Intervention de Florence Parly

Réunion du mardi 6 octobre 2020 à 18h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Florence Parly, ministre :

Les entreprises qui travaillent de façon prépondérante pour nos armées sont plutôt moins exposées aux difficultés consécutives à la crise sanitaire que les autres. Dès le printemps, nous avons installé à la Direction générale de l'armement (DGA) une équipe qui travaille en étroite relation avec le ministère de l'économie et des finances pour assurer le suivi minutieux des entreprises qui constituent notre BITD. Nous avons contacté directement 1 300 entreprises, principalement de petites entreprises puisque nous suivons en permanence les grosses sociétés. Une centaine d'entre elles bénéficie déjà de mesures de remédiation : prêts garantis par l'État ; anticipation de commandes à chaque fois que cela a été possible ; soutien à l'export ; parfois, anticipation de plans de paiement. Si vous connaissez des sociétés dont les difficultés nous auraient échappé, adressez-les nous : la raison d'être de l'équipe chargée de surveiller le « carnet de santé » de ces entreprises est de tout faire pour qu'elles bénéficient des multiples outils définis depuis plusieurs mois pour les préserver. Pour l'aéronautique, le secteur le plus exposé à la chute de la demande dans le secteur civil, nous avons anticipé certaines commandes, et la commande d'avions Rafale par la Grèce, sur laquelle je reviendrai, est une excellente nouvelle puisque 500 PME participent au programme Rafale et 7 000 salariés sont concernés par cette commande.

Je serai heureuse de répondre à la question de M. de La Verpillière sur l'exécution du budget 2020 quand ce sera possible, mais ce serait prématuré aujourd'hui et les mois d'automne vaudront en quelque sorte double puisqu'ils doivent nous permettre d'apurer le retard pris pendant la période de confinement. Les pronostics que l'on peut faire en ce 5 octobre sont probablement sujets à une marge d'erreur. Je puis vous dire que les services du ministère s'attachent à éviter que l'exécution 2020 se traduise par des retards qui pourraient avoir des répercussions en 2021. Il ressort de mes conversations régulières avec les directeurs de l'administration centrale et les chefs d'état-major que nous devrions être en mesure de tenir nos engagements en 2020. Je ne peux exclure quelques reports éventuels, mais nous en reparlerons lors du débat sur le projet de loi de finances rectificative.

Nous veillons à ce que les délais de paiement extrêmement rapides du temps de confinement – certaines factures ont été réglées en moins d'une semaine – demeurent ce qu'ils étaient. La réserve de précaution, pour le ministère des armées, représente un milliard de crédits gelés et vous pouvez compter sur moi pour en demander le dégel au cours des discussions que nous aurons en fin de gestion. S'agissant du report de charges, ma réponse, à ce jour, ne peut qu'être imparfaite. Avec un report de 3,9 milliards en 2019, nous avons respecté les jalons posés par la LPM et nous veillerons à ce que ce report diminue.

Nous avions des doutes sur la réalisation du schéma d'emploi pour 2020 en raison de la fermeture des centres de recrutement pendant plusieurs semaines, mais les contacts par messagerie avec les candidats dès la réouverture de ces centres, mi-mai, nous ont permis de finaliser immédiatement la signature de contrats pour l'armée de terre, où les recrutements se font au fil de l'année. L'armée de l'air et de l'espace comme la marine, qui recrutent principalement après l'été, devraient l'une et l'autre remplir leurs objectifs. Le recrutement du personnel civil n'a pas été touché, ou très peu. Le schéma d'emploi devrait donc être tout à fait convenable à la fin de l'année, d'autant que certains personnels qui avaient choisi de quitter l'institution militaire sont revenus sur leur décision.

