Intervention de le général Éric Vidaud

Réunion du mercredi 13 janvier 2021 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

le général Éric Vidaud, commandant des opérations spéciales :

Merci, Madame la Présidente, pour ces mots introductifs ; merci, Mesdames et Messieurs les députés, de m'auditionner dans le cadre de cette commission. Le fait que les représentants de la Nation portent leur attention sur les opérations spéciales est un honneur qui rejaillit sur les hommes et les femmes que je commande.

Avant de commencer cet échange, permettez-moi, en quelques minutes, de vous présenter le commandement des opérations spéciales. Après vous avoir exposé mes responsabilités, je décrirai, à travers une courte rétrospective des quelque trente années d'existence du COS, le spectre d'emploi des opérations spéciales. Puis, en concentrant mon propos sur les deux théâtres majeurs que sont la bande sahélo-saharienne et le Levant, je dresserai un bilan des opérations spéciales menées durant l'année écoulée. Je vous ferai part ensuite de mon évaluation de la situation et des perspectives auxquelles nous devons nous attendre. Je terminerai mon propos en évoquant l'emploi futur du COS au regard de conflits en mutation et d'un contexte géopolitique sous tension. Cela nous permettra de démystifier le COS, de le sortir de l'ombre pour l'ancrer dans une réalité que les représentants de la Nation doivent connaître.

Ma mission consiste à commander l'ensemble des opérations spéciales, quel que soit leur point d'application, de conseiller le chef d'état-major des armées (CEMA) dans l'emploi des forces spéciales et de lui apporter des solutions alternatives et complémentaires à celles des forces conventionnelles, que ce soit en anticipation, en planification ou en conduite.

Pour remplir mes fonctions de contrôleur opérationnel, j'emploie des hommes et des femmes, des matériels et des savoir-faire fournis par les armées. Il faut donc bien relever que, sans les efforts consentis par les armées et les services, je ne pourrais mener à bien mes missions. Les succès opérationnels du COS sont avant tout collectifs et reviennent à de très nombreuses unités.

Certaines unités lui sont quasiment dédiées dans les quatre composantes, au sein du commandement des forces spéciales terre (CFST), de celui des commandos de marine (ALFUSCO), de la nouvelle brigade des forces spéciales air (BFSA) ou du service de santé des armées, avec la première chefferie du service de santé-forces spéciales.

D'autres capacités, issues des forces conventionnelles, sont ponctuellement intégrées aux opérations spéciales, comme les drones, les navires de la marine, les unités de transmissions, du personnel de la direction du renseignement militaire (DRM). Je travaille donc en parfaite et étroite collaboration avec les armées, qui ont à leur charge le recrutement, la sélection, la formation, l'entraînement et l'équipement des unités de forces spéciales.

Le COS contribue également à l'innovation et à la préparation de l'avenir en s'appuyant sur un processus permanent de retour d'expérience (RETEX). Je m'efforce aussi de faire entendre mes besoins capacitaires pour les opérations spéciales car le COS est rarement le maître d'œuvre de programmes d'armement majeurs. Mes attributions d'acquisition sont donc échantillonnaires. Il s'agit essentiellement de pallier, dans l'urgence, une rupture temporaire de capacité sur un théâtre d'opérations par le processus des urgences opérationnelles.

Le rôle de mon état-major est aussi d'être actif dans le domaine de la prospective et de la veille capacitaire.

Enfin, le COS n'agit pas seul, il s'inscrit dans un écosystème large. Il entretient des échanges permanents avec les services de renseignement nationaux. Il est également un acteur et un ambassadeur des relations internationales militaires avec ses homologues, alliés ou amis, à travers un réseau de forces spéciales extrêmement étendu. C'est bien en agissant tous ensemble que nous obtiendrons notamment les résultats escomptés en matière de lutte antiterroriste.

