Intervention de Général François Lecointre

Réunion du jeudi 15 octobre 2020 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général François Lecointre, chef d'état-major des armées :

Je tiens tout d'abord à vous remercier vivement, Madame la présidente, de ce propos introductif et à remercier les députés qui m'offrent cette occasion d'échanger avec eux.

Cet échange très intéressant m'est toujours très utile et je mesure, à chacune de nos rencontres, l'appui et le soutien apportés par les parlementaires, notamment par les députés, aux efforts qui sont conduits au sein des armées, à la fois ceux qu'accomplissent nos soldats, les hommes et les femmes des armées, en opérations extérieures – et l'hommage que vous leur rendez à chaque fois leur est rapporté : ils y sont toujours extrêmement sensibles parce qu'à travers vous s'exprime le soutien de la nation – mais également celui engagé par les armées pour construire, avec beaucoup de constance, un modèle d'armée qui corresponde aux besoins de la France et de notre société.

C'est donc toujours pour moi une occasion très agréable d'échanger avec vous en toute franchise, en évitant toute langue de bois, même s'il peut arriver que je n'aie pas la réponse à certaines de vos questions.

Permettez-moi d'abord, comme je l'ai fait hier au Sénat, de réagir aux propos qui ont été tenus à l'occasion de la récente libération d'otages et de revenir sur l'incompréhension ou l'indignation qu'ils ont pu susciter.

On ne peut pas comparer l'ennemi auquel nous sommes confrontés aujourd'hui au Sahel à un groupe armé d'opposition, ni comparer les modes opératoires de cet ennemi aux modes opératoires des armées françaises ou d'autres armées régulières. Cet ennemi est un ennemi terroriste qui a fait allégeance à une internationale terroriste, dont l'objectif est d'instaurer des califats djihadistes et extrémistes sur des territoires entiers, avec l'instauration de la charia dans ses formes les plus dures. Nous luttons contre ces groupes armés terroristes, qui ont des modes opératoires qui ne correspondent en rien aux modes opératoires d'une armée régulière.

L'armée française, qui se bat en portant une attention constante tant au droit international qu'au droit de la guerre, est guidée par une éthique extrêmement exigeante qui lui impose de maîtriser sa violence et de toujours subordonner ses actions militaires à l'atteinte d'un objectif politique, parfaitement transparent, validé et présenté à l'ensemble des parlementaires et des représentants de la nation.

Dire que ces groupes armés terroristes sont comparables à des militaires d'autres armées et qu'ils se contenteraient d'essayer d'obtenir la libération de leurs prisonniers est inacceptable. On ne peut, par exemple, imaginer qu'une armée française aille chercher des otages dans la population civile pour obtenir la libération d'autres otages.

La France et les armées françaises continueront de se battre avec la dernière détermination pour cette cause parfaitement juste et nos soldats continueront, avec beaucoup de courage, à exposer leur vie pour un combat qui demeure un combat très légitime.

Hier, l'un de mes camarades, qui a commandé l'opération Barkhane au Mali, m'a envoyé une citation très belle et très inspirante du Maréchal de Lattre, citée par Hélie Denoix de Saint‑Marc dans sa préface du livre Paroles d'officiers, 1959-1990. Des Saint-Cyriens témoignent, et qui permet de mieux comprendre l'action de la France aujourd'hui.

Le Maréchal de Lattre disait en effet : « La France ne se bat pas ici, en Extrême‑Orient, pour des biens qu'elle ne possède plus, mais pour remettre ces biens à des hommes qui respectent la liberté et les libertés. Jamais la France n'a mené un combat aussi désintéressé. »

Soyez donc bien assurés qu'en restant toujours très attentifs au soutien de notre société, nous continuerons à remplir notre mission avec la même énergie.

J'en viens aux engagements opérationnels en cours afin d'illustrer concrètement la manière dont l'échéancier de commandes et de livraisons capacitaires que comporte la LPM permettra de réparer notre modèle d'armée et de le consolider avant une LPM à venir qui s'attachera à le faire monter en puissance afin qu'il atteigne sa pleine modernisation.