Le fonds Definvest, créé à la fin de l'année 2017, cible des entreprises stratégiques qui peuvent être de très petite taille mais dont les connaissances ou les savoir-faire sont essentiels à la performance de nos systèmes de défense et donc à notre souveraineté. Ce fonds permet de renforcer leur bilan, de stabiliser leur capital ou de contribuer à la consolidation d'une filière sur le long terme. Il vise à la prise de participations au capital par le ministère des armées et à créer un effet de levier en attirant d'autres investisseurs. Á ce jour, Definvest a investi dans huit entreprises pour quelque 13 millions ; la décision que j'ai prise de doubler la dotation de ce fonds nous permet d'accélérer l'examen de nouvelles prises de participation et l'équivalent de 10 millions sont en cours d'instruction. Nous tenons à votre disposition la liste des entreprises qui en ont bénéficié. Cet outil contribue également à préserver notre BITD. Comme il a été conçu pour préserver la chaîne de souveraineté, ne pourraient en bénéficier, parmi les fabricants de petits équipements, que ceux qui contribuent à la fourniture de pièces clef.

En 2020, nous avons atteint la cible des 40 000 réservistes fixée par la LPM. Les moyens budgétaires ont correspondu à cette ambition : en 2015, 70 millions étaient budgétisés pour cette réserve ; en 2021, 159 millions le sont, soit plus du double. Les réservistes sont donc beaucoup plus nombreux, et la réserve constitue désormais une force de frappe très intéressante. Chaque jour, en 2020, un peu plus de 3 000 réservistes servaient les armées, dont près de 680 pour des missions de protection du territoire.

Les achats de munitions de petit calibre sont faits en flux par le service interarmées des munitions ; les mêmes servent à l'entraînement et à l'emploi opérationnel et nous n'avons pas de difficultés d'approvisionnement particulières.

La remarque traditionnelle de M. le député Lachaud me fait constater que j'ai le privilège d'être toujours la première auditionnée dans le calendrier des auditions relatives au projet de loi de finances. Au risque de me répéter, je ne suis pas responsable de l'édition des documents budgétaires ; je comprends votre frustration, Monsieur le député, j'aurais espéré que vous eussiez disposé de ces documents au moment où nous sommes réunis et je ne doute pas que ce sera le cas très rapidement.

Vous êtes inquiet pour Tarbes Industry. En 2019, nous avons mis 30 millions sur la table pour assurer la fabrication d'ébauche de corps d'obus, pérennisant ainsi vingt-deux emplois pour trois ans. Tarbes Industry fait partie des entreprises donc nous suivons attentivement la situation et, à ce stade, je n'ai pas d'inquiétude sur sa pérennité. C'est un actif stratégique, pour lequel l'État a jusqu'à présent pris toutes ses responsabilités. Je le redis : si vous avez connaissance de difficultés, faites-le nous savoir, mais il ne devrait pas y en avoir pour cette entreprise. Une observation : je n'ai jamais « concédé que le ministère des armées ne participerait pas à la relance ». Tout au contraire, j'ai expliqué à la presse, et dans mon propos liminaire à votre commission, en quoi le budget 2021 contribue comme la LPM à la relance dans notre industrie de défense. Vous semblez dubitatif ; il n'y a aucune raison de l'être. Pour la quatrième année consécutive, nous tenons nos engagements et les moyens complémentaires apportés année après année à nos armées contribuent fortement à l'effort de relance puisque les investissements réalisés dans le domaine de la défense profitent directement à nos territoires, à nos emplois et à des industries françaises.

Oui, la France est le pays qui porte l'effort de défense au sein de l'Union européenne, mais nous démenons pour que nos partenaires européens nous accompagnent dans des coopérations opérationnelles – je pense en particulier au Sahel, où les Européens nous rejoignent de plus en plus nombreux – ou dans des coopérations capacitaires tels le système de combat aérien du futur ou le char de combat du futur. Nous cherchons à ce que l'effort soit plus largement partagé.

La lutte contre la cybercriminalité est l'un des axes prioritaires de la LPM. Le nombre des cyberattaques va croissant, toutes les institutions sont visées et le ministère des armées n'y échappe pas. Nous avons donc décidé d'y consacrer 1,6 milliard au cours de la période et de recruter massivement pour porter le nombre de nos cyber-combattants à 4 000 en 2025, un effectif augmenté de plus de 1 100 personnes. Notre posture « cyber » permanente garantit la surveillance des réseaux, et des capacités de lutte informatique défensive opérationnelles, mais nous prévoyons aussi de nouvelles capacités de lutte informatique offensive en appui de la manœuvre des armées. Nous consacrerons 800 millions au renforcement capacitaire pour la recherche spatiale, conformément à la stratégie spatiale de défense validée par le Président de la République à l'été 2019 qui consacre 5,3 milliards aux développements capacitaires dans ce domaine. Cette enveloppe concerne évidemment la recherche, avec la préparation de la nouvelle génération de satellites d'observation Iris, de satellites d'écoute électro-magnétiques CERES et de satellites de radiocommunication Syracuse IV.