Je vais dresser un rapide panorama des vingt-huit années d'existence du COS, ce qui vous permettra de mieux saisir l'ADN des opérations spéciales. Le COS est en perpétuelle évolution ; c'est son identité. Il a connu quatre phases majeures de développement. Depuis l'action de groupes commandos faisant « le coup de main » jusqu'au système de combat stratégique actuel, il est toujours en mouvement et opère dans tous les champs de conflictualité et dans tous les milieux, excepté l'espace. Le panel des savoir-faire actuels du COS est le résultat de la sédimentation de quatre phases.

La première phase a été celle de l'urgence opérationnelle. Les missions aux Comores, en 1995, en République centrafricaine, à partir de 1996 et, plus récemment, celles engagées dans le cadre de tueries de masse à Bamako, en 2015, illustrent la capacité de réaction du COS face à un événement particulier. Les forces spéciales tiennent en permanence une alerte en France qui permet d'intervenir, dans un délai très court, partout dans le monde.

Le deuxième temps de l'histoire du COS a été celui des engagements dans des campagnes de longue durée en République de Côte d'Ivoire ainsi que dans les Balkans, à la recherche des criminels de guerre. Il s'est vu alors confier des missions de formation, notamment en Afrique de l'Ouest. Ces prépositionnements lui ont permis d'anticiper et de contrer très rapidement l'offensive islamiste au Mali en janvier 2013.

Les missions de formation auprès d'unités étrangères sont indispensables, car elles sont le gage d'une efficacité démultipliée de nos partenaires formés. Nous l'avons vu avec les forces ivoiriennes, qui sont intervenues lors de la tuerie de masse sur la plage de Grand-Bassam, en 2016. Le principe de ces missions est de fournir aux forces locales, en amont du conflit, les capacités et les savoir-faire nécessaires pour lutter de façon autonome contre les menaces à venir. Au cours de cette période, le COS a développé des coopérations en matière de formation et a accru sa capacité d'anticipation et sa réactivité.

La troisième phase de la vie du COS est la lutte contre le terrorisme, dont le maître mot est l'intégration. Les fondements du contre-terrorisme pour le COS remontent à la composante « force spéciale » de la Task force La Fayette en Afghanistan. Par « contre-terrorisme », j'entends les opérations qui visent à cibler une organisation terroriste en s'attaquant à sa chaîne de commandement. Ces opérations se sont révélées très limitées en Afghanistan en raison des faibles moyens dont nous disposions et d'une chaîne de commandement complexe. Les missions étaient limitées à une zone d'action très réduite. Les savoir-faire de mise en œuvre étaient encore expérimentaux pour nous. C'est là que nous avons découvert tout l'intérêt du drone.

Le COS a appris de ces limites et conduit des opérations en s'affranchissant des élongations, avec une maîtrise des plots de ravitaillement, des insertions discrètes, des raids héliportés à long rayon d'action… Le COS a également appris à employer des boucles décisionnelles très courtes, de quelques heures. Il a développé une approche globale et systémique de l'ensemble des groupes terroristes et utilise des moyens de renseignement, de localisation et de déception performants, de façon à cartographier leur chaîne de commandement.

Le COS a également appris à mener des opérations en parfaite synergie avec les services de renseignement français et alliés. Il a noué avec eux une forte relation de confiance au travers des résultats obtenus sur le terrain, qu'il entretient, de Paris, quasiment chaque semaine. C'est ce que j'appelle l'ère de l'intégration, tactique et opérative, horizontale et verticale. Ainsi, tous les participants sont intégrés à la manœuvre d'ensemble. Ils tirent le meilleur des savoir-faire de chacun et exploitent toutes les opportunités. Chaque opérateur a un même niveau de connaissance de l'opération, le plus exhaustif possible.

C'est l'une des différences avec des commandos classiques, qui savent parfaitement, comme les nôtres, fouiller une maison ou aborder un campement, et qui ont les bons gestes techniques. Les opérations spéciales ne sont pas faites que de gestes techniques, elles sont un écosystème complet dont la colonne vertébrale est la chaîne de commandement, courte, rapide, personnelle. Fort de ces dix années de pratique du ciblage, le COS est devenu un référent pour les armées, et même au-delà.

