Intervention de Amiral Pierre Vandier

Réunion du mercredi 14 octobre 2020 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Amiral Pierre Vandier, chef d'état-major de la marine :

Les liens entre la marine et le numérique sont anciens puisque, dès les années 1960, nos navires étaient connectés entre eux par une liaison de données tactiques (LDT). Cette LDT, ou liaison 11, permettait aux bateaux de partager en réseau la même situation tactique. Grâce à cela, un objet détecté par un bateau était reporté dans le système d'armes de tous les bateaux du réseau. Nos réseaux de LDT incorporent désormais les aéronefs. Le Hawkeye et le Rafale sont ainsi connectés dans un « cloud » tactique qui fonctionne en temps réel et permet de connaître, outre les objets que chaque plateforme détecte, leur statut, leur nombre de munitions et le carburant restant – pour ce qui est des avions.

À mesure que les technologies évoluent, nos navires les incorporent, mais nous devons composer avec des matériels d'âge différents et donc de niveaux technologiques différents. L'Alouette III qui transportait déjà le général de Gaulle n'est pas un appareil numérique, contrairement au NH90. De la même façon, le PHM, ancien aviso de type 69, n'est pas un navire numérique, mais la FREMM et la FDI le sont. Avec les FREMM, nous avons vu arriver nos premiers « bateaux systèmes ». Un travail a été mené ces dernières années pour sécuriser et rendre robustes sur le plan cyber nos bateaux. C'est la rançon du progrès des petits équipages : pouvoir mettre en œuvre, y compris au combat, un bateau de 6 000 tonnes avec un équipage de moins de 120 marins impose de connecter beaucoup d'équipements. La fragilité inhérente à ce type d'architecture doit donc être prise en compte par le renforcement du cyber.

Il s'agit aussi d'utiliser toutes les données produites par nos systèmes, qu'elles soient opérationnelles ou de maintenance, pour commencer à les faire « parler » – soit dans le domaine tactique, à des fins de retour d'expérience et de compréhension, soit à des fins d'instruction et de maintenance. Par exemple, l'audit de M. Jean-Georges Malcor qui avait été commandité par la ministre des armées sur le MCO naval, a permis de voir tout le champ qui pourrait être le nôtre en matière de maintenance prédictive. L'objectif recherché est bien d'augmenter la disponibilité en opérations et de maîtriser le coût global de MCO naval.

Nous avons également des programmes technologiques importants dont l'objectif est de durcir notre réseau tactique, notamment la connectique aéronavale qui permettra de reporter la connaissance de positions de cibles à des systèmes en veille. On peut ainsi imaginer qu'une frégate transmette à un Rafale tous les éléments lui permettant de délivrer une arme sans même avoir démarré son radar, donc en toute discrétion.

Plusieurs travaux de war gaming ont également été menés, pour simuler des contextes opérationnels et identifier les tactiques les plus adaptées.

S'agissant des tensions en Méditerranée, la marine française est très présente dans cette zone au travers de sa participation à la mission Irini de l'Union européenne, qui a succédé à la mission Sophia, ou de sa présence dans la mission Sea Guardian de l'OTAN, suspendue après l'incident avec la marine turque. Aujourd'hui, nous sommes dans une logique de désescalade. Nous avons des canaux de discussions militaires qui visent à s'assurer qu'il n'y ait pas de mauvaise compréhension ou d'escalade involontaire entre les forces à la mer.

Concernant les affaires européennes, plusieurs programmes sont en cours et fonctionnent. Des coopérations structurées permanentes font l'objet de développements et utilisent le fonds européen de la défense. Le programme FLOTLOG de construction de bâtiments de ravitaillement de la marine a été lancé l'an dernier et est réalisé avec l'OCCAr. Le programme NH90 est piloté par un organisme européen, sous l'égide de l'OTAN. Nous avons aussi des coopérations importantes avec l'Italie, notamment dans le domaine des munitions complexes, et avec les Britanniques dans le domaine de la lutte anti-mines – j'y reviendrai.

Le canon électromagnétique est un développement très intéressant. Cette arme a été expérimentée par les Américains, les Chinois et je ne peux que me réjouir que l'Europe s'y intéresse. Ce type de développement nous aidera à progresser dans le haut du spectre.

J'en viens à la question relative à la guerre des mines. Jusqu'à la fin des années 1960, celle-ci se menait surtout par dragage, avec de vieux bateaux en bois construits pendant la Seconde Guerre mondiale et équipés de câbles et de cisailles pouvant couper les câbles maintenant les mines entre deux eaux. Ces opérations de dragage consistaient à labourer les chenaux et les zones de sortie des bâtiments, pour en garantir le libre accès. Puis, dans les années 1970-80, la marine a accompli un premier saut technique en passant des dragueurs aux chasseurs de mines tripartites – un programme mené en coopération avec la Belgique et les Pays-Bas. Plus de trente bateaux ont été construits, en composite pour avoir une signature magnétique extrêmement faible, mettant en œuvre un premier drone – le PAP, Poisson autopropulsé – et un sonar très performant sur sa coque. Avec le programme MMCM, nous allons accomplir un nouveau saut technologique, en coopération avec les Britanniques : nous allons franchir le pas de la dronisation de la chasse aux mines !

