Intervention de Général Philippe Lavigne

Réunion du mardi 13 octobre 2020 à 17h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Philippe Lavigne, chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace :

Monsieur Lejeune, je vous remercie de votre question sur les programmes européens.

Le SCAF fait face à deux enjeux, un enjeu opérationnel et un enjeu industriel de construction du système. Une étude conjointe de concept, Joint Concept Study, a été mise en place en 2019. Elle travaille à la définition des architectures envisageables pour répondre aux menaces au-delà de l'horizon 2040 : quel type d'avions, quel type de drone. L'Espagne est pleinement intégrée aux côtés de la France et de l'Allemagne dans cette étude, de manière effective depuis juillet 2020.

Nous menons par ailleurs des travaux de nature opérationnelle sur différents piliers : le pilier moteur, le pilier avions, le pilier furtivité, le pilier capteur, notamment. Ces travaux ont été lancés en février 2020, en coopération avec les principaux industriels impliqués. Je suis en liaison permanente avec mes deux autres homologues. La Combined Project Team est active, elle rassemble les Allemands, les Espagnols et les Français, de l'armée de l'air et de l'aéronavale, en lien avec la DGA et les industriels.

Enfin, je souligne la nécessite de disposer de démonstrateurs, pour conforter les choix architecturaux et technologiques. Le développement de ces démonstrateurs s'étalera sur toute la période 2021-2026. Afin de respecter les objectifs calendaires, un accord plus engageant doit être signé entre les trois pays au plus tard au printemps 2021.

S'agissant de l'EuroMale, projet qui regroupe Espagne, Italie, France et Allemagne, le besoin unanimement affiché est celui d'une capacité drone de moyenne altitude et longue endurance européenne autonome. Ce drone devra pouvoir emporter un nombre conséquent d'effecteurs, qu'il s'agisse de capteurs ou d'armements, pour avoir la capacité, en toute sécurité, d'évoluer dans un espace aérien non ségrégué. Ce projet évolue très favorablement et devrait aboutir prochainement.

Le futur missile de croisière FMC remplacera nos missiles SCALP, qui ont par exemple servi lors de l'opération Hamilton en 2018. L'enjeu est la modernisation de notre capacité de frappe dans la profondeur. Le programme FMAN/FMC, qui porte également sur une capacité de frappe anti-navire mise en œuvre par la marine nationale, est conduit de manière bilatérale avec les Britanniques. Après une étude de concept qui a été notifiée en 2017, nous mènerons en 2021 une évaluation conjointe pour définir si nous choisirons un modèle subsonique et furtif ou un autre modèle. Afin de ne pas faire face à une rupture capacitaire, l'armée de l'air et de l'espace souhaite disposer des premiers FMC en 2030, date à laquelle les SCALP rénovés seront retirés du service.

S'agissant de l'aviation de chasse et de sa modernisation – ce qui rejoint aussi votre question, Madame la présidente – je rappelle que l'aviation de combat est constituée des avions porteurs, mais aussi de tous les équipements et munitions. Nous avons commandé, depuis le début du programme, 180 Rafale. L'armée de l'air et la marine en disposent actuellement de 152. Nous prévoyons de disposer de la tranche 4T2, qui compte 28 appareils, avant 2025. Comme je l'ai dit, ainsi que Mme la ministre dans son discours devant votre Commission, 129 Rafale sont attendus au sein de l'armée de l'air en 2025, et ce point de passage n'est pas remis en cause. Il est important car parallèlement, douze Mirage 2000C vont être retirés du service à l'horizon 2022. Et 55 Mirage 2000D sur les 70 dont nous disposons, seront rénovés. Nous sommes ainsi engagés dans un mouvement de réduction progressive du nombre de Mirage 2000 qui doivent être compensés par l'augmentation du nombre du Rafale. Nous avons construit un « biseau », pour accueillir la livraison de la cinquième tranche de 30 Rafale entre 2027 et 2030, et permettre la création d'un escadron Rafale sur la base aérienne de Luxeuil, que vous connaissez bien Monsieur Lejeune. Un grand effort est aussi porté sur les équipements plus petits : radars à antenne active (AESA), jumelles de vision nocturne, gilets de combat et radios dont La LPM prévoit l'augmentation.

L'aviation de combat connaît une perpétuelle modernisation. En effet, le Rafale F3-R est cours de livraison. Cet avion nous permet de déployer le missile METEOR, arme de supériorité aérienne, et de disposer d'un nouveau pod de désignation et d'observation, TALIOS, lui aussi en cours de livraison.

