Avant de répondre à la question sur les hélicoptères, je soulignerai que le succès de nos opérations dépend de notre capacité à combiner les différentes composantes qui nous sont confiées : on n'obtient des résultats que si l'on est capable d'utiliser le plus efficacement possible et en parfaite combinaison nos moyens aériens, chasseurs, avions de renseignement, drones, nos unités au sol dans leurs différentes spécialités, nos hélicoptères et nos forces spéciales. Le résultat de chacun dépend des résultats de tous. Je me garde toujours de dire que tel résultat a été obtenu grâce à telle composante ou à tel outil, car il n'est pas une opération dans laquelle des résultats n'aient été obtenus par la combinaison des composantes. On parle beaucoup des drones et des forces spéciales. Mais c'est passer sous silence nombre de réalités tactiques. Sur un théâtre comme le Sahel, la fulgurance et l'ubiquité ne sont possibles que grâce à l'emploi de toutes la panoplie des autres moyens. Il serait illusoire de croire que les résultats obtenus pourraient l'être en l'absence de ceux-ci.
Cela étant, les hélicoptères jouent un rôle très important dans le fonctionnement d'ensemble, ne serait-ce qu'en permettant d'aller chercher très rapidement nos blessés. Le seul fait de savoir qu'à bref délai, un médecin peut être auprès de vous et qu'un hélicoptère peut vous emmener à l'hôpital, a un effet considérable sur le moral de nos soldats. Leur assurer cette bulle d'évacuation médicale (EVM) est un impératif. Pour nos partenaires locaux, les moyens d'évacuation médicale (EVM) sont aussi souvent le soutien le plus important de Barkhane. Toutes les composantes de notre groupement d'hélicoptères, qu'il s'agisse du transport, de la reconnaissance avec les Gazelle, de l'appui au sol avec nos Tigre ou du transport des blessés jouent un rôle fondamental.
Tout cela, je le fais avec seize hélicoptères français, auxquels s'ajoutent trois hélicoptères britanniques et deux hélicoptères danois, sur toute la BSS, autrement dit sur un théâtre vaste comme l'Europe, ce qui impose une gestion dynamique d'une très grande complexité. Le colonel qui commande le groupement d'hélicoptères doit quotidiennement résoudre un véritable Tetris pour déterminer comment à la fois appuyer telle opération, assurer l'évacuation sanitaire de telle autre ou réagir à toute demande d'opération d'opportunité car à chaque fois qu'arrive un renseignement estimé pertinent, il faut l'exploiter au plus vite pour obtenir un résultat face à l'ennemi.
Vous avez parlé du départ des Merlin. L'aviation légère de l'armée de Terre (ALAT) consent un effort considérable pour offrir en permanence ces seize hélicoptères à Barkhane, et je sais combien cela pèse sur l'entraînement de nos pilotes en France. Il faut continuer à plaider auprès de nos alliés européens afin qu'ils viennent nous aider non seulement pour le remplacement des deux hélicoptères danois, mais aussi pour tout ce qui pourrait être fait dans le domaine de l'aéromobilité.
Vous avez dit que l'emploi des Chinook pourrait être perturbé par l'arrivée d'unités britanniques au sein de la MINUSMA. Le sujet est toujours en cours d'examen avec nos amis britanniques. Je ne peux encore vous dire quelle réponse sera apportée.
À travers la Task Force Takuba, nous attendons une contribution en hélicoptères de la part des Suédois et des Italiens ; ces derniers seront plus centrés sur l'évacuation militaire par voie aérienne (MEDEVAC), les Suédois davantage sur l'appui des troupes au sol : ce sera également pour Barkhane un apport très intéressant. Le message à retenir est l'importance cruciale de l'hélicoptère pour le succès des opérations ; tout apport extérieur de nos partenaires européens en contribution directe à Barkhane serait d'une grande utilité.
Je n'ai pas connaissance du lien éventuel entre la future adaptation de Barkhane et une participation britannique. Des travaux sur l'adaptation sont en cours, mais les arbitrages ne sont pas rendus. S'il devait y avoir une participation britannique supérieure à celle existante ou annoncée, cela serait traité au niveau de l'état-major des armées.