En février 2020, le Président de la République a rappelé, à l'École de guerre, sa volonté de doter la France d'un outil de défense complet, moderne, puissant, équilibré, mis en œuvre par des armées réactives et tournées vers l'avenir.

À cette occasion, il a confirmé qu'un effort budgétaire inédit serait consenti pour atteindre cet objectif, effort qui a pris la forme de la loi de programmation 2019-2025. Le projet de loi de finances pour 2021, qui vient en marquer la troisième année d'exécution, est tout à fait conforme à cette volonté présidentielle et la traduit parfaitement.

L'engagement opérationnel a atteint en 2020 un niveau élevé en raison de la combinaison de crises, notamment en termes d'effectifs puisque, depuis le 1er janvier dernier, un peu plus de 7 800 hommes et femmes ont été engagés chaque jour en opérations extérieures et 12 500 placés en situation opérationnelle sur le territoire national, dans le cadre des missions permanentes ou des opérations Sentinelle ou Résilience. Cette combinaison de crises a par ailleurs permis de mettre en lumière la très grande réactivité de nos armées.

À ces chiffres déjà significatifs il faut ajouter ceux se rapportant aux équipements, aux capacités et à leur utilisation en opération.

Pour l'armée de Terre, l'opération Barkhane mobilise plus de 500 véhicules blindés, lourds et légers, et plus de 400 véhicules logistiques : camions de transport, camions de dépannage et moyens de manutention.

Ainsi plus de 20 % du parc de véhicules blindés légers (VBL) est aujourd'hui déployé en opération ou prépositionné au sein de nos forces de présence ou de souveraineté. Près de 30 % des engins blindés au Sahel sont des VBL, engins de reconnaissance incontournables en opération, aujourd'hui insuffisamment protégés, comme l'actualité nous le rappelle malheureusement de façon régulière.

Depuis le printemps dernier, quatre de nos hommes ont en effet été tués par des engins explosifs improvisés (EEI) alors qu'ils se trouvaient à bord de VBL. Un programme de régénération partiel de 800 de ces engins vise à maintenir cette capacité en attendant que leurs successeurs ne soient définis.

Ces quelques chiffres, qui permettent de mesurer pleinement les conséquences de l'usure des équipements tant sur la vie de nos hommes que sur notre capacité opérationnelle, illustrent le lien direct entre commandes et livraisons d'une part et capacité opérationnelle des armées au quotidien d'autre part.

Pour la marine, l'opération Irini a vu l'engagement récent d'une frégate de lutte anti-sous-marine, admise au service actif en 1990, qui sera remplacée dans ses fonctions par la frégate Lafayette Courbet rénovée, le temps de voir arriver la série de cinq frégates de défense et d'intervention, dont la deuxième sera commandée dans le cadre de cette loi de finances pour 2021.

Les chiffres de l'engagement de certaines capacités phare de la marine nationale en 2020 parlent également d'eux-mêmes : les trois porte-hélicoptères amphibies et les six frégates multimissions (FREMM) totaliseront chacun plus de 130 jours de mer en moyenne, la norme définie par la LPM étant de 110 jours de mer par bâtiment, ce qui illustre le poids de la pression opérationnelle sur notre modèle d'armée.

Ces engagements ont été alourdis cette année au-delà de ce qui est entraîné par l'ensauvagement du monde et par la dégradation de plus en plus inquiétante du contexte géopolitique et géostratégique tout à la fois dans l'océan Indien et en mer Méditerranée, mais également en mer de Chine du Sud.

Les moyens maritimes ont évidemment été engagés de façon importante lors de l'opération Résilience afin d'apporter des secours aux Antilles, à La Réunion et en Corse, où ils ont procédé à des évacuations sanitaires.

Ils ont également été engagés, avec une réactivité absolument remarquable, dans l'opération Amitié, lorsque nous sommes intervenus au Liban l'été dernier.