Je laisserai Geneviève Darrieussecq traiter avec vous demain du renforcement du lien armée-nation.

Nous avons constaté pendant la crise sanitaire la très grande réactivité du SSA qui, au service des forces, s'est aussi mis en état de répondre aux besoins de santé publique de la population. Ce service qui compte 14 700 personnels civils et militaires a connu de profondes transformations. Le plan « SSA 2020 », élaboré il y a plusieurs années mettait en actes la réduction du volume du service pour accompagner celle de nos armées, et la rationalisation de sa composante hospitalière pour en réduire significativement le coût. Nous sommes parvenus au terme de cette transformation, dont nous avons eu l'occasion de tirer certains enseignements, à l'aune de la pandémie mais avant cela déjà.

En effet, dès 2017 il m'avait semblé que ce plan, s'il était poursuivi, porterait atteinte à la capacité intrinsèque du service. J'ai donc décidé de mettre un terme aux déflations d'effectifs dès cette année-là, et nous n'avons pas mené à leur terme celles qui étaient initialement prévues. J'ai aussi pris des mesures de revalorisation salariale au bénéfice des praticiens et du personnel paramédical ; entre 2017 et 2020, plus de 30 millions auront été affectés à des mesures indispensables pour éviter la fuite de ces personnels.

Samedi dernier, j'ai présenté une feuille de route devant permettre au SSA d'aligner ses moyens et son organisation de façon cohérente avec le modèle d'armée dont la LPM est l'expression. Nous devons parvenir à synchroniser notre ambition pour nos armées et notre ambition pour le SSA, puisqu'elles sont indissociables, le service étant en quelque sorte l'assurance-vie de nos armées et la clé de voûte d'un modèle d'armée complet. J'ai donc réaffirmé la finalité et l'identité profondément militaires du SSA, et indiqué que je souhaitais la redéfinition de nos relations avec le système de santé publique. Le SSA en est évidemment complémentaire, comme la crise l'a montré, mais il ne peut se substituer à lui, sauf à mettre en péril la prise en charge de nos militaires. J'ai confirmé le choix fait en faveur de deux grandes plateformes hospitalières, l'une au nord du pays avec les hôpitaux Percy et Bégin, l'autre au sud avec les hôpitaux Sainte-Anne à Toulon et Laveran à Marseille ; nous continuerons donc d'investir à cette fin. Nous renforcerons l'hôpital Clermont-Tonnerre de Brest, et à Lyon, Metz et Bordeaux où des ensembles civils ou militaires sont en cours de développement, nous poursuivrons les transformations en lien avec les territoires et en restant attentifs à ce que ces projets satisfassent les besoins des armées. Je souhaite aussi un rapprochement plus net entre la médecine des forces et l'hôpital, au bénéfice du patient militaire. La numérisation devrait nous y aider et l'administration centrale du service sera donc réorganisée pour s'ouvrir plus largement aux états-majors et à la DGA.

L'élément saillant est que cette feuille de route sera portée par des ressources nouvelles. J'ai affecté, dans l'enveloppe LPM, cent équivalent temps plein supplémentaires au SSA, ce qui permettra d'augmenter de 15 % le nombre d'élèves praticiens. J'ai aussi attribué 160 millions aux investissements dans le ravitaillement sanitaire pour améliorer la réponse au risque biologique, développer les outils numériques du SSA et financer des développements capacitaires ; 28 de ces 160 millions seront alloués dès 2021. J'ai donc réaffirmé la militarité du SSA, qui reste naturellement mobilisé au service de tous les Français, comme cela a été le cas pendant la crise sanitaire, il l'a amplement démontré.