Le COS a donc d'abord été en réaction, puis s'est révélé capable d'anticipation. Avec le contre-terrorisme, il s'est installé dans l'intégration. Il se prépare désormais à entrer dans sa quatrième ère, celle de l'hybridation. Celle-ci répond à une évolution des conflits, plusieurs fois évoquée devant vous. Comme le CEMA vous l'indiquait en juillet dernier, on assiste à une extension rapide des champs de la conflictualité et à la confirmation de l'existence de nouveaux espaces de confrontation, notamment dans les domaines du cyber, du champ informationnel et de l'influence.

Le scénario le plus probable, s'agissant de l'évolution des conflits, est celui de la multiplication des zones grises et des stratégies hybrides, favorisée par le repli militaire américain et l'exacerbation des tensions avec la Chine, la Russie, l'Iran, voire la Turquie. On assiste à un retour des affrontements entre États puissances au travers, notamment, de stratégies hybrides. Celles-ci se caractérisent par la multiplicité et la diversité des acteurs civils et militaires et l'ambiguïté d'actions difficilement attribuables, le plus souvent sous le seuil du conflit ouvert. Ainsi, le jeu des grandes puissances se fait en partie par procuration.

Nous devrons donc faire face à des adversaires qui disposent de capacités modernes, lesquelles rétablissent une forme de symétrie technologique avec nous : brouillage, jumelles de vision nocturne, drones… Le théâtre levantin a été, pour nous, le précurseur de ce nouveau type de conflits.

Face à ce constat, le COS s'est attaché, ces derniers mois, à décrire et à construire ce que pourrait être son emploi dans des crises maintenues délibérément en dessous du seuil de déclenchement d'un conflit de haute intensité, au travers de deux réflexions prospectives. La première s'intitule : La place des armées dans les stratégies hybrides et l'emploi du COS en zone grise, la seconde : Opérations spéciales 2035.

Je voudrais à présent dresser un bilan des deux principales forces dont j'assure le contrôle opérationnel. Tout d'abord la Task force Sabre a une triple mission : elle mène des opérations de neutralisation, principalement contre la chaîne de commandement des principaux leaders d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et de l'État islamique dans le Grand Sahara (EIGS), et plus largement contre les capacités militaires de ces groupes terroristes ; elle forme des unités d'élite chez nos partenaires ; elle répond, dans l'urgence, à des menaces à l'encontre des intérêts stratégiques français et de nos ressortissants dans la région.

J'ai orienté les actions de la Task force Sabre selon les trois axes définis par le Président de la République : l'attrition des groupes terroristes, la sahélisation et l'internationalisation.

En termes d'attrition, tout d'abord, Sabre a conduit de très nombreuses opérations en un an, qui ont permis d'atteindre les hauts commandements d'AQMI mais aussi de l'EIGS.

Ces missions de ciblage ont pour objectif premier de capturer l'ennemi. Sur le plan de l'efficacité opérationnelle, ces personnes capturées et le matériel en leur possession augmentent les chances d'obtenir du renseignement pour de futures actions. Ces missions contribuent aussi à déstabiliser leurs organisations.

Cette volonté de capturer nos ennemis a cependant un prix, celui du risque accru encouru par nos opérateurs en mission pour donner à nos ennemis l'occasion de se rendre. Cela ne fonctionne pas toujours. Nous ne savons jamais les réactions de l'ennemi ; nous lui offrons toujours la possibilité de se rendre.

Ces actions en direction de l'encadrement sont bien évidemment conduites en coordination avec Barkhane qui, par sa présence sur le terrain, son contrôle des zones, réduit la capacité de déplacement des chefs et facilite nos opérations.

Concernant le volet de la « sahélisation », la Task force Sabre participe à la formation de certaines unités de forces spéciales sahéliennes et parfois les accompagne.

Dans le cadre du volet de l'internationalisation, je tiens à évoquer deux projets dans lesquels le COS est impliqué. Premièrement, il est à l'initiative du projet Takuba avec les forces spéciales européennes. Il a pour but d'accompagner les forces armées maliennes vers l'autonomie opérationnelle, en commençant par celles déployées dans le Liptako. La Task force Takuba permettra ainsi aux autres unités de Barkhane de porter leur effort ailleurs. La conduite de ce projet est confiée au centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) et au commandant de la force (COMANFOR) Barkhane, le COS conservant, quant à lui, un rôle fédérateur pour convaincre et amener de nouveaux partenaires européens à rejoindre l'opération. Mon rôle est également d'appuyer le COMANFOR Barkhane dans sa mission de contrôleur opérationnel de ces unités de forces spéciales.