Pour l'armée de l'Air et de l'Espace, l'exemple du système de drone Reaper, dont nous possédons trois exemplaires, me semble particulièrement significatif : deux sont déployés à Niamey dans le cadre de l'opération Barkhane, un est mis en œuvre en métropole pour la préparation opérationnelle. La livraison attendue du quatrième système nous permettra de ramener le taux de projection de cette capacité, absolument indispensable, à 50 %.

Vous mesurez bien à quel point ce taux de projection est tout à fait exceptionnel pour une armée dont, malheureusement, la plupart de nos concitoyens n'ont pas suffisamment conscience du degré d'engagement en opérations extérieures dans une période qu'ils conçoivent comme une période de paix.

Le cas de nos dix-sept A400M, engagés de manière quasi-permanente en opération, est particulièrement significatif : certains sont utilisés de façon continue dans l'opération Barkhane depuis l'été, tandis que d'autres couvrent le théâtre Chammal à un rythme hebdomadaire, voire en surge, comme lorsque nous avons dû désengager la task force Monsabert d'Irak.

Dans le cadre de l'opération Résilience, ces A400M ont été massivement déployés outre-mer, en Polynésie française, à La Réunion, à Mayotte, en Guyane et aux Antilles, équipés du kit de transport sanitaire, c'est-à-dire du module de réanimation pour les opérations (MEROPE), qui permet de les transformer en moyens d'évacuation sanitaire. Là aussi, au-delà de l'emploi de ces aéronefs, la réactivité du service de santé et de l'armée de l'Air et de l'Espace a été remarquable.

Quel est le bilan provisoire de la gestion 2020 ?

Nous avons été capables de faire face à la crise de la Covid-19, dont vous connaissez l'ampleur et que nous ne pouvions pas anticiper. La réactivité du ministère, qui s'est révélée très précieuse, a surtout été rendue possible parce qu'elle s'est appuyée sur la LPM qui a permis à la direction générale de l'armement (DGA) et à l'état‑major des Armées d'identifier, en amont, tout le potentiel de rebond dont nous pouvions disposer.

Nous avons ainsi pu reprendre la gestion 2020 dès la fin du confinement en procédant au lancement d'opérations nouvelles en substitution des annulations auxquelles nous avions été contraints de procéder en raison des difficultés rencontrées par les industriels. De ce point de vue, la LPM a joué le rôle de véritable ressort de sortie de crise.

Aujourd'hui, l'évaluation provisoire des effets de la crise sanitaire est de 1,1 milliard d'euros de moindres paiements en 2020, compensé par 300 millions d'euros et par la mobilisation de mesures nouvelles, à hauteur de 800 millions d'euros.

L'intégralité des crédits non consommés a été redéployée au profit d'un plan Rebond qui comprend principalement les crédits destinés au soutien de la filière aéronautique, à hauteur de 613 millions d'euros d'autorisations d'engagement et de 187 millions d'euros de crédits de paiement en 2020.

Ce plan se traduit par des commandes anticipées correspondant à nos besoins opérationnels d'avions, d'hélicoptères et de drones militaires et permettant autant de soutenir concrètement et immédiatement la préservation de l'emploi, en particulier dans les petites et moyennes entreprises (PME) et dans les entreprises de taille intermédiaires (ETI) de la filière, que de doter les armées d'équipements absolument indispensables.

Ces commandes comprennent notamment trois avions de transport stratégique A330 qui seront transformés à terme en MRTT – Multi Role Tanker Transport –, c'est-à-dire en avions ravitailleurs multirôles, dont deux seront livrés dès 2020, un avion léger de surveillance et de renseignement (ALSR), dont la notification interviendra avant la fin de 2020, huit hélicoptères Caracal, poursuivant ainsi le remplacement des Puma, ainsi que des drones de surveillance navale, dont la notification interviendra également avant la fin de l'année 2020.

S'agissant des effectifs, l'impact des perturbations liées à la Covid-19 sur la gestion 2020 a été limité grâce à la très grande réactivité des armées et des chaînes de recrutement. L'armée de Terre estime ainsi qu'elle aura, d'ici à la fin de l'année, réalisé 98 % de son plan de recrutements prévisionnel. De plus, un ralentissement des sorties prévues, de l'ordre de 2 000, permet d'atteindre les cibles d'effectifs prévues en fin d'exercice.