Monsieur Chassaigne a également posé une question sur les douze avions vendus à la Grèce. Cette perspective d'export vers nos partenaires grecs constitue une formidable opportunité, qui plus est indispensable pour notre base industrielle et technologique de défense, car les seules commandes de la France ne suffiraient pas. Ce sera la première fois que nous vendrons des Rafale en Europe, ce qui est très positif. La commande, annoncée par Mme la ministre, de douze nouveaux avions Rafale en remplacement de ces douze avions d'occasion cédés à la Grèce, vient limiter cet impact opérationnel.

L'actualisation de la LPM, qui aura lieu en 2021, portera sur la période 2023-2025. Tout ce qui n'est pas encore engagé fait l'objet de mon attention. Je pense naturellement à la maîtrise de l'espace et au programme à effet majeur (PEM) « Action et résilience dans l'espace » (ARES). Plusieurs millions d'euros sont prévus. Nous suivrons de près ces financements, notamment pour construire le commandement de l'espace.

S'agissant des ressources humaines, j'attends la consolidation des 900 postes prévus pour l'armée de l'air entre 2023 et 2025, sur les 1 246 prévus par la LPM. Ces 900 postes sont absolument nécessaires dans différents domaines d'expertise, nous y reviendrons.

Concernant la poursuite de la modernisation de la formation aéronautique, l'armée de l'air et de l'espace dispose de 17 PC‑21. Mon objectif est de voir leur nombre augmenter, afin d'effectuer la transition du PC-21 vers le Rafale, et ainsi retirer du service un certain nombre d'Alphajet qui assurent encore cette mission. Dans le cadre du projet « MENTOR », nous souhaitons poursuivre la moderniser de la formation initiale des jeunes pilotes à Salon-de-Provence en optimisant la durée et le nombre d'aéronefs utilisés. Voilà les points principaux de l'actualisation de la LPM.

Monsieur Ferrara, je vous remercie pour vos deux questions, sur le MCO et sur les coopérations dans le domaine spatial. Concernant le MCO, plusieurs leviers existent pour augmenter la disponibilité. La DMAé a mis en place des contrats verticalisés : contrat Ravel, pour le Rafale, ou encore Chelem, signé fin 2019 pour nos hélicoptères Caracal, par exemple.

Outre le levier industriel, nous améliorons les performances du niveau de soutien opérationnel (NSO), qui concerne les mécaniciens de l'armée de l'air et de l'espace. À Orléans par exemple, nous avons mis en place un plateau technique réunissant, outre les personnels de l'armée de l'Air et de l'Espace, la DMAé et les industriels. Les équipes techniques sont organisées en frontline et en baseline, avec une équipe que je qualifierais de « chirurgiens d'urgence » et une équipe qui traite dans la durée les problèmes rencontrés par nos avions, selon des horaires adaptés, notamment dans le contexte de la covid, mais surtout afin d'augmenter le temps de travail disponible sur nos appareils. La disponibilité est meilleure. La maintenance de l'A400M connaît une dynamique positive, grâce au NSO et à une meilleure coordination entre l'ensemble des intervenants.

Pour le Caracal, le contrat Chelem, signé en novembre 2019, prévoit une amélioration de la disponibilité sur une période de dix‑huit mois.

Pour le Rafale, nous commençons à ressentir les premiers effets positifs du contrat Ravel, signé mi-2019, notamment dans la résolution des faits techniques.

Enfin, s'agissant des Mirage 2000D, leur rénovation limite forcément leur disponibilité, dans la mesure où une partie de la flotte est immobilisée chez l'industriel. Je tiens toutefois à souligner l'extraordinaire travail de nos mécaniciens sur Mirage 2000D et 2000-5, pour être au rendez-vous des opérations et de la préparation opérationnelle.

J'en viens aux impacts de la crise sanitaire. Grâce à un travail d'équipe – je pense aux industriels, aux mécaniciens, à la DMAé, à la DGA –, nous avons réussi à réaliser toutes nos missions en opérations, avec un taux de réalisation de 88 % d'heures de vol réalisées par rapport aux prévisions : 95 % pour la chasse, 95 % pour les hélicoptères. Le transport aérien a moins volé, car les frontières d'un nombre important de pays étaient fermées. Nous allons quand même réaliser 95 % de l'activité prévue pour l'A400M. Nous rencontrons en revanche un problème sur le C-130, dont je parlerai ultérieurement.