Cette capacité sera délivrée très prochainement. Nous sommes d'ailleurs au poste de manœuvre pour accueillir ce premier prototype et réaliser les essais aussi vite que possible, afin de définir exactement les caractéristiques des bâtiments de projection de ces drones dont le lancement sera réalisé en fin de cette LPM. Le calendrier de production étant sous tension, il ne nous semble pas réaliste de l'accélérer.

Comment la marine se prépare-t-elle à faire des bases résilientes aux aléas climatiques ? Nous travaillons pour cela étroitement avec le service hydrographique de la marine et l'Ifremer qui suivent avec une grande attention l'augmentation du niveau de la mer et l'évolution des phénomènes climatiques majeurs. S'agissant des cyclones, le niveau de prévision atteint désormais une grande précision, puisque nous parvenons à estimer plusieurs jours à l'avance la trajectoire possible d'une tempête tropicale devenue un cyclone. Nous sommes donc en mesure de commencer à nous y préparer. Nos bases navales outre-mer ne devraient pas être menacées par l'augmentation du niveau des eaux dans les dix prochaines années. Je n'envisage donc pas d'opérer prochainement de façon différente dans ces régions. Je rajouterai enfin que nous disposons d'un remarquable outil pour faire face aux conséquences d'une catastrophe environnementale : les PHA, les porte-hélicoptères amphibie. Au-delà de leurs contributions à des opérations nettement plus militaires, Ils se sont illustrés au cours des dernières années dans plusieurs opérations de secours aux populations très bien menées dans le monde entier.

S'agissant de l'EPM munitions navales, je ne peux que me réjouir de l'effort fourni dans la LPM actuelle pour commencer à combler le déficit en matière de munitions. Les contraintes financières imposées par la LPM précédente nous obligeaient à des choix cornéliens entre le renouvellement des stocks de munitions ou la construction de nouvelles plateformes. Cette année, nous recevrons les premières torpilles F21 du programme Artémis, des missiles de croisière navale, et des Aster 30. Par ailleurs, 45 kits missiles Mer-Mer 40 block3 seront commandés dans le cadre du PLF 2021, des missiles MICA NG pour le Rafale, commun avec l'armée de l'air et de l'espace. Sans munition, pas d'entraînement digne de ce nom et sans entraînement digne de ce nom, comment garantir au chef des armées que ses ordres seront in fine exécutés de manière nominale ? J'ajoute que compte tenu des délais de fabrication de ces munitions, cet effort doit être durable. Il devra être poursuivi dans les PLF suivants.

J'en viens à la question relative au programme FDI. Certes, ce bâtiment est plus compact que la FREMM, avec un déplacement de 4 500 tonnes au lieu des 6 000 tonnes de la FREMM. Néanmoins, il bénéficiera des innovations technologiques de la FREMM dans de nombreux secteurs, des nouveaux radars performants de Thales et d'un système de direction de combat de nouvelle génération. La FDI sera en outre notre première « frégate incrémentale » ce qui devrait permettre d'améliorer ses performances en continu. Son équipage sera aussi plus important que celui d'une FREMM.

Par ailleurs, la FDI n'est pas un bateau imposé par l'industrie d'armement à la marine mais un compromis entre les besoins opérationnels de la marine et la nécessité de disposer d'un produit industriel exportable, export sans lequel il n'y a pas d'industrie d'armement française viable et donc pas de souveraineté nationale. La première FDI a été commandée en 2017, une autre en 2021, et les trois autres respectivement en 2022, 2024 et 2025. La première FDI sera livrée en 2023.

Le retard lié au covid-19 pour le programme FDI est de l'ordre de six mois. Ce retard sera difficilement résorbable compte tenu de la résurgence de l'épidémie et du renforcement des mesures sanitaires. Le calendrier de livraison des FDI tient compte d'un décalage de quatre mois. Ce n'est qu'avec la réception de la cinquième FDI que nous atteindrons réellement le format de quinze frégates de premier rang.

J'en viens à la question concernant l'Arctique et l'Antarctique. L'évolution de la situation dans les pôles, principalement au pôle Nord, est une préoccupation pour les marines occidentales. À partir du moment où ces routes maritimes deviendront praticables, le trafic mondial s'y polarisera car elles sont nettement plus courtes et moins dangereuses, en termes de piraterie par exemple, que le passage de certains détroits.

Concernant les Terres Australes Antarctiques Françaises (TAAF), nous travaillons en étroite collaboration depuis de nombreuses années avec l'administration des TAAF et l'Institut Paul-Emile Victor (IPEV). C'est une démarche unique en Europe dont nous ne pouvons que nous féliciter.

S'agissant de la partie Arctique, je rends hommage à mon prédécesseur, l'amiral Prazuck, qui a permis au BSAM Rhône d'emprunter le passage du Nord-Est en 2018, de la Norvège au détroit de Béring en passant par l'Arctique russe. Le Rhône, qui n'est pas spécialement conçu pour naviguer ainsi au milieu des glaces, a effectué son périple en totale autonomie, sans assistance d'un remorqueur. Il a suivi une route qui n'avait été empruntée qu'une fois par un bâtiment militaire occidental, le croiseur auxiliaire allemand Komet en 1940. Opérer dans cet environnement permet de renforcer notre expertise de ces navigations très spécifiques, car avec le réchauffement climatique en cours, des navires de guerre et des sous-marins de compétiteurs pourront passer ainsi du Pacifique à l'Atlantique sans difficulté. Nous nous y préparons pour n'être ni surpris, ni démunis.

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