L'exécution de la LPM constitue un levier essentiel d'appui à l'activité économique dans les territoires, de nombreuses dépenses de soutien liées à la vie quotidienne des armées intervenant sous la forme de contrats passés localement avec de très petites entreprises (TPE) ou des PME, pour l'entretien d'espaces verts, de collecte de déchets, de petits travaux d'adaptation d'infrastructures ou de nettoyage. Un tel soutien des armées est loin d'être négligeable puisqu'il représente un budget de fonctionnement de 3,7 milliards d'euros.

Quelques illustrations de l'exécution 2020 sur le plan capacitaire : pour l'armée de l'Air et de l'Espace, les livraisons d'aéronefs ont été conformes aux commandes. Ainsi la livraison d'un A400M permet à la flotte de passer à dix-sept appareils.

La livraison d'un avion ravitailleur MRTT Phénix porte la flotte à trois appareils sur une cible de quinze, essentielle pour atteindre une pleine capacité absolument indispensable à l'exécution et à la réalisation du contrat de dissuasion nucléaire. Un premier avion a déjà été déployé au Qatar, au profit de l'opération Chammal.

Nous avons également reçu un C130J, dont la flotte passe à quatre appareils, atteignant ainsi l'objectif de 2025 et nous offrant la possibilité de ravitailler en route nos Caracal pour des missions dans la profondeur, améliorant nos capacités d'appui aux opérations grâce au transport stratégique et tactique ainsi qu'au ravitaillement en vol, capacités extrêmement sollicitées aujourd'hui, au Sahel notamment.

L'armée de Terre recevra cinq Tigre rétrofités au standard HAD sur les six prévus, six Caïman neufs prévus devant également être livrés d'ici à la fin de l'année.

La marine a déjà reçu un Atlantique 2 rénové, et le second devrait être livré d'ici la fin de l'année, ce qui permettra de faire face aux exigences toujours plus complexes de la lutte anti-sous-marine.

Par ailleurs, en termes de cohérence générale, 200 missiles de moyenne portée (MMP), indispensables pour la capacité antichars et anti-véhicules de nos forces terrestres, ont déjà été livrés en 2020.

Une accélération des livraisons au titre des mesures du plan Rebond devrait permettre éventuellement d'en réceptionner 200 supplémentaires d'ici à la fin de l'année afin de nous permettre de disposer de stocks suffisants.

Le projet de loi de finances pour 2021 proprement dit confirme l'ambition affichée.

Tout d'abord, en masse budgétaire, nous atteignons 39,2 milliards d'euros alors qu'en 2017, l'annuité était de 32,2 milliards d'euros : cette augmentation régulière est conforme aux pas de 1,7 milliard d'euros correspondant à l'engagement du Président de la République.

Elle avait d'ailleurs commencé formellement avant la LPM puisque la première année d'augmentation de ces ressources avait été l'annuité 2018.

Le projet de loi de finances pour 2021 est donc, s'agissant du budget de la Défense, parfaitement conforme tant aux besoins de nos armées qu'au respect de la volonté présidentielle.

Cette croissance constante correspond à un effort de la nation qui oblige l'ensemble de nos armées et l'ensemble des structures du ministère à rendre des comptes extrêmement précis de l'emploi qui est fait de ces ressources ainsi que du déroulé strict de la programmation militaire.

J'évoquerai trois points sur ce PLF : le renouvellement des capacités opérationnelles, la préparation de l'avenir et, enfin, dimension importante de la LPM, l'amélioration des conditions d'exercice du métier, c'est-à-dire « la LPM à hauteur d'homme ».

Le renouvellement des capacités opérationnelles s'opère selon deux axes : la modernisation et la réparation.

La modernisation indispensable se fait non pas au travers de projets très futuristes, mais simplement par le remplacement de capacités arrivées à un stade de vieillissement justifiant amplement leur remplacement.