Je remercie Didier Le Gac d'avoir bien voulu noter les efforts faits en faveur de la Marine nationale ; je suis satisfaite que ces efforts soient ressentis par les marins. Nous connaissions pour les patrouilleurs une rupture capacitaire chronique, particulièrement Outre-mer, alors que ces matériels sont indispensables à l'État pour lui permettre de mener à bien ses missions en mer. Le comblement de ces lacunes est l'une des priorités de la LPM. Pour les patrouilleurs Antilles-Guyane, nous sommes désormais à la cible puisque, après La Confiance et La Résolue en Guyane, La Combattante est désormais en service actif aux Antilles. Pour les six patrouilleurs outre-mer, j'ai fait le choix de bâtiments beaucoup plus volumineux, de ce fait bien plus adaptés aux grands espaces d'évolution que ne l'étaient les précédents, et j'ai décidé d'anticiper de deux ans leur livraison ; ils seront donc livrés à partir de fin 2022 au rythme de deux par an et j'irai à la fin de la semaine à Saint-Malo pour la découpe de la première tôle de cette série. Vous vous souviendrez que j'ai décidé il y a près de deux ans de prolonger jusqu'en 2022 l'ancien patrouilleur déployé en Nouvelle-Calédonie ; on évitera ainsi une discontinuité, en conditionnant le retrait de ce bâtiment à la livraison du nouveau patrouilleur. Enfin, la LPM fixe une cible de dix unités pour les patrouilleurs océaniques, destinés à la métropole. L'état de ces bâtiments n'étant pas flambant ni leur disponibilité totale, nous avons décidé une accélération pour que les deux premiers soient livrés avant 2025. Là encore, des choix structurants ont été faits : les capacités opérationnelles de ces nouveaux navires seront bien supérieures à celles dont nous disposons actuellement. Les dix nouveaux patrouilleurs seront dans la gamme des 2 000 tonnes, pourront emporter un hélicoptère, disposeront d'un sonar et d'un armement de calibre 40 millimètres ; aujourd'hui, nous disposons de six patrouilleurs de l'ordre de 1 200 tonnes, les trois d'entre eux qui sont déployés à Cherbourg étant beaucoup plus petits et non armés.

En résumé, onze patrouilleurs de nouvelle génération auront été livrés sur la période 2015-2025, rythme remarquable que l'on n'a pas connu depuis le début des années 1980. C'est aussi un effort « à hauteur de territoire », à la fois parce que ces patrouilleurs protègent directement les collectivités auxquelles ils sont rattachés et parce qu'ils sont construits par des chantiers de bien plus petite taille que ce dont nous avons l'habitude pour les bâtiments de premier rang, ce qui irrigue d'une autre façon notre industrie navale.

J'en viens au secteur aérien. C'est une excellente nouvelle que la récente commande d'avions de combat Rafale par la Grèce. Je souhaite répondre aux inquiétudes qui peuvent s'exprimer sur les conséquences éventuelles de cet ordre pour notre armée de l'air et de l'espace, et vous rassurer. Nous avions convenu ensemble de 129 avions Rafale en 2025 et j'ai bien l'intention de tenir cet engagement. Pour cela, je commanderai d'ici la fin de l'année, en parallèle des commandes qui seront adressées pour la Grèce, douze avions destinés à compenser le prélèvement identique fait sur les appareils de notre armée pour satisfaire l'ordre grec qui comprend, outre six Rafale neufs, douze avions d'occasion. La commande de ces douze aéronefs destinés à notre armée de l'air complétera la mise en production des vingt-huit avions déjà prévus pour être livrés entre 2022 et 2024.

Conformément aux mécanismes régissant les finances publiques, le produit de la vente des avions d'occasion va au budget général de l'État. Il me faudra donc négocier sa rétrocession avec Bercy. Ce n'est pas acquis, mais je m'engage à mener cette bataille.

Enfin, je me vois mal faire l'exégèse des propos du pape François. Mais nous sommes en train d'actualiser la revue stratégique réalisée en 2017, et cet exercice confirme l'accélération de certaines crises, notamment parce que la pandémie a un effet désinhibant pour plusieurs puissances. Je vous laisse donc conclure : je ne sais s'il s'agit d'une Troisième Guerre mondiale « par morceaux », mais la montée des tensions est significative.

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