Intervention de Général Michel Friedling

Réunion du mercredi 8 juillet 2020 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Michel Friedling, commandant du CDE :

Madame la présidente, mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie de me fournir l'occasion d'évoquer le passionnant sujet de l'espace et de faire le point sur notre montée en puissance, un an après les décisions politiques que vous avez évoquées. Je tiens à vous dire toute l'attention que portent notre ministre et son cabinet, ainsi que le chef d'état-major des armées et le chef d'état-major de l'armée de l'air, à cette montée en puissance et au sujet spatial en général.

Après avoir rappelé le bouleversement considérable du paysage spatial, ces dix dernières années, je vous apporterai un éclairage sur quelques événements survenus dans l'espace et rapportés par la presse ouverte – d'autres sont classifiés, que je n'évoquerai pas ici. Je rappellerai ensuite non pas ma vision, mais la stratégie que nous portons collectivement. Je vous dirai enfin où nous en sommes un an après – et nous avançons vite.

Quelques clés de lecture pour commencer. L'espace est un milieu particulièrement hostile, avec des températures extrêmes, très froides ou très élevées, sujettes à des variations énormes dans des temps très brefs, et des rayonnements cosmiques très agressifs sur les objets spatiaux. Les frontières n'existent pas et le cadre juridique y est particulièrement libéral.

L'espace commence à partir d'une centaine de kilomètres à partir de la surface de la Terre et n'a pas de limites.

On distingue trois types d'orbites. Sur les orbites basses, entre 160 et 2 000 kilomètres, sont placés les satellites d'observation de la Terre, civils et militaires, les satellites d'écoute, et se déploient les grandes constellations comme celle d'Elon Musk, dénommée Starlink. Les vitesses de déplacement sont très élevées : environ 7 km/seconde pour les objets, soit 25 000 km/h. Il ne faut que 90 minutes pour faire le tour de la Terre. À l'opposé, les orbites géostationnaires se trouvent à environ 36 000 kilomètres ; les objets qui y sont placés, vus de la surface du globe, paraissent fixes. C'est là qu'on trouve les gros satellites lourds de télécommunications et de broadcasting, dont le marché est en disruption depuis l'arrivée des constellations de communication dans les orbites basses. Entre les deux, sur les orbites moyennes, à environ 20 000 kilomètres de la surface de la Terre, se trouvent les constellations de positionnement et de navigation : le GPS américain, les systèmes Galileo européen, Glonass russe et Beidou chinois.

En dix ans, le paysage spatial a subi un bouleversement radical. Le nombre des pays investissant dans le domaine spatial est passé de trente à quatre-vingt-cinq ; le montant global des investissements, hors marchés dérivés, a été multiplié par deux, passant de 36 à plus de 80 milliards de dollars ; la part du secteur civil est passée de 50 % à plus de 60 %, le volume des investissements militaires de 17 à 30 milliards de dollars. La Chine a multiplié par huit ses dépenses, passant à un peu moins d'1 milliard à un peu plus de 7 milliards de dollars, et par trois le nombre de ses lancements annuels. Le nombre de pays mettant en œuvre au moins un satellite est passé de trente à plus de soixante-dix et ne cesse de croître. En dix ans, le nombre de satellites opérationnels dans l'espace a plus que doublé.

Le ravitaillement de la station spatiale internationale, et même, depuis peu, le transport d'équipages, auparavant assuré par des opérateurs étatiques comme la NASA l'est désormais par des opérateurs commerciaux.

En grande difficulté au début de la décennie, l'entreprise SpaceX est devenue un acteur majeur de l'industrie spatiale, avec deux lancements en 2010 et vingt-cinq attendus en 2020, soit davantage que l'Union européenne. Les « cubsats » étaient, il y a dix ans, de petits satellites dédiés à l'expérimentation et à l'enseignement dans les universités ; ils sont lancés par centaines dans des constellations aux applications commerciales et militaires. Il y a dix ans, plus personne ne parlait de la Lune ; aujourd'hui, les Américains, les Chinois, l'Europe et même l'Inde sont engagés dans une entreprise de conquête. Alors que personne n'envisageait d'exploiter les corps célestes, sous l'impulsion des États-Unis, des accords internationaux sont en gestation pour faire permettre et développer ce genre d'activités.