Grâce à une BITD performante, cette période de remplacement nous procure une avance très nette sur de nombreuses armées occidentales en nous conférant des capacités qui, chaque fois, se situent dans le haut du spectre et au dernier standard, nous garantissant une supériorité opérationnelle.

Il en est ainsi, par exemple, des radars de surveillance de l'espace aérien national, qui datent des années quatre-vingt et dont l'indispensable remplacement restaurera notre supériorité opérationnelle grâce à la livraison d'équipements de nouvelle génération que notre BITD peut produire.

Sur les douze radars fixes de moyenne et basse altitude indispensables commandés avant 2017, deux radars supplémentaires seront livrés en 2021 : ils nous permettront de disposer d'une information d'altitude et d'améliorer la couverture radar à basse altitude, ce qui est essentiel pour la posture permanente de sûreté Air (PPS-AIR) qui s'en trouvera consolidée.

Les 196 véhicules de l'avant blindé d'évacuation sanitaire (VAN SAN), dont la protection est insuffisante, constituent une autre illustration de cette nécessaire modernisation par remplacement d'engins obsolescents et vulnérables, notamment au Sahel, aux engins explosifs.

Cette vulnérabilité a malheureusement entraîné, depuis que je suis en fonction, un certain nombre de blessés et de morts parmi nos hommes.

À ce jour, nous avons d'ores et déjà déployé quatorze véhicules de l'avant blindé au nouveau standard de lutte contre les EEI dans la bande sahélo‑saharienne, et nous avons commandé la mise à un standard supérieur de quarante‑cinq véhicules de l'avant blindé supplémentaires.

À terme, ce sont donc 20 % de nos VAB SAN qui seront à un standard Counter Improvised Explosive Device (CIED) élevé, solution qui a pour seul objectif de nous permettre d'attendre, en offrant à nos hommes des conditions convenables de sécurité, l'arrivée des futurs véhicules d'évacuation sanitaire du programme SCORPION.

Je m'en tiendrai à quelques autres exemples des livraisons les plus emblématiques.

La livraison d'un A400M et de trois MRTT permettra de poursuivre la rationalisation de la capacité de transport stratégique et de ravitaillement en vol et notamment de conforter notre capacité à réaliser le contrat dissuasion nucléaire. Les seconds représentent un véritable saut capacitaire : ils livrent à 1 000 kilomètres de distance 75 % de pétrole en plus par rapport au KC135. Nous disposerons d'ici à 2021 au total de six exemplaires, ce qui permettra de poursuivre le retrait en service d'équipements plus anciens, tels ces KC135, commandés à l'époque du Général de Gaulle.

Le sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) Suffren, le premier de série du programme Barracuda, dont la cible est de six bâtiments, sera admis au service actif et remplacera un SNA de la classe Rubis.

Il apportera, entre autres, de nouvelles capacités de discrétion acoustique, de frappes contre terre avec des missiles de changement de milieu, ainsi que des capacités d'engagement de forces spéciales, qui nous permettront d'être très opérationnels face à des menaces de plus en plus avérées dans notre espace et notre zone d'intérêt européenne – je pense bien évidemment à la Méditerranée – et à proximité de nos sanctuaires.

Les livraisons du programme SCORPION pour l'armée de Terre se poursuivront avec 157 Griffon qui viendront s'ajouter en 2021 aux engins déjà livrés en 2019 et 2020. Ce véhicule, dont les premiers retours des unités qui en ont été dotées sont extrêmement positifs, a vocation à être la future bête de somme de l'armée de Terre, comme le véhicule de l'avant blindé l'a longtemps été – et l'est encore par la force des choses.

Il devrait connaître sa première projection au Sahel à la fin de l'année 2021.

Au-delà de cette modernisation grâce à des équipements aux derniers standards, nous développons un axe de réparation, par comblement des ruptures ou des réductions capacitaires, ainsi que par restauration de la cohérence globale du modèle.

