Intervention de Florence Parly

Réunion du mardi 7 juillet 2020 à 19h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Florence Parly, ministre des armées :

La BITD représente 200 000 emplois directs et indirects, je l'ai dit, dont 21 % au sein de PME – on compte environ 4 000 PME et entreprises de taille intermédiaire (ETI) dans ce secteur. Les exportations concernent aussi bien les grands groupes que les entreprises de petite taille. S'agissant de la valeur ajoutée, je n'ai pas les chiffres pour 2019. Les derniers éléments statistiques datent de 2016 : la part des PME était évaluée à environ 20 %, ce qui est tout à fait significatif.

Nous cherchons à renforcer cette part. Vous connaissez les 21 mesures concrètes du plan Action PME. Nous avons notamment créé un label indiquant que les matériels sont utilisés par les armées françaises. C'est un facteur de crédibilité et de fiabilité très apprécié : les PME nous disent que cela facilite leur accès aux clients. Néanmoins, il ne suffit pas de décerner des labels : il faut aussi apporter un soutien financier. Nous finançons, par l'intermédiaire de la Banque publique d'investissement, des produits d'assurance prospection ciblés sur les PME pour la conquête de nouveaux marchés à l'export. Par ailleurs, les grands groupes ont la responsabilité de définir des plans de portage pour intégrer les PME et les ETI et il leur appartient d'informer l'ensemble des fournisseurs français sur les besoins en matière d'exportation.

Il existe, en outre, des dispositifs animés par Business France et par la direction générale de l'armement (DGA), ainsi que des salons. Nous avons malheureusement dû en annuler beaucoup au cours des derniers mois, mais nous espérons que le salon Euronoval pourra se tenir en octobre – je reste prudente car la situation peut changer à tout instant.

La France est bien souvent le premier client de sa BITD. Nous payons le développement et la production des programmes d'armement. Lorsque ces derniers trouvent des clients à l'exportation, il existe un mécanisme de redevances : les industriels reversent à l'État une partie des frais de développement. Cette rétrocession représente chaque année quelques dizaines de millions d'euros. Vous savez, par ailleurs, que les industriels réalisent systématiquement un autofinancement d'une partie des programmes d'armement. Cela ne se fait pas toujours dans les proportions que l'on pourrait souhaiter, mais cela existe. Nous utilisons aussi un mécanisme qui permet, comme nous l'avons fait pour le MICA NG, de réduire a posteriori le prix de vente pour les clients français.

L'articulation avec Bercy est excellente : nous n'avons pas de conflit sur les modalités de rétrocession. Bercy a une approche d'actionnaire qui n'est pas en contradiction avec les mécanismes de redevance que je viens de mentionner.

Il est évident que la crise aura un impact. On peut craindre une moins bonne performance de nos industriels à l'exportation dans les prochains mois. Tout est fait pour les soutenir et on peut aussi se dire que certains pays, dans le contexte stratégique que j'ai rapidement décrit tout à l'heure, feront le choix de maintenir leurs investissements en matière de défense. Y a-t-il un risque de substitution, dans le contexte de compétition très vive que nous connaissons, entre des importations dont le prix peut être élevé et des produits low cost, si je puis dire, vendus sur étagère ? C'est possible mais je reste convaincue que certains pays ne feront pas leurs choix au détriment du format des armées et des performances des équipements. En Australie, la décision a été prise est d'augmenter l'effort de défense face à une menace chinoise qui ne se dément pas. Par ailleurs, même si l'Inde a réaffirmé sa volonté de développer sa propre industrie de défense, je pense que ce pays restera un partenaire avec lequel la France continuera à mener des coopérations, notamment dans le domaine industriel.

La CSP est un cadre politique destiné à favoriser la coopération entre les États membres autour d'engagements ambitieux et contraignants. Vingt-cinq pays y participent aujourd'hui. L'objectif est d'avoir, le plus possible, un réflexe européen. Celui-ci n'est pas encore assez développé, même si je me réjouis de voir la part des Européens grandir dans nos exportations. Si nos partenaires de l'UE avaient tous le réflexe européen, les chiffres seraient encore plus brillants… La CSP est une manière de faire émerger des projets et de développer la préférence européenne.