Au-delà de cette mission au Mali, j'espère que Takuba permettra de renforcer le projet de défense européenne, dans sa composante forces spéciales, en favorisant notre connaissance mutuelle et la conduite d'opérations communes.

Deuxièmement, le COS participe à l'élaboration et à la montée en puissance de l'Académie internationale de lutte contre le terrorisme (AILCT), localisée en Côte d'Ivoire. Cette structure vise à développer les capacités militaires et interministérielles des pays du G5 Sahel et du golfe de Guinée en matière de contre-terrorisme. Le projet est coordonné en France par la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) du ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE), appuyée par les ministères des armées, de la justice et de l'intérieur. Le COS est en charge de l'un des trois piliers, celui de la formation des unités au contre-terrorisme, qui vise notamment à dispenser des formations avancées aux troupes d'élite africaines. L'application de ce projet a commencé : plusieurs formations ont été assurées au profit des forces ivoiriennes.

Le troisième volet opérationnel de Sabre est la capacité de réponse immédiate afin de garantir les intérêts français et la sauvegarde de nos ressortissants. Il s'est par exemple concrétisé en mai 2019, avec la libération de quatre otages, opération au cours de laquelle deux membres du commando Hubert sont décédés.

Huit ans, quasiment jour pour jour, après la participation de la Task force Sabre au coup d'arrêt à l'avancée des djihadistes, action qui a coûté la vie au commandant Boiteux, je tire trois enseignements de cet engagement. Tout d'abord, celui de la complémentarité et de l'interdépendance de la Task force Sabre et de la force Barkhane. Ainsi, les opérations de ciblage sont facilitées par le maillage du terrain par la force Barkhane, qui offre des points d'appui et permettent des déploiements au plus près des zones d'action. Elles sont également rendues possibles par l'échange de moyens, notamment héliportés, qui nous permettent de pallier le format de la Task force, lequel est taillé au plus juste. Elles sont surtout autorisées par une coordination renforcée de nos opérations.

Le deuxième enseignement est le soutien capacitaire, tant qualitatif que quantitatif apporté par notre allié américain. Chaque mission demande plusieurs jours de renseignement, notamment grâce à des drones. Pour les opérations majeures, l'appui des moyens américains est significatif.

Le troisième enseignement est l'importance de la réactivité, de l'agilité et de la patience. Ces opérations exigent de la réactivité, car il s'agit de faire correspondre des fenêtres de renseignement actionnables, parfois très courtes, avec des créneaux météorologiques et des phases de disponibilité des moyens. Nos prépositionnements dès les premiers indices collectés sont des maillons essentiels du succès. Les opérations de ciblage exigent également de la patience et une bonne connaissance des habitudes de nos adversaires. Il est illusoire d'espérer les mêmes résultats sans la permanence du renseignement sur place. Il faut également savoir renoncer à certaines occasions pour continuer à construire l'accès à des cibles prioritaires.

En termes de perspectives, sur ce théâtre africain, je pense que le positionnement du COS est durable. La menace terroriste, bien qu'affaiblie, demeure et les forces locales ne peuvent aujourd'hui mener de manière autonome ce type d'actions. Ce positionnement permet par ailleurs de faire preuve d'une grande réactivité et, ainsi, de protéger nos intérêts comme ceux des pays africains partenaires.