Comme je l'indiquais dans mon propos liminaire, la résilience et la capacité opérationnelle des FAMa sont déterminantes dans la résolution du problème sécuritaire dans la BSS. Vous avez parlé d'insuffisante exploitation des actions de formation de l'EUTM au profit de FAMa ; je serai plus mesuré au regard des circonstances dans lesquelles les forces armées maliennes doivent opérer. Au sortir des années 2012 et 2013, elles étaient entièrement à reconstruire. Face à des attaques sur toute l'étendue du territoire national, elles ont dû parer au plus pressé. Des gens formés par l'EUTM ont été envoyés le plus rapidement possible grossir les rangs des unités de contact pour tenir le choc. Faire la guerre tout en se restructurant en profondeur est un double défi ; je me demande même si une armée occidentale serait capable de le relever à due proportion. En étroite coopération avec Barkhane, les chefs militaires maliens se sont engagés dans une réflexion de fond visant à recréer un cycle opérationnel, c'est-à-dire un processus dans lequel les unités en cours de constitution ont le temps de se former, de s'entraîner avant d'être engagées en opération, et avec un temps de repos, de régénération pendant lequel ils ont la possibilité de revoir leurs familles après de nombreux mois d'absence. Avec eux, nous nous employons à faire en sorte que cette force soit capable de tenir le choc face aux groupes armés terroristes, en particulier dans le Centre, où se joue une grande partie de la question, tout en préparant des unités à relever celles qui sont engagées afin de leur permettre de se reposer. C'est un cycle que connaissent bien les armées françaises.
Ce travail s'accompagne d'opérations de recrutement importantes, non seulement au Mali mais aussi au Niger et au Burkina Faso ; nos amis maliens viennent de recruter plusieurs milliers de soldats qui sont en cours de formation et dont certains passeront par l'EUTM. Un recrutement conséquent devrait être relancé dès le début de l'année prochaine afin d'alimenter ce cycle, afin de ne plus subir la pression opérationnelle mais de la maîtriser.
Dans leur grande majorité, les unités maliennes présentes avec nous sur le terrain se comportent très bien. L'unité malienne qui était avec nos éléments au sol, la semaine dernière, s'est battue pendant plusieurs heures au coude-à-coude avec les hommes du détachement français. Elle a tenu la ligne avec nos soldats et occasionné des pertes sévères à l'adversaire. Ces unités sont courageuses et se battent bien lorsqu'elles sont bien encadrées, entraînées et équipées, ce qui était le cas. Les quelque 300 soldats maliens des unités engagées dans l'opération Bourrasque, notamment au sein du Task Group Takuba, se sont très bien comportés et ont occasionné des pertes sans en subir. Cela mérite d'être relevé : l'unité malienne engagée dans les combats de la semaine dernière n'a déploré aucune perte ; les unités maliennes engagées à nos côtés dans Bourrasque n'ont eu qu'un blessé. Des progrès restent à accomplir, des efforts restent à faire : les unités qui s'engagent avec nous sont bien équipées mais cela doit être mieux partagé avec toutes les unités maliennes. Les chefs militaires en ont parfaitement conscience, les dernières décisions en matière d'allocation de ressources financières au profit d'équipements nouveaux sont en cours de traduction. Je suis confiant dans la dynamique créée. Je sais que les autorités politiques apportent leur soutien aux autorités militaires maliennes.
La stratégie du RVIM et d'Al-Qaïda vise toujours à exporter la menace terroriste vers d'autres pays d'Afrique de l'Ouest, en particulier les pays frontaliers de la BSS. Il y a quelques mois, une opération a été menée par les forces armées ivoiriennes en liaison avec les forces armées burkinabé contre un groupe terroriste dans le nord de la Côte-d'Ivoire. On ne peut pas parler d'un déferlement de katibas terroristes vers ces pays côtiers, mais on constate une volonté continue, une infiltration insidieuse dans le nord des pays côtiers frontaliers de la BSS, qui doit être surveillée de très près. Nos pays partenaires y prêtent la plus grande attention.