Concernant l'espace, la coopération est très riche. La France dispose d'une crédibilité, industrielle, scientifique – je pense au Centre national des études spatiales (CNES) et à l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA) – et surtout stratégique grâce à la stratégie spatiale de défense française. Nous avons adhéré au programme Combined Space Operations, qui regroupe les « Five Eyes » et l'Allemagne, en février 2020. L'objectif est de partager une vision commune sur la détection, l'identification et les opérations spatiales à l'horizon de 2030.

Avec l'Allemagne, nous visons in fine une surveillance de l'espace élargie, grâce à une complémentarité des capacités. Les deux ministres ont signé une lettre d'intention, et nous avons mis en place des groupes de travail sur les questions opérationnelles et capacitaires. Nous travaillons beaucoup sur l'échange d'informations.

Notre partenariat avec les États-Unis est opérationnel. Nous échangeons beaucoup avec le nouveau commandement de l'espace américain que dirige le général Raymond. Notre coopération est permanente, sur les normes de comportement et sur la communication stratégique.

Nous avons aussi un partenariat d'exception avec le Japon, qui offre un important volet civil et souhaite développer un volet militaire, tant dans le domaine de la surveillance que de l'information. Il en va de même pour l'Inde, avec laquelle nous avons conclu un partenariat stratégique, et qui nous sollicite beaucoup pour coopérer dans les mêmes domaines.

Monsieur Cubertafon, j'ai déjà répondu sur le MCO, mais vous avez très justement pointé du doigt l'un des leviers de la disponibilité : pour faire voler les appareils, nous avons besoin de mécaniciens, au sein de notre armée de l'air et des autres armées. La modernisation participe de la fidélisation : le Rafale, l'A400M, la montée en puissance du MRTT ou des autres flottes y contribuent. Les formations elles-mêmes doivent être modernes. Nous travaillons actuellement sur le hangar du futur, sur les formations initiales sur le site de Rochefort, dans le cadre de notre projet Smart school, mais aussi sur l'impression 3D. Monsieur Chassaigne évoquait l'AIA de Bordeaux : à proximité, nous disposons d'un site – l'atelier de réparation de l'armée de l'air (ARAA) de Beauséjour – qui pourrait devenir une sorte de ferme d'impression 3D. La fidélisation intègre également des leviers financiers : les compétences spécifiques de nos mécaniciens doivent être reconnues. Cet axe de réflexion est inclus dans la NPRM. Le recrutement est également un facteur à considérer. Nous devons augmenter notre capacité de recrutement : depuis 2019, nous poursuivons un objectif de plus 3 000 recrutements par an, dont un certain nombre de mécaniciens – de toutes spécialités – contre moins de 2 000 recrutements en 2014. Pour fidéliser il nous faut aussi faire évoluer l'activité : un mécanicien est heureux, tout autant qu'un pilote, lorsque les avions volent.

Monsieur Larsonneur, vous m'interrogez sur la posture permanente de sûreté aérienne et sur les enjeux de la défense sol-air. Vous avez cité les drones employés dans le conflit au Haut‑Karabakh. Avant tout, il me paraît nécessaire de rappeler l'état des menaces existantes et d'évoquer celles à venir : les drones constituent des menaces furtives ; des menaces hypervéloces existent aussi. Les contrer constitue un enjeu crucial pour aujourd'hui et pour demain. S'ajoutent des menaces manoeuvrantes. Comment les contrer ? Il nous faut jouer en équipe, à l'image de ce que fera le SCAF, en tant que système de systèmes.

La première étape consiste à détecter et identifier. La détection rejoint votre question sur la modernisation des capteurs. Nous pouvons disposer de radars en propre, comme la LPM le prévoit, avec seize rénovations de radars haute et moyenne altitude, des radars en basse et moyenne altitude, des contrôles locaux d'aérodromes, des radios et des systèmes pour relier d'autres systèmes. Entre 2020 et 2025, cette partie de la détection sera donc modernisée. La détection se fait également avec les pays transfrontaliers : le Royaume-Uni, la Belgique, l'Allemagne, la Suisse, l'Italie et l'Espagne. Nous échangeons nos données, et disposons ainsi d'une couverture et d'une profondeur stratégique supérieure.