Enfin, alors que personne n'envisageait la création de forces spatiales ou d'opérations spatiales militaires, les États-Unis se sont dotés d'un commandement opérationnel dédié, l'United States Space Command, 11e commandement opérationnel, créé en août dernier, et d'une Space Force, sixième branche des forces armées américaines. En Europe, la France a ouvert la voie et montré l'exemple avec son commandement de l'espace : mi-juin, l'Italie a annoncé la création d'un commandement de l'espace et le Royaume-Uni, après avoir créé très récemment une direction interarmées de l'espace, s'apprête également à annoncer la création d'un commandement dédié.

Dans ce paysage international bouleversé, la compétition s'intensifie, les risques et les menaces sont de plus en plus présents. On observe ces derniers mois un accroissement du nombre d'évènements préoccupants. Plusieurs exemples récents d'événements ont fait l'objet de publications dans la presse ouverte et de communication ou de protestation de la part des Américains. Il s'agit essentiellement de développements et d'essais de capacités anti satellite, de manœuvres de rapprochement et de proximité non coopératifs en orbites basses et géostationnaires et de manœuvre d'espionnage ou d'intimidation. Nous suivons et analysons tous ces évènements avec nos alliés pour comprendre, analyser et tirer ensemble des enseignements. Ils viennent conforter l'analyse faite à l'occasion de la revue spatiale qui a abouti à la publication de notre stratégie spatiale de défense.

J'en viens maintenant à celle-ci. Elle part du double constat désormais bien connu et que je viens d'évoquer en préambule : en premier lieu l'espace est un milieu essentiel pour notre sécurité comme pour notre économie et par ailleurs nous avons affaire à une compétition stratégique, économique et industrielle sans précédent. Et qui s'accélère.

Vous l'avez dit, Madame la présidente, la nouveauté de cette stratégie, c'est qu'elle reconnaît l'espace exo-atmosphérique non seulement comme un milieu à part entière aux enjeux propres, mais également comme le cinquième domaine de confrontation, après les domaines aérien, maritime, terrestre et cyber. Elle représente un tournant majeur pour nos armées, parce qu'elle implique le développement d'une capacité à agir dans tous les milieux et à défendre nos intérêts dans l'espace.

Il s'agit d'abord de répondre aux menaces émergentes en protégeant nos satellites et en développant notre aptitude à surveiller l'environnement spatial. Il s'agit ensuite de construire et consolider notre autonomie stratégique en saisissant les possibilités offertes par ce qu'on appelle le New Space et en revisitant notre modèle industriel. Cela signifie capitaliser sur la meilleure des deux approches, l'approche industrielle classique et l'approche plus agile, ce qui a abouti à la création du New Space, dont certains disent qu'il est déjà dépassé par le Post New Space, le Next Space ou le Power Space, quel que soit son nom

Un autre élément de consolidation de notre autonomie stratégique est l'élargissement des coopérations avec nos partenaires et alliés au domaine des opérations dans l'espace, et leur ouverture à de nouveaux partenaires.

La feuille de route de notre stratégie est articulée autour de quatre axes.

Premier axe, une nouvelle doctrine des opérations militaires dans l'espace, déclinée en quatre fonctions : le soutien aux capacités spatiales, la connaissance de la situation spatiale, l'appui aux opérations, à partir de moyens traditionnels d'observation ou de télécommunications, et l'action dans l'espace pour protéger nos moyens.

Deuxième axe : une nouvelle ambition capacitaire. Il s'agit de développer, pérenniser et améliorer nos capacités d'appui et de veille stratégique, de développer une capacité à comprendre et surveiller ce qui se passe dans l'espace sur toutes les orbites de manière autonome, et de nous doter, d'ici à 2030, d'une capacité de défense active dans l'espace.

