafics ; une meilleure coopération entre l'Union européenne et l'OTAN ; enfin, la mise en place de mécanismes de déconfliction. Dans l'attente de clarifications sur ces points, le Président de la République a pris la décision de retirer, jusqu'à nouvel ordre, les moyens français consacrés à l'opération Sea Guardian.

En revanche, nous sommes et nous restons engagés au sein de l'opération de l'Union européenne Irini – « paix », en grec –, qui a été lancée en mars dernier pour renforcer le contrôle du respect de l'embargo sur les livraisons d'armes à la Libye.

En Méditerranée, notre priorité est de conserver notre capacité d'appréciation autonome dans un environnement qui devient de plus en plus contesté, et de continuer à projeter nos valeurs : la liberté de navigation et le respect de la souveraineté territoriale des Européens.

Au Sahel, le sommet de Nouakchott a permis, la semaine dernière, d'effectuer un premier bilan de la dynamique impulsée par le Président de la République au sommet de Pau en janvier 2020. Aux côtés du Président Macron et des chefs d'État des cinq pays du Sahel, se trouvaient aussi la chancelière Angela Merkel, le premier ministre espagnol Pedro Sanchez, le président du conseil italien Giuseppe Conte et le président du Conseil européen Charles Michel, qui ont attesté la mobilisation et la solidarité des pays européens, à la suite des réunions ministérielles de la coalition pour le Sahel, qui se sont tenues mi-juin. L'Union africaine était également représentée en la personne de Moussa Faki, président de la Commission de cette organisation.

Le bilan qui a été fait à Nouakchott est positif. Des progrès importants ont été constatés. Les succès militaires sont réels dans la région des trois frontières : les groupes armés terroristes perdent du terrain, les populations reviennent peu à peu, notamment dans les villages de Labbezanga et Tiloa, à mesure que les armées locales et leurs partenaires gagnent leur confiance. Autre succès, on observe une mobilisation des partenaires autour des projets de la coalition pour le Sahel, dont les effets sont déjà visibles sur le terrain : la coordination a été renforcée dans tous les domaines, en particulier grâce au mécanisme conjoint de coordination pour les opérations militaires.

Notre objectif est maintenant de pérenniser ces premiers résultats en continuant de mettre l'accent sur l'accompagnement et la montée en puissance des forces armées locales, ainsi qu'en portant un effort particulier sur le développement et le retour de l'État.

Dans ce contexte, le Président de la République a annoncé le maintien de l'effort de la France au Sahel. Au cours de l'été, le lancement de la force Takuba apportera une capacité européenne nouvelle pour accompagner les armées sahéliennes au combat. Elle se déploiera la semaine prochaine avec des forces spéciales françaises et estoniennes. D'ici au début de l'année 2021, nous attendons des soldats tchèques, suédois et probablement italiens. Je me rendrai à Rome après-demain pour en discuter avec mon homologue. En amont, la consolidation du mandat de la mission de formation de l'Union européenne au Mali (EUTM), qui s'étendra davantage sur le territoire, permettra de renforcer l'appui à la formation des soldats maliens.

Enfin, nous le savons, et le Président de la République l'a rappelé à Nouakchott, l'action militaire seule ne suffira pas. C'est la logique qui a conduit au lancement de la coalition pour le Sahel, afin de répondre aux défis sécuritaires, économiques et sociaux. Sur le terrain, les militaires de Barkhane accompagnent le retour de l'État, comme ils l'ont fait il y a quelques semaines à Labbezanga. Il faudra faire plus, mais les premiers résultats sont encourageants et nous sommes sur la bonne voie.

Permettez-moi, pour conclure, Madame la présidente, de vous redire la fierté et le plaisir que j'ai à continuer de diriger le ministère des Armées, où l'on trouve des hommes et des femmes de très grande qualité, qui veillent, dans un monde troublé, à porter haut les couleurs de la France et de l'Europe.

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