Tous les projets agréés dans le cadre de la CSP se valent-ils et sont-ils au même niveau de développement ? La réponse est négative. C'est pourquoi il y aura cette année une revue stratégique. Nous participons, pour notre part, à trente-six des quarante-six projets lancés depuis 2017, et nous en coordonnons onze. Certains ont un grand avenir devant eux.

Je pense notamment au projet MAC-EU, destiné à s'affranchir des ruptures d'approvisionnement en composants et matériaux critiques qui ne sont pas fabriqués ou conçus au sein de l'UE. Cela veut dire aussi regagner un peu de souveraineté : on ne le dit pas comme ça, car certains risqueraient d'avoir les oreilles qui leur tintent, mais il s'agit bien de favoriser une moindre dépendance vis-à-vis de partenaires non-européens.

Je voudrais également citer un projet concernant le combat collaboratif. Vous savez que la connectivité est mise en avant dans le cadre du char de combat du futur et du SCAF, qui sont des projets franco-allemands, et que nous avons déjà commencé à la développer à travers le programme Scorpion, pour les équipements terrestres. Le projet ECoWAR a pour vocation de préparer l'arrivée d'autres partenaires que la France et l'Allemagne dans les projets très structurants que sont le char de combat du futur et le SCAF.

La revue stratégique sera très utile pour faire la part des choses, entre les projets qui avancent et les autres. Ceux que j'ai cités ont une très grande valeur, à mes yeux, pour la suite.

Je reviens sur le comportement agressif de la Turquie à notre égard – la France, quant à elle, est restée extrêmement paisible. L'« illumination » de la frégate Courbet n'est pas l'acte le plus hostile que la Turquie a commis au cours des dernières semaines. Il y a eu aussi des forages illégaux dans la zone économique exclusive de Chypre, la contestation de la souveraineté de la Grèce sur une partie du plateau continental et l'exercice d'une très forte pression migratoire sur ce pays. Tous ces agissements sont inacceptables. La solution ne peut évidemment pas être militaire : c'est à une solution politique qu'il faut travailler. Nous nous y employons dans le cadre du dialogue bilatéral, à tous les niveaux, notamment entre les ministres de la défense et des affaires étrangères, au sein de l'OTAN, pour faire en sorte que la Turquie revienne à la raison – c'est notre souhait –, et dans le cadre de l'Union européenne, pour sanctionner Ankara lorsque c'est nécessaire. Face à des agissements agressifs, je crois qu'il faut montrer que nous ne nous laissons pas faire, mais aussi qu'il existe des voies de discussion et de négociation.

S'agissant des décisions en matière d'exportation d'armement, le cadre constitutionnel n'a pas changé. Conformément à l'article 20 de la Constitution, les autorisations d'exportation relèvent du Gouvernement : les licences sont délivrées sous l'autorité du Premier ministre. J'ai résumé dans mon propos introductif le processus, qui est longuement détaillé dans le rapport. Je n'ose pas dire que cet exercice de transparence est aussi abouti que possible mais il est poussé assez loin dans le cadre constitutionnel que je viens de rappeler. Pour ce qui est des comparaisons avec d'autres pays, mon rôle n'est pas de vous dire si nous faisons mieux ou moins bien qu'ailleurs, mais je pense que nous avons progressé. Nous essayons chaque année de vous fournir un document plus précis encore. Il me semble que le rapport établi selon les prescriptions du traité sur le commerce des armes mérite votre attention : il porte sur les livraisons et détaille, d'une manière systématique, les types de matériel. Au lieu de présenter simplement des montants, en millions ou en milliards d'euros, nous précisons les types d'équipement livrés selon les pays. C'est un progrès. Ce n'est peut-être pas suffisant, mais nous essayons, chaque fois, d'être plus transparents.