Troisième axe : adapter la gouvernance du spatial militaire par la création du commandement de l'espace et la revisite de la relation entre le ministère des armées et le centre national d'études spatiales (CNES).

Quatrième axe : développer l'expertise spatiale dans la défense par la constitution d'une filière d'expertise et de parcours professionnels attractifs.

Créé pour répondre aux principes d'efficacité opérationnelle, de cohérence, de visibilité et de simplicité, le commandement de l'espace vise à concentrer l'expertise spatiale, rare au sein du ministère, dans une entité spécifique pour lui confier des responsabilités et les ressources nécessaires à l'exercice de ses responsabilités. C'est à la fois un organisme interarmées – j'ai également autour de moi des officiers de l'armée de terre et de la marine – et un commandement de l'armée de l'air. Le CDE est placé sous l'autorité fonctionnelle du chef d'état-major des armées pour ce qui concerne les opérations et la politique spatiale militaire, c'est-à-dire la stratégie, les coopérations, les capacités. Le chef d'état-major de l'armée de l'air en exerce le commandement organique, c'est-à-dire qu'il est notamment responsable de la génération d'expertises et de la préparation des forces.

Ce commandement a pour mission de fédérer et coordonner les moyens du spatial de défense, conduire les opérations spatiales militaires et contribuer à la définition de la politique spatiale militaire. À ce titre, nous recueillons et enrichissons les besoins en capacités spatiales exprimés par les armées, directions et services, et nous les portons vers l'état-major des armées. Nous identifions et exprimons les besoins en capacités pour la maîtrise du milieu spatial, incluant la surveillance et l'action dans l'espace, et nous les portons également vers l'état-major des armées. Il faut noter que les officiers en charge des programmes spatiaux appartiennent au commandement de l'espace, ce qui est une originalité, les officiers « programmes » se trouvant généralement dans les états-majors centraux. Le CDE dispose ainsi d'une concentration d'expertises techniques et d'expertises métiers judicieuse, de nature à accroître l'efficacité de nos actions, en lien avec la direction générale de l'armement (DGA). Ces officiers programmes sont particulièrement qualifiés : pour la plupart titulaires d'un double diplôme de l'école navale, de l'école de l'air ou de l'école spéciale militaire de Saint-Cyr, ils se sont dotés à mi-parcours d'un deuxième diplôme d'une grande école d'ingénieur, comme SUPAERO ou TELECOM PARIS. Certains sont même titulaires d'un doctorat.

Cette double subordination fonctionnelle et organique du commandement de l'espace, ainsi que l'étendue de ses responsabilités, en fait un objet à part.

Son rattachement à l'armée de l'air est une bonne décision, cohérente avec l'histoire. Je le dis sans parti pris, malgré l'uniforme que je porte. Il faut se souvenir par exemple que l'aventure spatiale française commence en 1947 par la création du centre d'essai et d'expérimentation du Sahara, devenu en 1948 le centre interarmées d'essai d'engins spéciaux (CIEES), sur l'aérodrome de Colomb-Béchar, en Algérie. Le premier noyau de personnel, presque entièrement issu de l'armée de l'air, arrivé début septembre 1947, prend en charge le soutien de ce centre et la création de la base aérienne 145, ainsi que la conduite des premières expériences. C'est le premier pas de tir spatial français. Il est hébergé, soutenu et armé par des aviateurs de la base aérienne 145, accompagné de personnels de la direction des études et fabrications d'armement (DEFA), l'ancêtre de la DGA, et de personnels du comité de recherche spatial (CRS), l'ancêtre du CNES. Les premières fusées françaises, baptisées Véronique, y sont conçues et testées dans les années 1950 et jusqu'au milieu des années 1960. La base aérienne 145 et le CIEES ont d'ailleurs le même insigne et le général de brigade aérienne Robert Aubinière, qui commande le centre et la base aérienne de Colomb-Béchar entre 1957 et 1962, devient par la suite le premier directeur général du CNES.