Le deuxième théâtre majeur pour le COS est le Levant. Nous avons participé activement, en coordination étroite avec nos partenaires de la coalition, à la défaite militaire de l'État islamique au Levant, concrétisée par la disparition d'une emprise territoriale qui était placée sous son contrôle permanent. Cette participation consistait, et consiste toujours, à apporter à nos alliés locaux les capacités et les formations dont ils manquent. Celles-ci sont nécessaires pour défaire et, à présent, empêcher la réémergence de l'État islamique (EI). Pour vous donner quelques exemples, nous apportons une aide au commandement, un appui au renseignement, des capacités de drones tactiques, de coordination avec les moyens aériens…

Nous avons noué des liens de confiance avec quasiment tous les acteurs locaux et nous nous attachons à maintenir une position d'équilibre avec la majorité des parties prenantes. Nous travaillons également en étroite collaboration avec les pays membres de la coalition. Nous nous coordonnons également, aux niveaux opératif et tactique, avec les autres services et ministères de l'État français présents sur zone. La Task force Hydra joue ainsi, d'une certaine façon, un rôle de hub sur lequel peuvent se connecter les différentes entités françaises.

Malgré cette victoire militaire sur l'État islamique, de nombreux facteurs d'instabilité persistent dans la région.

En effet, si la bascule de notre ennemi dans la clandestinité rend la menace plus diffuse qu'auparavant, celle-ci n'en demeure pas moins active. La multiplication d'acteurs para-étatiques, tels que les milices chiites, rend le contrôle des groupes armés et la recherche de consensus par les États hôtes laborieux. L'implication croissante d'acteurs régionaux multiplie les agendas politiques et les objectifs divergents.

Enfin, la difficulté à anticiper les choix stratégiques des puissances de premier rang fragilise la construction d'une politique stable et d'une manœuvre à long terme dans la région.

Dans ce contexte, l'avenir du COS au Levant s'inscrit dans l'après-opération Inherent Resolve (OIR) – dispositif de la coalition qui doit se terminer en 2021. Il s'agit pour nous de basculer vers une mission de coopération bilatérale avec l'Irak, en continuant notamment à accompagner ce pays dans le combat contre les rémanences terroristes.

Nous avons tiré de nombreux enseignements du déploiement levantin. En effet, dans ce conflit sont apparus des drones, des batteries antiaériennes, des systèmes de brouillage s'additionnant aux capacités classiques caractéristiques de la guérilla. Vous comprendrez que notre capacité à nous déplacer, à durer, à rester discret et être efficace demande des procédures et des moyens très différents de ceux utilisés au milieu du désert dans le Sahel.

On peut voir, à travers le conflit levantin, à quoi pourraient ressembler les conflits entre États puissances de demain, avec l'apparition, toutes proportions gardées, de capacités de haut du spectre. Le COS joue là un rôle de précurseur : nos engagements actuels sont les laboratoires des conflits de demain ; ils sont une occasion de tester le matériel, les procédures, les fonctionnements futurs et de consolider l'appréciation des besoins émergents.

Cela me conduit à évoquer l'avenir des opérations spéciales. Je partage les propos du général de Saint-Quentin, qui confiait en décembre dernier que l'ADN des forces spéciales ne changera pas, mais que ses missions évolueront. En effet, j'ai la conviction que les forces spéciales, grâce à leurs capacités d'adaptation et leur faculté d'opérer discrètement, avec de petits volumes, dans des environnements complexes, ont vocation à jouer un rôle croissant.

À l'horizon des quinze années à venir, le COS s'est fixé quatre priorités. La première d'entre elles est de garder l'homme au cœur de son système, avec le maintien de l'excellence de ses cadres et opérateurs. Il s'agit de qualités humaines à promouvoir, développer et, dans une certaine mesure, dépasser grâce aux nouvelles technologies. Je voudrais d'ailleurs insister sur la place de l'homme dans les opérations spéciales. Ce sont eux qui décident, commandent, combattent, résistent et parfois meurent. Ils sont au cœur des processus. La guerre est une confrontation des volontés. L'homme est à l'origine de cette volonté, il l'entretient et la porte. La qualité de l'entraînement des corps et des esprits est la première garantie de leur solidité et de leur résilience. Je veux que le COS s'engage sur la voie de l'augmentation avec cette philosophie : l'opérateur sera instrumenté, connecté et équipé, mais jamais modifié.