En matière de comblement de lacunes capacitaires, la FREMM de défense aérienne (DA) Alsace, équipée d'un radar de veille aérienne plus puissant que celui des FREMM ordinaires, remplacera l'ancienne frégate Cassard, déjà désarmée – notre format de frégates de défense aérienne n'étant par conséquent pas conforme à nos besoins opérationnels –, et nous permettra donc de rejoindre le format de quatre frégates de défense aérienne indispensable à l'accompagnement de nos forces navales à la mer et à notre intervention dans des zones où nous avons besoin de frégates de premier rang ayant cette capacité de défense aérienne.

Autre exemple : la livraison de quatorze pods de désignation laser de nouvelle génération offrira aux avions Rafale air et marine des capacités d'engagement air-sol accrues, les dotant d'une capacité de discrimination très améliorée, ce qui est indispensable même dans des missions d'appui aérien rapproché face à des adversaires recherchant une imbrication toujours plus forte avec nos propres forces.

Pour ce qui concerne la restauration de la cohérence, nous recevrons en 2021 12 000 armes individuelles du fantassin, 400 kits Auxilium de communication mobile utilisés sur le territoire national dans le cadre de l'opération Sentinelle, ou encore dix fusils de brouillage anti-drones.

Le renouvellement de l'ensemble de ces équipements marque bien l'attention que nous portons à nos combattants et notre souci constant de garantir tant leur supériorité opérationnelle que leur moral : il nous faut des soldats qui aillent au combat confiants et se sachant équipés des meilleurs standards.

Nous recevrons également l'année prochaine dix-huit missiles Aster 30 pour les FREMM DA, les premiers missiles antinavires Exocet MM40 Block3C aux capacités offensives renforcées, ainsi que 440 A2SM et 90 SCALP rénovés qui amélioreront les capacités de nos Rafale, notamment dans le domaine de l'appui aérien rapproché et de la frappe dans la profondeur.

Enfin, nous allons, c'est l'une de mes préoccupations en tant que chef d'état‑major des Armées, maintenir l'effort de préparation opérationnelle. L'efficacité d'une armée ne repose pas uniquement sur les capacités dont elle est dotée ou sur la cohérence générale – qui s'appuie sur des munitions et des équipements de mission sans lesquels les principales plates-formes sont quasiment inemployables –, elle repose également sur la préparation opérationnelle.

En la matière, des ambitions ont été fixées par la LPM et par la courbe d'atteinte de l'ambition 2025 : or nous avons, en dépit de l'impact de la crise sanitaire, continué à progresser cette année et nous continuerons à progresser l'an prochain.

Ainsi, l'armée de Terre devrait atteindre un niveau de jours de préparation opérationnelle par homme, d'ici à la fin de l'année, de 78, pour une cible initiale de 80 jours, et de 163 heures de vol par pilote d'hélicoptère, pour les 171 heures prévues.

Les pilotes de chasse de l'armée de l'Air et de l'Espace devraient atteindre un niveau de 151 heures de vol, contre les 164 heures prévues. Nous devrions même nous situer s'agissant de la Marine nationale au-dessus de l'objectif pour les bâtiments de combat de haute mer, avec 102 jours de mer contre un objectif de 96 jours.

Si les objectifs de préparation opérationnelle pour 2021 sont ambitieux, je pense que nous les tiendrons. Nous n'avons, en réalité, pas d'autre choix, car ils répondent à une véritable nécessité : nous y travaillons donc avec une grande attention avec les chefs d'état‑major d'armée. Je suis, pour ma part, optimiste quant à notre capacité à les atteindre.

En complément de ces deux axes de modernisation et de réparation, nous n'abandonnons pas la préparation de l'avenir, c'est-à-dire, même si cela paraît lointain, la préparation des capacités qui rentreront en service dans une vingtaine d'années, à partir de 2040.

Les grands projets de ce modèle d'armée 2040 sont bien connus.

Je citerai le SCAF, système de combat aérien futur et le système de combat terrestre principal MGCS – Main Ground Combat System – ainsi que le drone européen MALE – Medium Altitude Long Endurance.

Ces projets vont structurer la coopération internationale, rassembler des partenaires majeurs autour de la France et, nous l'espérons, permettre de lancer une véritable BITD européenne, part essentielle de la souveraineté européenne que nous appelons tous de nos vœux et qui me semble indispensable dans l'avenir au regard des évolutions géopolitiques et de la réorientation vers le Pacifique des priorités américaines.

