Intervention de Joël Barre

Réunion du jeudi 15 octobre 2020 à 14h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Joël Barre, délégué général pour l'armement :

Nous avions prévu un niveau d'engagements élevé pour 2020, de l'ordre de 24 milliards d'euros. Il est certain que nous ne les tiendrons pas, car ce chiffre était ambitieux, et à cela s'est ajoutée la crise du covid. Nous rattraperons ce retard au plus tard dans le courant de l'année 2021. Nous avons un débat avec Bercy sur les reports d'autorisations d'engagement, qui sera soumis à l'arbitrage de Matignon. Nous devrons continuer à y travailler mais je reste confiant.

Nous appliquons à toute demande d'investissements en provenance de pays étrangers la réglementation relative aux investissements étrangers en France (IEF) avec toute la rigueur et la précision nécessaires. Les équipes de Bercy, où débute le processus, nous apportent leur concours. Nous avons suivi cette procédure s'agissant de la pépite Photonis.Eramet se décidera peut-être à vendre Aubert et Duval, qui représente aussi un atout critique et stratégique pour nos matériels. Nous encourageons un tour de table de reprise avec, en particulier, les grands maîtres d'œuvre, utilisateurs des produits d'Aubert et Duval, que sont Safran, Airbus, Dassault etc. J'espère que ce montage émergera dans les semaines à venir.

La société CNIM est aussi un cas un peu particulier, car elle est active dans plusieurs domaines. Elle exerce une activité de défense et d'innovation technologique, que nous utilisons, parfois dans des domaines critiques – je pense aux tubes lance-missiles de nos sous-marins –, qui se porte bien économiquement. Malheureusement, ses comptes sont plombés par l'activité qu'elle conduit dans d'autres domaines, notamment la gestion des déchets. Je ne sais comment la situation évoluera mais nous veillerons à ce que les activités qui relèvent de nos intérêts de défense soient préservées et reprises dans des conditions qui protègent notre souveraineté sur ces technologies critiques.

Nous entrons dans l'exercice d'actualisation de la loi de programmation militaire 2019-2025, tel qu'il est prévu depuis l'origine. Nous n'en sommes donc qu'au début. Depuis 2018, nous avons tenu nos engagements en matière de gestion budgétaire, de développement et livraison – nous rattraperons en 2021 les effets du covid –, d'approfondissement de la coopération européenne et de transformation. Nous avons créé l'Agence de l'innovation de défense pour stimuler l'innovation, nous avons rapproché nos équipes de celles des armées pour mener à bien la démarche capacitaire qui doit présider à la naissance de tous les nouveaux programmes, nous avons revu le processus de programmation et de conduite de ces programmes, nous avons généralisé la démarche incrémentale pour gagner en réactivité et en efficacité. Nous pouvons, me semble-t-il, être satisfaits de ce qui a été fait – sans verser, bien sûr, dans l'autosatisfaction.

Depuis l'élaboration de la LPM 2019-2025, il me semble que le contexte géostratégique ne s'est ni allégé, ni adouci – une actualisation de la Revue stratégique est en cours, sous l'animation de la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère de la défense. Le modèle d'armée qui répond à « l'Ambition opérationnelle 2030 » est plutôt à conforter qu'à remettre en cause – je ne fais que répéter l'analyse des chefs d'état-major.

Sur le plan économique, la LPM est, en soi, un facteur de relance important dans les circonstances que nous traversons. Il me semblerait paradoxal de revenir sur les trajectoires budgétaires qui ont été prévues.

La dernière raison plaidant pour l'actualisation de la LPM tient au fait que nous avons franchi, ces dernières années, des pas significatifs dans la construction de l'Europe de la défense. Les programmes de coopération capacitaires ont apporté leur pierre à l'édifice : il faut continuer dans cette voie. En dehors des accords franco-allemands, que j'évoquerai dans un instant, je citerai le programme « capacité motorisée » (CaMo) de livraison à la Belgique de véhicules Scorpion, Jaguar et Griffon. Ce partenariat franco-belge entraîne un rapprochement significatif de nos armées de terre, y compris dans les opérations extérieures – les chefs d'état-major ont dû vous le dire. La coopération capacitaire se traduit par un rapprochement opérationnel, donc par un renforcement de l'Europe de la défense. Pour toutes ces raisons, je plaide pour une actualisation conforme à la trajectoire prévue initialement.

Les programmes franco-allemands ont démarré, tant pour ce qui concerne l'aviation de combat du futur que le char de combat de nouvelle génération dit « système de combat terrestre principal » (MGCS). Compte tenu de l'échéance électorale allemande de septembre, nous voulons finaliser, au cours du premier trimestre 2021, un accord permettant de lancer une phase de démonstration de l'aviation de combat du futur, qui aboutira, en 2026, à mettre en vol une démonstration de toutes les technologies de cette aviation. Le montant de notre investissement, qui était de 100 à 200 millions d'euros, passera à plusieurs milliards – somme que nous partagerons avec les Allemands et les Espagnols. Notre objectif est d'entrer dans une phase qui commencera à être quasiment irréversible. S'agissant du char de combat du futur, nous devrons engager, au premier trimestre 2021, les travaux de prédéveloppement technologique qui, eux, n'ont pas encore démarré.