Il nous faut enfin être capables de traiter toutes ces menaces, de la lutte anti-drones jusqu'à la lutte antimissiles, et ainsi d'intervenir dans toutes les couches d'altitude. L'armée de terre met en œuvre des radars de très courte portée et l'armée de l'air et de l'espace des systèmes sol-air de courte et moyenne portées. Le retrait de service du système Crotale NG est prévu d'être prolongé au plus tard en 2027. Il permet une détection en très basse altitude, inférieure à 150 mètres, pour défendre des zones d'intérêt temporaire, des « bulles », comme au G7, des bases aériennes ou des centrales nucléaires. La prolongation de cette capacité à horizon 2030 n'est aujourd'hui pas pris en compte dans la LPM ; il est important de l'inscrire dans son actualisation. Enfin, nous disposons du système sol-air de moyenne portée (MAMBA). Une augmentation de ses capacités est prévue, avec une signature de contrat espérée pour la fin de l'année 2020, des premières livraisons en 2027 et une livraison de huit SAMP/T NG en 2030. Son radar sera plus puissant, il discriminera de plus loin. Le missile ASTER va disposera d'une portée et d'un plafond en altitude accrus, et l'engagement sera beaucoup plus autonome. Voilà qui répond en grande partie à vos questions. L'échéance des JO 2024 est importante, mais j'ai aussi pris un engagement vis-à-vis de l'Otan et de la force de réaction de l'OTAN (NATO response force) en 2022.

Monsieur Corbière, concernant la capacité de détection en basse altitude, j'ai en partie répondu. La LPM inclut les acquisitions de radars en basse altitude, fixes ou mobiles, et nous disposons d'une feuille de route pour la détection basse couche, dans le cadre de la sûreté aérienne, qui nous permettra de prendre en compte ce type de détection. Nous en sommes aujourd'hui à la quatrième version du SCCOA, et le SCCOA 5 prévoit le renforcement de cette capacité de détection en basse altitude. Nous attendons l'évolution du radar Giraffe, que nous avions déployé en Arabie Saoudite. Il est nécessaire de jouer en équipe, entre aviation civile et aviation militaire ; en effet, l'aviation civile et les grands aéroports disposent de capacités de détection. L'enjeu est de coordonner l'ensemble de ces radars. Nous y travaillons, notamment avec le CDAOA.

Monsieur Chassaigne, nous avons déjà abordé le MCO aéronautique et la question de la disponibilité, avec la vente des douze avions à la Grèce. Nous limitons l'impact opérationnel avec la commande de douze nouveaux avions annoncée par Mme la ministre. Le SIAé est essentiel. Je me suis rendu à Clermont‑Ferrand il y a peu ; Mme la ministre va également s'y rendre. Un nouveau directeur central du SIAé a été nommé. Nous travaillons tous ensemble, DMAé, DGA, SIAé et armée de l'air et de l'espace pour répondre à l'enjeu de disponibilité des matériels aéronautiques. Le C-130H constitue bien un problème qui est pris en compte. Il s'agit d'un vieil avion, qui, comme tout vieil avion, ne disposait pas de système de navigabilité. Le SIAé a récupéré la charge de la maintenance de cette flotte en juillet 2018. Nous avons établi un diagnostic et mené des opérations de maintenance qualifiées en termes de navigabilité. Cela a pris du temps. Le SIAé a cependant réussi à intervenir sur le C-130, avec des moyens et des organisations très modernes.

Le SIAé ne peut pas travailler seul. Outre le site de Clermont‑Ferrand, il va s'adosser au site d'Orléans : une équipe du SIAé viendra travailler avec nos mécaniciens sur les C-130. Nous mettons en place un véritable travail d'équipe. Quant à la mise à disposition des matériels, nous y travaillons et avons notamment pu mettre des matériels à disposition de l'École des pupilles de l'air et du site de Rochefort ; nous allons continuer à le faire pour l'ensemble des écoles de formation, et nous solliciterons les industriels.

Monsieur Favennec Bécot, vous m'avez interrogé sur la densité croissante et sur le suivi des objets dans l'espace. Le suivi des objets spatiaux est assuré par notre système radar GRAVES, les retombées à risque par notre système SATAM, dont la rénovation est prévue en 2023, et également par certains télescopes, par le biais de coopérations avec les États‑Unis ou l'Allemagne. Actuellement, nous ne menons pas de travaux, au sein de la Défense, sur la gestion des débris, mais nous suivons la question par le biais du suivi des objets spatiaux.

Madame Khedher, je vous remercie pour les félicitations que vous avez adressées à nos militaires. La crise sanitaire nous a permis de travailler encore plus étroitement avec nos partenaires, que nous connaissons déjà bien. Le CDAOA met en œuvre une cellule de coordination et de sauvetage. Elle a permis notamment pendant la crise sanitaire de coordonner la manœuvre aérienne des différents organismes, de garantir la sécurité aérienne en particulier lors de multiples arrivées sur des hôpitaux engorgés. Les retours d'expérience ont permis de fluidifier la manœuvre globale et de développer des protocoles pérennes en interministériel.

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