Sur ce chemin, plusieurs besoins capacitaires s'avèrent plus urgents que nous ne l'avions initialement anticipé. Ainsi, dans le domaine cyber, nous devons investir dès à présent en vue de développer nos capacités opérationnelles. Je note que dans ce cas, il ne s'agit pas de combler des ruptures capacitaires, mais bien de se doter de nouvelles capacités : en matière de chiffrement, de cryptographie ainsi que d'informatique offensive. Le budget du cyber sera par conséquent, en 2021, porté à 201 millions d'euros.

Il en va de même dans le domaine de l'espace : avec un budget de 624 millions d'euros, nous prévoyons le lancement de la construction de l'infrastructure du commandement de l'espace, avec l'ambition de voir s'installer à ses côtés un centre d'excellence de l'OTAN.

En 2021 seront également livrés des satellites d'observation (Composante Spatiale Optique), de télécommunication (Syracuse IV), et d'écoute spatiale (CERES, première capacité d'écoute et de renseignement électromagnétique spatiale, avec trois satellites).

La coopération se traduira par des engagements sur les projets de drone MALE et SCAF, l'année 2021 étant la première année du cadre financier pluriannuel 2021-2027 du Fonds européen de défense (FEDeF) qu'il a été décidé de porter à 7 milliards d'euros. Un programme de travail sera élaboré avec la Commission européenne en vue de développer des projets capacitaires en coopération.

Enfin, l'innovation de défense est dotée d'une organisation et de méthodes nouvelles, l'objectif étant d'accélérer le développement et le déploiement des innovations auprès des utilisateurs.

Les moyens associés à l'Agence de l'innovation de défense (AID) s'élèveront à 922 millions d'euros en 2021, avec un système très décentralisé et un réseau d'innovation dans les territoires s'appuyant sur les laboratoires d'armées et des centres de la DGA. De plus, le fonds d'innovation des armées, Definnov, doté de 200 millions d'euros en 2021.

Ces outils permettent réellement d'orienter les financements disponibles vers la participation au développement de technologies duales prometteuses et de garantir une relation très courte entre l'expression des besoins des utilisateurs, ces innovations et leur mise en œuvre.

Enfin, la hauteur d'homme est importante : la vie quotidienne de nos soldats passe par l'utilisation de leurs matériels majeurs. Sur le territoire national, le maintien en condition opérationnelle suppose une disponibilité technique opérationnelle convenable : en la matière, la verticalisation des contrats d'entretien programmé des matériels permet de fixer des objectifs de plus en plus ambitieux.

Conformément à l'effort porté par nos investissements pluriannuels, les crédits d'entretien programmé du matériel augmenteront de 1,5 milliard d'euros de façon à permettre cette verticalisation mise en œuvre par la direction de la maintenance aéronautique (DMAé), mais aussi par le service de soutien de la flotte (SSF) et la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT).

Parmi les petits matériels de proximité, financés au programme 146 (Équipement des forces) mais également au programme 178 (Préparation et emploi des forces) et qui profitent directement au militaire et à l'amélioration des conditions d'exercice de sa mission, on peut citer le gilet pare‑balles : plus de 100 000 exemplaires, qui permettront de doter individuellement chaque combattant, sont prévus par la LPM.

La tenue de protection de base de nouvelle génération, plus résistante et mieux adaptée aux cas d'usage, permettra d'équiper le personnel embarqué de la marine, avec une cible de 12 000 marins : près de 11 500 tenues devraient être livrées cette année.

Est également inscrite une commande de 15 000 pistolets automatiques qui permettra de remplacer nos PAMAS aujourd'hui complètement obsolètes.

Environ 300 mini-drones collectifs seront également commandés pour un coût de 4 millions d'euros. Nous équipons progressivement nos forces de ces moyens qui fournissent un appui d'image instantané aux unités déployées sur le terrain.

Important, le budget consacré aux infrastructures est marqué par une augmentation sensible, à hauteur de 55 millions d'euros en autorisations d'engagement et 70 millions d'euros en crédits de paiement.