La deuxième priorité est d'agir et interagir en réseau. De la réponse militaire à large spectre, au regain d'offensives hybrides, je vois le COS, sur les théâtres où il sera déployé, comme un possible incubateur pour les armées et les services, voire pour les alliés. Il est d'ores et déjà impliqué dans le développement et la conduite de cette stratégie large spectre. Pour cela, le COS doit entretenir et développer des liens encore plus étroits avec les services de renseignement nationaux, mais également avec l'appareil diplomatique, les forces de sécurité intérieure ou encore la justice, voire l'agence française de développement (AFD), car, plus que jamais, le commandement des opérations spéciales mènera des actions coordonnées dans un cadre interarmées, interministériel, interagences, interalliés. La synchronisation et la complémentarité des effets sont des conditions nécessaires à une action efficace face à l'hybridité. Ce travail en réseau, le COS le construit avec ses partenaires étrangers, au premier rang desquels se trouvent les États-Unis et la Grande-Bretagne, pays souvent déployés sur les mêmes théâtres que nous. Le rapprochement avec les forces spéciales de pays européens doit également s'accélérer grâce à l'initiative Takuba et au renforcement de nos capacités à animer ce réseau européen. Le COS construit également ce réseau international au plus près de nos zones d'action que sont le Moyen-Orient et l'Afrique de l'Ouest.

La troisième priorité consiste à bâtir une structure de commandement agile et dynamique, garante de la performance de son état-major et notamment capable d'intégrer pleinement les apports de la numérisation. La colonne vertébrale des opérations spéciales est la chaîne de commandement. Il est probable que les structures de commandement dans des affrontements hybrides seront très différentes de ce qu'elles sont actuellement. Par ailleurs, les avancées technologiques ouvriront certainement des voies nouvelles dans l'exercice du commandement. Comme la guerre, sa nature demeurera inchangée, mais sa mise en œuvre pourrait être radicalement modifiée, ce qui induirait une révolution culturelle pour tous les échelons de commandement. C'est pour moi un point d'attention majeur.

La quatrième priorité est de toujours anticiper, toujours innover, priorité qui se décline par la plus grande liberté intellectuelle dans le domaine de la réflexion stratégique – « penser autrement » – et dans le domaine capacitaire, par la liberté de se doter des équipements les plus performants, au même rythme que les plus agiles de nos adversaires et de nos alliés. À cette fin, l'accélération des processus de développement capacitaire mérite d'être instruite. Ces processus doivent être en phase avec le rythme d'évolution des opérations, des technologies et des menaces ennemies. Ils doivent être souples, rapides et modulaires afin de permettre des évolutions. Ces développements sont, pour la plupart, des précurseurs capacitaires qui ont vocation à très vite irriguer les armées. Les prérogatives du COS devraient s'exercer dans un cadre simplifié, ce qui permettrait de réduire la complexité des procédures communes aux armées et correspondrait à la singularité du commandement des opérations spéciales au sein des armées, s'agissant des petits matériels.

Ces quatre priorités se déclinent pour le COS dans les domaines de la doctrine, de l'organisation et des besoins capacitaires. Contrairement aux guerres asymétriques, les affrontements hybrides soulèvent le défi d'une course capacitaire pouvant impliquer des acteurs étatiques. C'est déjà sensible dans les opérations actuelles et cela constituera le quotidien de celles de demain. Ce domaine de lutte est également l'antichambre des conflits de haute intensité auxquels le CEMA nous a demandé de nous préparer.

Pour conclure, madame la présidente, je veux vous assurer de l'engagement sans faille des troupes que j'ai l'honneur de commander. Je tiens à rendre hommage aux vingt-deux militaires qui sont décédés en opération spéciale depuis la création du COS, il y a près de trente ans, dont deux depuis la dernière audition du général commandant les opérations spéciales (GCOS) devant vous. Huit militaires ont également été blessés au combat ces trois dernières années.

Les Français peuvent être fiers de leurs soldats, qui s'engagent sans faire de bruit, sans demander de reconnaissance médiatique, en des lieux éloignés, pour notre sécurité quotidienne. Malgré la multiplicité des crises, lorsque je les vois, lorsque je les écoute, je me dis que tous les espoirs sont permis.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.