Je n'ai ni la compétence ni l'expertise nécessaire pour en mesurer les conséquences migratoires. Les dangers principaux sont la déstabilisation, le risque sécuritaire et le risque d'établissement d'un califat territorial qui aurait d'autres répercussions, qui resteraient à apprécier.
Nous observons fréquemment la capacité des groupes armés terroristes, en particulier le RVIM, à se réinventer. Cet agrégat de mouvements différents a été capable de se structurer autour d'une stratégie, d'une vision, d'une communication communes. Cette stratégie définie par le cercle dirigeant se diffuse rapidement sur le terrain et est mise en œuvre par les groupes locaux : on voit se constituer des émirats, c'est-à-dire des échelons intermédiaires de commandement qui permettent à ces groupes de se structurer et de se coordonner.
Concernant les enseignements à tirer de l'opération Bourrasque, je suis toujours prudent à l'égard de la notion de modèle. Un ancien chef militaire appelait à lutter contre l'idée du prêt-à-porter, c'est-à-dire de la solution opérationnelle qui fonctionnerait partout et en tout temps. En revanche, nous devons garder notre capacité à tirer les enseignements d'une opération, regarder ce qui a fonctionné, ce qui n'a pas fonctionné et de le partager avec nos partenaires. Un regard extérieur permet d'apporter rapidement des corrections – c'est ce que je ferai pour la prochaine opération – afin de toujours disposer d'un modèle dynamique, face à des ennemis qui s'adaptent très vite à nos modes d'action sur le terrain : des groupes armés terroristes sont capables de modifier leurs TTP (tactics, techniques and procedures), autrement dit leurs procédés tactiques, en quelques jours, et de diffuser en quelques semaines de nouvelles doctrines contre Barkhane à l'échelle de toute la BSS ! D'où la nécessité de préserver notre agilité tactique et intellectuelle pour les surprendre, les prendre de vitesse et ne pas leur donner les moyens de contrer ce que nous mettons en œuvre sur le terrain.
Plutôt que d'analyser un résultat opérationnel à travers le prisme d'une seule composante ou d'un seul outil, il faut surtout le faire à l'aune du panel de tous ceux qui sont mis à notre disposition pour profiter de ce que l'on appelle la combinaison des effets, en reprenant ce que l'on fait dans la composante terrestre, dans la composante aérienne et dans la composante immatérielle et en mettant tout cela en mouvement afin de les rendre les plus efficaces possible les uns avec les autres.
Je n'ai pas été le témoin direct d'ingérences de la Chine. Des unités chinoises participent à la MINUSMA, mais nous avons peu de contact avec elles. La présence chinoise se manifeste certainement au Mali, comme dans le reste de l'Afrique de l'Ouest, par une politique d'investissements économiques, mais je serais en peine de fournir des éléments précis.
Vous avez raison de dire que la solution à la crise sahélienne ne viendra pas du seul succès militaire. Il est néanmoins nécessaire à une solution politique débouchant sur une victoire collective dans la crise sahélienne. Notre chef d'état-major des armées le rappelle très régulièrement.
Enfin, les armées font preuve de la plus grande transparence sur les modalités d'interrogation des personnes capturées. Régies par des textes dont la solidité juridique et la conformité au droit international des conflits sont vérifiées en permanence, celles-ci font l'objet d'un contrôle strict du comité international de la Croix-Rouge (CICR) avec lequel, localement, régionalement et nationalement, nous entretenons les meilleures relations. Il faut savoir que ces interrogatoires sont réalisés par des soldats très bien formés. Nous avons en effet en France des spécialistes, qui ont acquis une grande expertise et une grande expérience en la matière puisqu'ils se relaient dans cette mission depuis de nombreuses années. Je peux vous assurer qu'ils font preuve d'un très grand professionnalisme et que les interrogatoires qu'ils mènent sont particulièrement précieux.