Ce rattachement à l'armée de l'air est également cohérent avec la culture de la troisième dimension et des questions de commandement et conduite des opérations (C2) dans un milieu global et transverse. Il ancre enfin le spatial militaire sur un socle organique indispensable au recrutement et au développement des talents et compétences dont nous avons besoin.

Son caractère interarmées répond par ailleurs à une nécessité. L'espace exo-atmosphérique est un milieu à part entière, distinct mais non disjoint du milieu aérien, aux enjeux et spécificités propres. Les services offerts par l'espace sont indispensables aux opérations, aux armées, directions et services qui doivent rester présents et investis pour garantir la prise en compte de leurs besoins. Dans la mesure où l'on ne comprend un milieu et ses enjeux que lorsque l'on est partie prenante, il est important que les autres armées restent des acteurs du spatial de défense.

Le CDE est donc un objet un peu à part, à la fois interarmées et air, particulièrement agile, disposant de responsabilités et de ressources pour les exercer sous la double autorité du CEMA et du CEMAA. Cet équilibre est bon et il doit être maintenu. Et j'aime reprendre ce propos que me confiait le chef d'état-major de l'armée des armées à ce sujet : « Le commandement de l'espace est l'incarnation la plus parfaite de ce que je souhaite en matière de subsidiarité. »

Mais le commandement de l'espace n'est pas le seul acteur. Il est un élément d'un collectif mobilisé pour mettre en œuvre la stratégie spatiale de défense et comprenant de nombreux acteurs, aux premiers rangs desquels, pour ne citer que les principaux, l'état-major des armées, l'état-major de l'armée de l'air, la DGA, la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) et le CNES.

Le CNES est réellement notre premier partenaire, dans une logique de pérennisation de la dualité — un des principes fondateurs du spatial français -, d'efficacité et de recherche de synergies. C'est un partenaire incontournable dans la durée, pour tous les sujets : innovation, programmes, opérations et formation. Nous bâtissons avec le CNES une collaboration pérenne et bénéfique pour l'intérêt général, pour le ministère et pour le CNES lui-même. Cette collaboration est très active. Au travers de différents groupes de travail conjoints entre le ministère et le CNES, nous traitons l'ensemble des sujets qui nécessitent cette coordination pour mettre en œuvre la stratégie spatiale de défense.

Où en sommes-nous concrètement dans notre montée en puissance ? Nous avançons sur tous les fronts avec détermination et agilité : notre petite structure dispose des bonnes compétences et le ministère a la volonté d'avancer. Nous avons organisé notre montée en puissance comme une opération militaire définissant douze lignes d'opération, allant des opérations spatiales ou de la définition de la doctrine à l'implantation physique, juridique et réglementaire sur le site du centre spatial de Toulouse (CST), en passant par les aspects capacitaires, juridiques, financiers, et d'autres encore. Je vais en détailler quelques-unes.

Sur le plan capacitaire tout d'abord, la LPM a fourni un effort financier initial de 3,6 milliards d'euros sur le programme 146, auxquels il faut ajouter les crédits du programme 144 et d'autres attribués à l'occasion de la revue stratégique spatiale. Environ 5 milliards d'euros sont prévus pour le domaine de l'espace, tous programmes confondus, permettant la mise en service de plusieurs capacités spatiales majeures durant la période de la LPM, comme celle des satellites de la composante spatiale optique (CSO). Le premier a été lancé en décembre 2018. Le deuxième le sera en novembre prochain dans le cadre du programme d'armement MUSIS (Multinational Space-based Imaging System). En 2021 seront lancés les deux premiers satellites de la constellation CERES (capacité d'écoute et de renseignement électromagnétique spatiale). Le cœur souverain de nos télécommunications sécurisées sera renouvelé avec les satellites SYRACUSE 4A et B lancés fin 2021 et mi-2022 et la mise en service des segments sol. Enfin, le lancement du premier incrément du programme OMEGA (opération de modernisation des équipements GNSS des armées) permettra, en cohérence avec les calendriers des porteurs Rafale et du porte-avions Charles de Gaulle, la réception bimode GPS et Galileo « PRS » pour le positionnement, la navigation et le timing. Nous avons également lancé les travaux de préparation des capacités appelées à remplacer ces programmes à l'horizon 2028, les cycles programmes étant généralement d'une dizaine d'années. Il s'agit des programmes IRIS et CELESTE pour l'observation et l'écoute.