Confié aux armées, directions et services, il permettra d'améliorer les conditions de travail et d'accueil dans les régiments, ports et bases aériennes.

L'effort bénéficiant à l'hébergement se poursuit également, à hauteur de 256 millions d'euros d'autorisations d'engagement et de 95 millions d'euros de crédits de paiement pour l'annuité 2021.

Enfin, le budget du service de santé des armées (SSA) progressera de 27 % en 2021, ces crédits supplémentaires devant servir au recomplètement des stocks utilisés, c'est-à-dire à l'achat de masques, d'équipements de protection, de respirateurs ainsi qu'à la constitution des nouvelles antennes médicales.

Ces besoins ont été identifiés, suivis et tracés à l'occasion de la crise sanitaire, et seront satisfaits.

Je conclus sur deux sujets importants.

Le premier est celui de la singularité militaire. L'année 2021 verra le lancement de la nouvelle politique de rémunération des militaires, avec la mise en œuvre de la nouvelle indemnité de mobilité géographique qui constitue une réponse très adaptée aux conditions de vie spécifique des hommes et des femmes de nos armées et à la contrainte forte qui pèse sur leur mobilité et sur leurs changements de domicile.

Si 38 millions d'euros y seront consacrés, je regrette que ce montant ne soit pas plus important.

Pour autant, cette revalorisation est une première marche, il faudra que nous soyons attentifs à la poursuite de cette nouvelle politique de rémunération des militaires qui donnera aux armées les moyens de gérer l'indispensable fidélisation des effectifs, notamment s'agissant des compétences rares, leur offrant ainsi les leviers dont elles ont besoin en matière de ressources humaines.

Cette singularité militaire ne saurait être réduite aux seuls statut et rémunération : nous continuons à travailler à ce qui en constitue le fondement, à savoir des capacités, des compétences ou des vertus particulières comme la disponibilité, la discipline, la réactivité, la capacité à l'action en autonomie et évidemment, des principes éthiques propres aux armées.

Au-delà de simples règles de statut ou de rémunération, c'est tout un ensemble de modes de fonctionnement, de structuration et d'organisation des armées qui permet la mise en œuvre de ces principes de réactivité et d'autonomie. Cette mise en œuvre passe par la subsidiarité, par la création d'échelons de synthèse, par une capacité de réponse au plus près de la crise des échelons de commandement qui ont entre leurs mains tous les moyens de l'action.

Nous restaurons avec l'appui du ministère des capacités que nous avions perdues avec les LPM précédentes et en raison de fortes contraintes budgétaires qui ont pesé sur les armées et de la révision générale des politiques publiques (RGPP) qui a été mise en œuvre de façon particulièrement stricte au ministère de la défense.

Cet important travail que nous conduisons avec la ministre devra être poursuivi sur le long terme : je vous demande de nous appuyer et de nous y encourager.

L'autre sujet important à mes yeux est celui de la préparation opérationnelle, qui est l'une des clés de voûte du modèle. On peut avoir une armée avec des hommes et des femmes bien payés, avec des capacités extrêmement modernes et complètes, avec des équipements de cohérence permettant de conduire l'action, avec des stocks de munitions autorisant une montée en puissance rapide. Mais si cette armée n'a pas la ressource nécessaire à sa préparation opérationnelle, elle ne vaut rien.

Nous avons su préserver cette préparation opérationnelle et nous nourrissons l'ambition de la faire monter en gamme. Elle est essentielle pour l'efficacité de nos armées : nous devons donc y veiller collectivement.

Ce projet de loi de finances pour 2021 permettra, dans la logique et en pleine cohérence avec la volonté présidentielle et la volonté nationale, de restaurer nos capacités militaires, d'atteindre les objectifs de reconstruction de nos armées que nous avons arrêtés dans la LPM, mais également d'atteindre, à l'horizon de 2030, l'ambition opérationnelle de référence que nous nous sommes fixée et qui me semble de plus en plus incontestable au regard de l'évolution du monde.

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