Je répondrai à la fois à Jean-Michel Jacques, à Didier Le Gac et à Philippe Chalumeau : l'innovation et la certitude que nous n'en perdions pas le fruit sont absolument essentielles. Nombre d'outils existent déjà qui doivent être soutenus : les études amont, le crédit impôt recherche, les comités stratégiques de filière et l'Agence de l'innovation de défense – le cœur du sujet étant d'arriver à financer l'innovation. Lorsque nous parlons de fonds souverain pour l'industrie de défense, il s'agit bien pour nous de traiter les besoins de financement de l'innovation à l'ensemble de ces stades de développement, à tous les degrés de maturité. On a besoin de financements à chaque étape des différents projets, ce qui suppose une étude complète sur le sujet.
Monsieur Marilossian soulignait que les banques n'étaient pas forcément coopératives lorsqu'il s'agissait de financer les industries de défense : on doit mener une réflexion collective sur les conséquences de certaines règles de compliance ou d'éthique pour les fonds d'investissement. Au nom du principe de responsabilité sociétale des entreprises, ces règles sont de nature à empêcher l'investissement dans le secteur de la défense de se faire. La sécurité n'est cependant pas quelque chose de malsain. On est tous d'accord pour dire que la paix, c'est mieux que la guerre mais si vis pacem, para bellum. On n'a pas nécessairement le choix. Se défendre n'est pas immoral, avoir une industrie de défense non plus.
Pour en revenir à l'innovation, renoncer à une technologie coûte extrêmement cher. On l'a vu avec les drones : on attend toujours que le projet de drone EuroMALE progresse. Selon nos évaluations, ce projet, pour être mené jusqu'à son terme, représente probablement un surcoût de l'ordre de 15 % par rapport à une importation américaine. Mais quelle importance si c'est le prix de la souveraineté ? Si demain, nous abandonnons la maîtrise technologique des drones, c'est tout un pan de souveraineté que nous abandonnons. Nous l'avons vu avec les avions E-2 Hawkeye de la marine : nous avons décidé d'acheter la première génération sur étagère à nos alliés américains à un prix relativement bon marché. Mais aujourd'hui qu'il nous faut une nouvelle génération, c'est au prix fort – et au prix d'une dépendance majeure. La souveraineté a un coût – il faut le dire aux Français – mais quand on dépend des masques chinois, on voit qu'avoir sa souveraineté a parfois son utilité.
Philippe Chalumeau nous a posé une question sur l'aspect écologique. Interrogé à l'IHEDN à ce sujet, le chef d'état-major des armées avait répondu que le rôle des armées était de gagner les guerres. Le premier impératif est en effet celui de l'efficacité opérationnelle. Cela étant dit, des évolutions sont possibles, notamment dans le domaine des infrastructures, qui, aujourd'hui, sont à peu près toutes des passoires thermiques. Mais ce thème n'est pas dans le champ de notre mission qui avait trait à l'industrie de défense : il mériterait une mission à part entière. Pour ce qui nous concerne et aurait trait à l'écologie, nous formulons des propositions sur les équipements utiles à l'action de l'État en mer, c'est-à-dire au contrôle des accès maritimes, au contrôle des pêches et à la lutte antipollution. Mais le plan de relance des industries de défense n'est pas en tant que tel un plan de transition écologique : on doit certes intégrer cette dimension mais il s'agit d'abord de fournir à nos armées les armes dont elles ont besoin pour gagner la guerre – une guerre que nous espérons tous ne pas avoir à mener et que nous n'aurons pas à mener parce que nos armes nous permettent d'acquérir la supériorité.