Par ailleurs, nous avons lancé les travaux relatifs au programme à effet majeur ARES (Action et Résilience Spatiale) décidé et annoncé par la ministre des armées, qui couvre l'ensemble des moyens de surveillance de l'espace et d'action dans l'espace. Dans ce cadre, le successeur du radar GRAVES (grand réseau adapté à la veille spatiale) est en cours de définition. Une première capacité opérationnelle est prévue en 2023 et une pleine capacité est visée à l'horizon 2030. Le radar GRAVES figure sur la feuille de route capacitaire de maîtrise de l'espace ARES qui, comme indiqué dans la stratégie spatiale de défense, préconise un mélange de capacités patrimoniales et d'achat de services. Nous avons d'ailleurs signé un premier contrat de services de fourniture de données de surveillance de l'espace auprès de la société Safran Data Systems, visant à enrichir notre connaissance de l'espace à partir de données de surveillance dans le domaine des radiofréquences.

Dans le cadre du programme à effet majeur ARES encore, nous nous employons à définir notre système de commandement et de contrôle des opérations spatiales qui sera le cœur de notre capacité future. Nous avons engagé un travail en mode agile pour disposer d'une première capacité en 2023, à partir d'un outil développé par des opérateurs militaires qui se trouve au pôle opérations à Balard, avec le soutien de la DGA et du CNES. Nous en avons montré les premières évolutions au Président de la République lors de son déplacement à Orléans à l'occasion de ses vœux aux armées.

Conformément aux décisions de la ministre révélées en juillet 2019 à Lyon, nous lancerons en 2023 un démonstrateur de nano-satellites guetteur-patrouilleur, destiné à prouver notre capacité à mener des opérations en orbite géostationnaire. La réalisation de ce démonstrateur est un modèle d'opération agile, audacieuse, innovante, rendue possible par une volonté commune et un travail conjoint avec la DGA, le CNES et l'Agence de l'innovation de défense. Certains pensaient que cela ne serait pas possible avant 2028. Or, si tout va bien, nous aurons en 2023 cette capacité en orbite géostationnaire, qui représentera à la fois une première démonstration, une première capacité opérationnelle et une source d'enseignement majeur pour une vraie et pleine capacité à l'horizon 2030. En parallèle, nous avons lancé avec la DGA des études sur les charges utiles embarquées dans les satellites d'action et de surveillance.

Dans tous ces travaux relatifs à la maîtrise de l'espace, la donnée sera un facteur clé de succès et de souveraineté. S'il convient d'avoir des capteurs, des charges utiles, des plateformes et un système de commandement, la donnée sera un élément central et nous prenons actuellement la mesure des capacités en termes de stockage, de processing et d'intelligence artificielle, dont nous devons nous doter, mais également des nouveaux métiers liés à la donnée, jusque-là inconnus au commandement interarmées de l'espace (CIE) et au CDE, qu'il nous faut développer. C'est un enjeu majeur de souveraineté et nous devrons être capables de maîtriser totalement ces données pour disposer d'une appréciation autonome de situation spatiale et de caractérisation des menaces, préalable à toute action diplomatique ou militaire en vue de protéger nos capacités stratégiques.