Vous vous opposez, Monsieur Corbière, aux ventes d'armes à l'Arabie Saoudite – et vous faites preuve de constance dans cette position. Je n'arriverai sans doute pas à vous convaincre mais j'aimerais partager quelques éléments. Comme l'indique une annexe du rapport, l'Arabie Saoudite est notre troisième client sur la période 2010-2019. Je ne suis pas comptable des années 2010-2016, durant lesquelles la part de ce pays était beaucoup plus importante ; en 2019, nos exportations ont représenté 200 millions d'euros. Il y a eu au Royaume-Uni, l'an dernier, une contestation devant les tribunaux de ces exportations d'armement – alors qu'il existe en la matière un contrôle parlementaire. Je précise, sans porter de jugement, que l'arrêt qui limitait les licences délivrées vient d'être annulé : les autorisations d'exportation vers l'Arabie Saoudite ont été rétablies. Vous savez, par ailleurs, que le Royaume-Uni est infiniment plus dépendant que nous aux exportations d'armement vers ce pays.

Je pense avoir également répondu à votre question, Monsieur Nadot.

Je comprends votre volonté, Monsieur Chassaigne, de moraliser le plus possible les ventes d'armes. Une grande partie des leaders dans ce domaine n'ont pas signé, et on peut le regretter, le traité relatif à la CPI : ni les États-Unis, ni la Russie, ni la Chine, ni Israël, ni la Turquie, qui font partie des principaux exportateurs d'armement, n'en sont signataires. Je ne sais pas quelle est la bonne méthode, mais je ne suis pas convaincue que ce soit celle que vous préconisez. S'agissant des pays européens qui sont signataires de l'accord, la CPI appliquerait le principe de subsidiarité : ce sont normalement les tribunaux nationaux qui doivent être saisis, et non la CPI. Par ailleurs, je pense qu'il existe d'autres moyens de promouvoir de bonnes règles. Selon moi, la meilleure façon de procéder en ce qui concerne les exportations d'armement est d'accroître la part des pays européens et de faire prévaloir, le plus possible, la préférence européenne.

Vous m'avez interrogée sur un pétrolier qui semble en mauvaise posture au large du Yémen. Je pense qu'il vaudrait mieux poser la question à Jean-Yves Le Drian, mais je vais regarder ce qu'il en est.

Si les ventes d'armes sont un vecteur d'influence, je n'ai jamais considéré qu'il s'agissait d'une baguette magique. Nous achetons des armes aux Américains mais cela n'implique pas que nous soyons à leurs ordres. Il existe un équilibre complexe et délicat en la matière. Ce sont des investissements de long terme – je ne parle pas d'argent, mais d'une relation, d'un partenariat, d'une coopération. Lorsqu'on développe un partenariat avec un pays tel que l'Australie, en vendant des sous-marins, on crée aussi une relation durable, dans une zone où les tensions sont très fortes et où la France a des intérêts à protéger.

Nous avons enfin conclu avec l'Allemagne un accord, entré en vigueur, au sujet des exportations d'armes. Je dis « enfin » car la discussion a été longue et parfois délicate, mais l'essentiel est le résultat. Les règles prévues permettent de donner de la visibilité sur la manière d'exporter vers des pays tiers, dans un domaine qui est également très sensible en Allemagne, et de simplifier et d'accélérer certaines décisions. En vertu de la clause de minimis, on n'a pas besoin de suivre une procédure longue et compliquée jusqu'à 20 % de composants provenant de l'autre pays – l'accord est fondé sur la réciprocité : cela concerne aussi bien les composants français que ceux allemands. L'exportabilité, si je puis dire, est alors de droit. Tout cela permet d'avoir des procédures plus simples et plus efficaces mais aussi une convergence de vues plus forte.

S'agissant de la Grèce, je ne peux malheureusement pas vous fournir autant de précisions que je le souhaiterais car les discussions ne sont pas encore totalement finalisées. Nous travaillons sur un projet d'accord intergouvernemental – un partenariat stratégique – et sur différents prospects, depuis plusieurs mois. L'un d'entre eux concerne, comme vous l'avez souligné, le domaine naval. Dès que nous aurons du nouveau, nous vous le ferons savoir. Nous travaillons très activement.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.