S'agissant de l'opération Sentinelle, vous le savez, Madame Mauborgne, les opérations ne se programment pas. Et la priorité, c'est les opérations. Lorsque l'opération Amitié se déclenche, nous ne nous disons pas qu'elle va perturber les entraînements et que nous ne pouvons pas l'accepter. Quand il faut porter secours aux populations, nous le faisons. Quand il faut conduire l'opération Résilience, nous le faisons. C'est tout à fait normal. L'opération Sentinelle, qui vise à protéger les Français, est indispensable, et l'armée de Terre est fière de s'y engager.
Cela étant, nous devons être capables de maîtriser notre engagement opérationnel, de faire « respirer » nos opérations. L'opération Amitié est un bon exemple : nous avons réagi très vite, nous avons produit des effets très vite et nous nous sommes désengagés dès que d'autres ont été capables de prendre le relais. C'est ce que nous faisons également lorsque nous portons assistance aux populations dans l'urgence ; dans le Gard comme dans les Alpes-Maritimes, nous commençons à nous désengager, maintenant que des moyens civils de l'État prennent le relais.
S'agissant de l'opération Sentinelle, même s'il ne m'appartient pas d'évaluer la menace terroriste, il me semble qu'elle a considérablement évolué. Nous ne sommes plus aujourd'hui face à la menace d'un terrorisme avec des armes de guerre face à laquelle, à l'époque, les forces de sécurité intérieure pouvaient être relativement démunies. Par ailleurs, elles ont bénéficié, elles aussi, d'un effort important sur le plan des ressources humaines et sur le plan financier. Elles ont gagné en performance et sont désormais capables de prévenir les attaques terroristes, plutôt que de les subir et d'y réagir.
Nous devons effectivement nous poser la question de l'évolution de l'opération Sentinelle. Nous pourrions diminuer l'empreinte de l'engagement, à savoir le nombre de soldats mobilisés en permanence et, en contrepartie, augmenter la réactivité des forces terrestres pour qu'elles soient en mesure de s'engager partout sur le territoire national en cas d'événement. Cette réactivité est déjà en train de se mettre en place dans l'armée de Terre, où des sections de chaque unité sont placées en alerte pour une durée pouvant aller de six à soixante-douze heures, selon leur localisation. Elles sont en mesure de réagir en cas d'attaque terroriste pour appuyer les forces de sécurité intérieure, sur réquisition, mais également en cas d'urgence météorologique, comme dans le Gard et les Alpes-Maritimes. L'opération Sentinelle pourrait effectivement gagner en réactivité et en capacité : je suis d'accord avec vous sur ce point, Madame la députée. Il serait peut-être temps de la faire évoluer, en diminuant son empreinte et en augmentant sa réactivité.
Madame Dubois, le SMV permet effectivement à 72 % des jeunes qu'il accueille de se réinsérer. Une telle réussite illustre bien l'engagement et l'implication de l'armée de Terre au profit de notre jeunesse. L'armée de Terre est bien consciente de son rôle en ce domaine. J'ai entendu, comme vous, les déclarations du garde des Sceaux qui imagine que l'armée pourra, demain, encadrer des jeunes délinquants. Ne confondons pas tout : nos soldats ne sont pas des délinquants. Il s'agit de jeunes Français et Françaises qui ont choisi de s'engager pour défendre leur pays, ce qui n'est pas la voie de la facilité. Le lien qui lie tous les membres de l'armée de Terre est le code d'honneur du soldat, qui vous a d'ailleurs été transmis. Ce n'est pas parce que les armées donnent l'image d'un groupe qui fonctionne bien, avec une vraie cohésion et une relation très forte de l'ensemble de ses membres, que nous pouvons transposer son fonctionnement aux jeunes délinquants. Je le répète, seuls des volontaires s'engagent dans les armées.
Madame Poueyto, vous m'avez interrogé sur la réserve opérationnelle et sur ce que prévoit, à son sujet, la vision stratégique. Premièrement, il convient de simplifier son fonctionnement d'un point de vue administratif. Deuxièmement, il faut réfléchir à la façon dont elle pourrait être impliquée dans une armée de Terre qui s'engagerait en opération de haute intensité. Il faut une étude sur cette question, car je n'ai pas la réponse. Je vois au moins trois hypothèses : soit la réserve ne change pas et continue à être utilisée en appui de la sécurisation ; soit elle assume des missions de protection et de défense face à un ennemi extérieur qui menacerait nos sites, ce qui nécessiterait un niveau de préparation supérieur ; soit, enfin, on considère qu'il faut des unités de réserve capables de s'engager en haute intensité, en renforcement direct des unités d'active. Dans un tel cas, des batteries d'artillerie pourront-elles être armées par des réservistes ? Des escadrons de transport pourront-ils être armés par des réservistes ? Des escadrons de reconnaissance et d'investigation pourront-ils être armés par des réservistes ? Mais s'il est décidé d'armer des batteries d'artillerie avec des réservistes, par exemple, il conviendra de les équiper en canons et en obus, de les former et de les entraîner ; tout cela aura un coût. Et des propositions devront être formulées pour la prochaine LPM sur laquelle vous devrez alors vous prononcer.