Un deuxième axe de notre feuille de route concerne les ressources humaines et la génération de compétences qui nécessite d'identifier les nouveaux métiers, les compétences requises, la ressource, le recrutement et la formation des spécialistes. Depuis plusieurs mois, nous analysons avec l'aide du CNES les fonctions nécessaires au contrôle des segments spatiaux, celles nécessaires pour armer les postes d'un centre de commandement et de contrôle des opérations spatiales militaires et la répartition des tâches entre le personnel du ministère des armées et du CNES.

C'est à partir de ce travail et de la feuille de route capacitaire que nous avons conçu la cible RH 2025 du domaine spatial et la montée en puissance nécessaire. Alors que nous étions un peu moins de 230 lors de la création du commandement de l'espace en septembre 2019, la ministre a validé une maquette RH d'environ 500 personnes en 2025 au sein du commandement de l'espace. Dès la rentrée 2019, nous avons commencé à former nos premiers opérateurs. Deux lieutenants, formés par le CNES, sont devenus des ingénieurs missions opérationnels pour les segments de contrôle des satellites CSO et Helios. En septembre 2020, quinze militaires rejoindront ces deux premiers officiers à Toulouse pour être formés par le CNES à des métiers d'appui aux opérations ou pour développer leur expertise en orbitographie, discipline indispensable pour la surveillance de l'espace. En deux ans, nous aurons formé dix-sept militaires, ce qui est à la fois peu et beaucoup, afin de constituer le noyau dur de notre future capacité de conduite des opérations et d'armer les postes du futur centre de commandement et de contrôle des opérations spatiales militaires. Le retour d'expérience que nous allons accumuler sera essentiel pour améliorer et optimiser les cursus futurs.

Nous utilisons la compétence et l'expertise du CNES, mais nous regardons ce que font nos partenaires et alliés, notamment les Américains, qui opèrent leurs satellites depuis longtemps et qui possèdent des centres d'opérations spatiales, mais également les Italiens qui opèrent leurs satellites militaires par du personnel militaire, sans oublier les acteurs industriels qui opèrent des satellites et des constellations pour le compte de clients étrangers. Nous construisons ainsi notre vision du futur centre d'opérations spatiales militaires et de la façon la plus judicieuse d'opérer vers, depuis ou dans l'espace.

L'essentiel du commandement de l'espace sera prochainement installé à Toulouse. La montée en puissance sera rapide, conformément aux décisions ministérielles. Nous avons exprimé nos besoins et obtenu les crédits pour la construction de nos infrastructures au centre spatial toulousain (CST). Elles seront livrées en deux tranches, une première tranche en 2023 de bâtiments destinés à l'accueil de nos 200 premiers militaires et une seconde qui accueillera le centre d'opération proprement dit, le laboratoire d'innovation spatiale et l'académie, au cœur du CST. Bien davantage que des bâtiments, ces infrastructures seront des éléments constitutifs de notre capacité opérationnelle et de l'identité du spatial militaire national. Là encore, nous pouvons nous réjouir d'avoir battu des records en la matière avec notre premier bâtiment en 2023, ce qui est un délai particulièrement réduit pour une opération d'infrastructure de ce type et montre l'implication de l'ensemble des acteurs du ministère pour mettre en œuvre la stratégie de défense spatiale.

Nous allons développer un laboratoire d'innovation spatiale des armées. Pleinement intégré dans l'écosystème piloté par l'agence de l'innovation de défense, agissant en synergie avec le DGA, le CNES et l'ONERA, cet outil du ministère facilitera des projets d'accélération de l'innovation labellisés par l'agence. Un premier échelon précurseur est composé d'un jeune officier et d'un ingénieur civil recruté et financé par le biais d'une convention conclue entre le ministère des armées et le pôle Aerospace Valley de Toulouse. Ces deux personnes insérées au sein du pôle Aerospace Valley sont notre tête de pont dans l'écosystème spatial français. Après avoir établi une cartographie de cet écosystème et de son potentiel en termes de réponses à nos besoins militaires, ils ont identifié quatre premiers projets qui seront prochainement présentés à l'Agence de l'innovation de défense.

