J'en viens maintenant à nos constats. À l'occasion de la crise sanitaire, nous avons pu constater que la coordination interministérielle dans le cadre de la coopération civilo-militaire était encore perfectible. En clair, la coopération n'est véritablement opérationnelle qu'entre le ministère de l'Intérieur et celui des Armées.
L'opération Résilience a été l'occasion pour le ministère des Armées et le ministère des Solidarités et de la Santé d'apprendre à se connaître davantage et à la chaîne Otiad d'échanger avec les agences régionales de santé pour décliner les réponses de l'État au niveau régional.
Le service du haut fonctionnaire de défense du ministère de l'Intérieur a reconnu lors de son audition qu'il pourrait être envisagé un élargissement de la cellule de coordination intérieur – défense à d'autres acteurs pour faciliter le dialogue et les échanges en fonction des thèmes traités ou la nature de la crise.
Il faut en tout cas trouver une manière de dynamiser ce réseau des hauts fonctionnaires de défense et de sécurité dont la coopération semble assez formelle aujourd'hui. Les hauts fonctionnaires de défense et de sécurité pourraient travailler ensemble au recensement des besoins de capacités critiques en cas de crise. Au ministère des Solidarités et la Santé, par exemple, on admet volontiers qu'il manque des moyens de transport de personnes contagieuses, des solutions pour la logistique « du dernier kilomètre », c'est-à-dire la distribution de masques ou de pastilles d'iode en porte-à-porte, ou encore la surveillance des sites de stockage de produits sensibles (masques et gel hydro-alcoolique en l'occurrence). Ces besoins doivent être mieux recensés et il faut s'assurer qu'il existe des réponses, civiles ou militaires.
Finalement, c'est dans les régions ultra-marines que la coordination interministérielle est la plus aboutie. La faiblesse des moyens étatiques dans ces territoires encourage les autorités locales à coopérer. Ainsi, le commandant supérieur des forces armées aux Antilles a institué une cellule « troisième dimension » avec le préfet pour recenser tous les moyens de transport aérien, civils et militaires, dans les Antilles. Chaque année, à l'ouverture de la saison des ouragans, le préfet réunit tous les services de l'État pour faire le point sur les risques. Autre exemple : en Nouvelle-Calédonie, seules les forces armées ont la capacité de faire des évacuations sanitaires la nuit. Ces collectivités sont des modèles dont il faut s'inspirer.
Entre le ministère des Armées et celui chargé de la santé, les échanges sont à la fois peu fréquents et assez formels. Un comité santé-défense se réunit en effet une fois par an au niveau des secrétaires généraux des deux ministères, notamment pour coordonner l'offre de soins du service de santé des armées avec l'offre de soins nationale. Après les attentats, ce comité a organisé des formations de médecins civils à la médecine de guerre pour faire face à des attentats de grande ampleur. Ce type de coopération devrait être encouragé dans d'autres domaines.
Par ailleurs, la coopération gagnerait à être renforcée avec d'autres ministères. Les opérations Harpie contre l'orpaillage illégal en Guyane et Shikandra contre l'immigration illégale à Mayotte en sont un exemple. Elles consistent certes en un appui opérationnel aux autorités locales mais les armées ont pour consigne de ne pas faire de maintien de l'ordre public et de rester en appui des forces de sécurité intérieure, et ce en particulier pour l'opération Shikandra. Or, si les relations entre le ministère de l'Intérieur et le ministère des Armées sont excellentes et les résultats conformes aux objectifs recherchés, chacun semble avoir atteint ses limites dans l'action coercitive. Dès lors, il serait opportun de renforcer les dimensions judicaire et consulaire en Guyane et à Mayotte par l'association du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères ainsi que du ministère de la Justice, ce qui suppose notamment de renforcer les discussions avec le Brésil et les Comores afin qu'une réponse globale, objectif initial des opérations Harpie et Shikandra, soit apportée aux difficultés dans ces territoires.