D'un point de vue pratique, sachez par ailleurs que je ne suis pas capable de faire monter en gamme simultanément l'armée de Terre et la réserve.
S'agissant du fonctionnement de la réserve, en 2019-2020, nous avons atteint les objectifs de recrutement des réservistes pour l'armée de Terre, qui étaient fixés à 24 300. En termes de gouvernance, nous sommes passés d'une logique quantitative, où il s'agissait d'atteindre un objectif, à une gestion qualitative. Pour ce faire, nous devons notamment nous prémunir d'un vieillissement trop important de la réserve ; nous devons trouver un juste équilibre entre « vieillissement » et « conservation de l'expérience ». Nous sommes en train d'élaborer des directives pour 2021, où notre vision sera rappelée, le but étant que les régiments puissent agir avec une vraie subsidiarité ; des principes seront également exposés, s'agissant de l'emploi de la réserve.
Concernant le char Leclerc, Monsieur Larsonneur, je vous confirme que sa modernisation ne peut se limiter à la pose d'un poste radio CONTACT. Vous avez rappelé à juste titre que plusieurs pièces sont aujourd'hui frappées d'obsolescences durables. Certaines seront traitées dans le cadre de la rénovation - calculateur de conduite de tir, vétronique, boîtiers et pupitres - mais une opération d'investissement est nécessaire pour répondre aux obsolescences majeures qui concernent la turbomachine, l'optronique et certains composants du moteur.
Monsieur Corbière, le recrutement a été interrompu durant deux mois, ce qui nous a fait perdre environ 2 à 3 000 volontaires. Nos recruteurs ont certes continué de traiter les dossiers transmis par internet, mais tant que le ou la jeune volontaire ne s'est pas rendu au centre de recrutement (CIRFA), on ne peut pas mesurer et finaliser son engagement. Le Parlement a effectivement adopté des mesures pour faciliter le maintien de militaires en poste ou même le retour d'un certain nombre d'anciens militaires. Ces mesures nous ont permis de limiter notre déficit à 300 ou 400 hommes fin 2020. Nous avons également poursuivi nos efforts de fidélisation, car un homme qui reste n'est plus un homme à remplacer. Vous avez pu voir la campagne de recrutement qui a été lancée ; il semble qu'elle donne déjà de bons résultats.
S'agissant de la sous-consommation des crédits de titre 2 l'an dernier, seuls 20 millions n'ont pas été exécutés, sur une masse salariale de 4,6 milliards d'euros pour l'ensemble de l'armée de Terre. Je n'ai donc pas, il est vrai, consommé la totalité des crédits, mais c'est explicable : nous gérons 115 000 militaires, libres de dénoncer ou de prolonger leur contrat, et des jeunes peuvent décider de s'engager à tout moment. Il convient donc de rester mesurés. Tout consommer dans l'année à l'euro près – ce serait plus un coup anormal qu'une gestion exemplaire.
Je le redis : les mesures que vous avez prises cet été ont été très utiles et continuent de l'être, en permettant à certains militaires qui avaient décidé de partir ou étaient déjà partis, au vu de la situation économique, de pouvoir rester ou revenir dans les armées.
Concernant l'impératif de doter les armées de tous les moyens nécessaires à l'exercice de leurs missions, j'ai bien lu votre rapport relatif aux équipements individuels, Monsieur Chassaigne. Je ne conteste pas le fait que certains soldats ont pu vous dire que tel ou tel équipement leur manquait. Mais devons-nous voir le verre à moitié vide ou à moitié plein ? Si certains se plaignent de ne pas avoir reçu le HK, c'est que d'autres l'ont. Je peux comprendre qu'un soldat qui n'a pas conscience de l'évolution qu'a connu notre matériel au cours des vingt dernières années demande à recevoir un équipement moderne. Mais vous et moi devons être capables de prendre du recul, c'est-à-dire de reconnaître l'évolution qui a pu être réalisée grâce à la LPM et à l'accélération de la livraison des équipements.
En outre, nous ne pouvons pas espérer distribuer les HK à tous les soldats de l'armée de Terre en un an : ce n'est pas réaliste. L'industriel, de toute façon, n'aurait pas la capacité de le faire et il ne serait pas raisonnable qu'il monte une chaîne qui livrerait 100 000 HK en une année, pour ne plus en produire ensuite. Livrer 12 000 à 13 000 HK par an permet à l'armée de Terre d'intégrer ce nouveau matériel.
Je ne dis pas que c'est une situation facile à gérer pour l'armée de Terre. Certains soldats s'entraînent avec un matériel et partent ensuite en OPEX avec un autre. C'est une caractéristique forte de l'armée de Terre : une énergie importante pour permettre aux unités de s'entraîner avec des matériels neufs et plus anciens. D'autant que nous devons préparer l'ensemble de l'armée de Terre à un meilleur niveau. C'est la raison pour laquelle les objectifs en matière d'équipements doivent être maintenus et atteints. Il en va de même pour l'atteinte des normes d'entraînement.