Le sous-marin Perle a été victime d'un regrettable accident lors de son chantier d'indisponibilité périodique pour entretien et réparations (IPER) à Toulon. Nous avons, dans un premier temps, cherché à en comprendre les raisons puis à en tirer des enseignements – travail que nous sommes en train de finaliser – pour les chantiers à venir, à Toulon, Brest ou ailleurs. Nous avons étudié les scénarios possibles pour pallier l'indisponibilité d'un SNA. Nous avons proposé des solutions à Mme la ministre des Armées, qui devrait annoncer prochainement le remède choisi, peut-être à l'occasion du salon aéronaval virtuel Euronaval qui se tiendra la semaine prochaine. Je pense que la solution adoptée répondra aux préoccupations opérationnelles que vous avez exprimées.

Les blindés de la gendarmerie nationale ne relèvent pas de notre champ de compétences. Il s'agit de véhicules de maintien de l'ordre, très légers, que la gendarmerie achète directement. Nous n'avons pas identifié de synergie entre ces blindés et les véhicules de l'armée de terre.

Monsieur Cubertafon, nous avions étudié, en 2018, la possibilité de relancer la filière des petits calibres quelque part en France. Nous avions constaté que cela représenterait un coût économique significatif et que nous n'avions pas de difficultés à nous approvisionner sur le marché européen et international. Nous avions suggéré de garder la question ouverte, tout en concluant un contrat de recherche et développement avec la société Nobel Sport visant à développer une catégorie de poudre à la performance améliorée et un processus industriel permettant d'être économiquement plus efficace. Ces travaux sont en cours et devraient franchir une première étape à la fin de l'année prochaine. Ce sera l'occasion de reconsidérer le dossier du petit calibre. Au regard du volet industriel du plan de relance, nous devrons, au plus tard en 2021, nous reposer la question qui a été soulevée sur ce nouveau calibre. Si le calibre employé au sein de l'OTAN devait changer, nous prendrions évidemment en considération ce paramètre dans la réflexion et les propositions de décisions.

Nous avons pris conscience qu'il fallait ajouter aux objectifs initiaux de rénovation du char Leclerc, qui s'inscrit dans le cadre du programme Scorpion, la nécessité de revoir les questions d'obsolescence que vous avez évoquées, en particulier concernant la turbomachine du char. Nous avons introduit ce paramètre dans l'exercice et sommes en train de l'analyser avant de lancer l'opération de rénovation du Leclerc dans les mois qui viennent.

Nous subissons hélas les conséquences du crash de l'aéronef relevant du système de drones tactiques (SDT) Patroller à Istres, en 2019. Nous avons remis à plat la conception, mais aussi les conditions de sécurité et de navigabilité de l'appareil. Nous devrons arriver, en 2021, à une reprise des essais avec l'armée de terre, ce qui marquera, il est vrai, un retard significatif par rapport au calendrier initial.

Il nous faut en effet intégrer un missile air-sol sur le Tigre standard 3. La solution française reste mon scénario de référence privilégié, mais encore faut-il que nous nous mettions d'accord avec MBDA sur le prix de l'opération. J'espère que, dans les heures qui viennent – car ne c'est plus qu'une question d'heures – nous convergerons sur la facture qui nous a été proposée.

Nous avons, comme vous l'avez dit, une activité soutenue sur la composante nucléaire aéroportée. Nous en parlons peu sur la place publique, mais le missile air-sol nucléaire de quatrième génération (ASN4G) est un programme très significatif en termes de recherche et développement. Le renouvellement de la composante de défense antiaérienne sol-air de moyenne portée (SAMP/T) est en cours, dans le cadre du programme SAMP/T NG, mené en coopération avec l'Italie. Nous conduisons avec les Britanniques le programme du futur missile antinavire-futur missile de croisière (FMAN-FMC), dont la phase de conception doit démarrer au début de l'année prochaine. Ce n'est pas simple, on doit encore y travailler, mais je ne suis pas inquiet concernant le plan de charge de MBDA, tant en recherche et développement qu'en production.

Les lasers font effectivement l'objet de travaux d'études amont, en particulier avec la Compagnie industrielle des lasers (CILAS). Des contrats relatifs à ces études ont déjà été conclus ; d'autres sont attendus.

Au titre de la coopération franco-italienne – je ne reviens pas sur le SAMP/T NG – nous avons fait un pas en avant, en 2019 et en 2020, dans le domaine naval, grâce à la conclusion de la joint-venture entre Fincantieri et Naval Group. De premiers contrats de recherche et technologie ont été signés en milieu d'année, portant sur la rénovation à mi-vie des frégates du type Horizon ou d'activités plus en amont. Nous notifierons, d'ici à la fin de l'année, le premier contrat de faisabilité de l'aviation de patrouille maritime du futur avec nos amis allemands. Nous avons mis un peu de temps, car il a fallu les convaincre que la plateforme du système devait être réellement européenne.

Nous avons pleinement à l'esprit les questions posées par la frégate de défense et d'intervention et le plan de charge de Lorient. Nous avons d'ores et déjà prévu dans le contrat des ajustements de prix en fonction du plan de charge et de la cadence de fabrication des frégates.

Madame Ballet-Blu, en effet, le Rafale s'est très bien sorti de sa phase d'évaluation en Suisse, face à ses concurrents et les travaux se poursuivent pour optimiser l'offre française. Le résultat de la votation a été serré et nous suivrons avec attention les prochaines étapes. J'espère que le processus ira à son terme. Dassault comme nous-mêmes comptons sur ce prospect et essayons de le mener de la manière la plus efficace possible.

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