Un autre axe de notre stratégie est la coopération. Au nom de la ministre, nous avons signé, le 12 février, à Ottawa, l'acte d'adhésion de la France à la communauté spatiale des opérations militaires, qui regroupe les cinq nations anglo-saxonnes, plus la France et l'Allemagne. Avec l'Allemagne, au nom de la ministre et conformément à la volonté exprimée par les deux ministres en septembre dernier, nous avons signé en mars des termes de références pour structurer notre coopération dans le domaine de la surveillance. Nous avons également signé en juin une lettre d'intention avec l'Australie en vue de développer notre coopération et nos échanges en matière de surveillance de l'espace. Nous travaillons à relancer le partenariat stratégique avec le Japon sur la base. Malheureusement, l'élan a été freiné par le covid, mais nos deux pays souhaitent vivement une coopération dans le domaine spatial militaire. Enfin, nous avons engagé des discussions avec l'Inde, dont l'attente est aussi très forte. Des discussions sont en cours pour définir une lettre d'intention en vue de développer notre partenariat stratégique dans le spatial militaire.

Pour terminer, la France a transmis à l'OTAN sa candidature pour accueillir un centre d'excellence dédié à l'espace. Nous considérons que la candidature française est une proposition à forte valeur ajoutée. La stratégie spatiale de défense nous met en mesure de couvrir le panel le plus complet de missions spatiales militaires et de compétences. Nous sommes les seuls à avoir cette ambition en Europe qui ne nous limite pas à l'appui aux opérations et à la surveillance de l'espace. Par ailleurs, son implantation à Toulouse est une formidable opportunité pour bénéficier de la concentration d'expertise spatiale qui s'y trouve. En s'implantant à Toulouse, le centre d'excellence OTAN sera également à côté du commandement de l'espace français et de son centre d'opérations. Il sera également proche du centre de formation aux opérations spatiales, qui sera un des éléments de l'académie de l'espace. Le développement capacitaire et la réflexion doctrinale seront également irrigués par la proximité de notre space lab ou de notre centre de formation. Dans tous ces domaines, les synergies seront très fortes. En avril, nous avons transmis le détail de notre proposition. Nous allons maintenant élaborer une feuille de route concrète pour montrer que nous pouvons aller vite et que notre proposition est sérieuse.

Vous l'avez compris, les défis à relever sont nombreux. Si je devais les résumer, je dirais que le premier est de conduire la montée en puissance sur tous les fronts en vue d'obtenir des résultats rapides, de concrétiser la feuille de route de maîtrise de l'espace, de générer la compétence et de piloter notre installation à Toulouse. Le deuxième, c'est de continuer à être très présent dans les instances où les intérêts de la France sont en jeu pour le spatial militaire et pour l'espace en général – je pense en particulier aux travaux conduits dans un cadre européen, à ceux relatifs à d'éventuelles normes de régulation ou de contrôle du trafic et à ceux relatifs aux normes de comportement dans l'espace. Le dernier, c'est de conserver une réflexion prospective pour préparer l'avenir. Les évolutions sont en effet très rapides. Notre mission n'est pas de préparer le lendemain du monde d'hier, mais de préparer l'aube du monde de demain… Dans le monde de demain, on ne remplace pas une capacité par une capacité un peu meilleure. Le monde de demain dans l'espace sera différent. Il faut désormais l'aborder et le penser de manière globale, systémique. L'espace ne sera plus un milieu où sont placés des objets fournissant des capacités, mais un milieu dans lequel évolueront des systèmes de systèmes. À cet égard, le projet Blackjack de la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA) d'architecture multicouches est particulièrement éclairant. Il faut s'y préparer dès maintenant.

Pour conclure, je paraphraserai avec gourmandise la phrase célèbre du directeur de la mission Apollo 13 qui, confronté à une situation extraordinaire, aurait dit : « L'échec n'est pas une option ».

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