Intervention de le général de division Éric Vidaud

Réunion du mercredi 13 janvier 2021 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

le général de division Éric Vidaud :

Je vais essayer de répondre à toutes ces questions, qui se recoupent en partie. Je veux faire œuvre d'une transparence et d'une loyauté totales vis-à-vis de la représentation nationale.

Monsieur Jacques, les drones sont effectivement importants dans nos opérations – étant entendu, bien sûr, que ma réponse ne concerne que les forces spéciales. Nous utilisons de très nombreux drones de taille et de modèles différents, que ce soit au Levant ou au Sahel. Vous avez parlé des drones Medium Altitude Long Endurance (MALE) Reaper, mais il faut savoir que nous utilisons beaucoup de microdrones, voire de nanodrones, dont certains, sont de fabrication française – je l'indique en réponse à M. Lassalle. Un salon international, le SOFINS, est organisé tous les deux ans à Souge, près de Bordeaux. Il nous permet de développer des relations étroites avec les petites et moyennes entreprises (PME) du secteur et de les informer de nos besoins, ce qui nous permet, lorsque c'est possible, d'acheter du matériel français.

Sur le segment MALE, il faut bien comprendre que les opérations qui visaient les têtes de chaîne de commandement djihadistes ont été réalisées avec l'appui des drones américains, tant quantitativement que qualitativement. Dans une mission qui s'apparente à la recherche d'une aiguille dans une énorme botte de foin, ces drones nous permettent de réduire l'espace de recherche. Ensuite, les images permettent de caractériser la personne visée, que ce soit par son comportement ou les moyens de déplacement qu'elle utilise.

Le drone américain Reaper Block 1, acheté par la France, ne possède que l'imagerie. Il dispose d'une bonne autonomie. Prochainement, nous pourrons utiliser les drones de fabrication américaine de standard Block 5.

Dans les autres segments de drones, nos objectifs sont :

- l'acquisition de drones MAME, intermédiaires entre les 2 catégories citées précédemment, qui offrent souplesse d'emploi, endurance, et l'emport de doubles charges ;

- l'acquisition de munitions télé-opérées ;

- les développements capacitaires des essaims de drone, des drones de milieu (sous-marin et terrestre) et drones à changement de milieu.

De façon complémentaire, nous utilisons également des avions légers de surveillance et reconnaissance (ALSR). Cependant, l'autonomie de ces appareils est inférieure à celle des drones.

Par conséquent, oui, Monsieur le député Jacques, s'agissant des drones, l'appui des Américains est significatif. Cela répond aussi en partie à l'une des questions de M. le député Lagarde. Je compléterai mon propos en évoquant notre relation avec les Américains.

Celle-ci est extrêmement étroite. Je suis en relation avec le général Clarke, qui est le patron du United States Special Operations Command (USSOCOM), autrement dit le service des forces spéciales américaines. Je reçois cet après-midi à Paris le général commandant le Joint Special Operations Command (JSOC), qui est le responsable des opérations sur le terrain. Nous partageons des retours d'expérience (RETEX) et échangeons à propos du matériel découvert sur place – téléphones, ordinateurs ou autres –, dont l'exploitation permet de poursuivre nos actions. Les échanges se font d'ailleurs dans les deux sens : les Américains ont eux aussi besoin de nous au Sahel, notamment en raison des renseignements que nous leur fournissons. L'un de leurs ressortissants, Jeffrey Woodke, est encore retenu en otage dans la région.

Cette relation étroite avec les Américains est une source d'efficacité sur le terrain. Elle nous permet de gagner leur confiance totale et leur estime. C'est également vrai des Britanniques, avec qui nous sommes en relation au Levant, où sont également concentrées des forces spéciales américaines, afin de contrer la résurgence de Daech.

J'en viens aux liens entre le COS et la DGSE. Le général Gomart décrit dans son livre des relations tendues, les choses ont bien changé : nous avons des relations très régulières et essayons de nous coordonner autant que possible sur les différents théâtres où nous sommes présents. Je vois donc une complémentarité entre nos deux entités – exactement comme celle qui existe entre les forces spéciales et les forces conventionnelles – plutôt qu'une rivalité. Je compte poursuivre dans cet état d'esprit : favoriser l'équipe France et non une rivalité fondée sur la recherche de succès individuels, car le succès, selon moi, est bien collectif.

Monsieur le député Ferrara, vous m'avez aussi demandé pourquoi les forces spéciales étaient engagées dans la TF Takuba.

Il faut bien comprendre que les Européens ne souhaitaient pas, au tout début, intervenir de façon cinétique, offensive, dans le Sahel à travers leurs forces conventionnelles. Certains pays ont accepté que leurs forces spéciales interviennent aux côtés des nôtres. S'ils nous ont rejoints, c'est parce qu'ils avaient confiance en nous, dans les actions que nous menions dans le Sahel.

Le processus est long et complexe. Pour répondre plus largement à tous ceux qui m'ont questionné sur Takuba, dont M. le député Cubertafon, je voudrais indiquer que la montée en puissance a aussi été freinée par le covid-19, puisqu'il n'a pas été possible de construire toutes les installations nécessaires à l'accueil de la TF partout où c'était prévu : les choses ont pris du retard. Cela dit, je suis très confiant. Les Estoniens sont présents et ont participé notamment aux opérations « Bourrasque » et « Éclipse ». Les Tchèques ont envoyé des précurseurs il y a quinze jours et leurs forces vives sont en train d'arriver. Ils seront suivis par les Suédois puis par les Italiens. J'espère que, d'ici au mois d'avril, nous aurons établi une capacité opérationnelle sinon pleine et entière, en tout cas efficace. Nous préparons également la relève, car j'espère que d'autres pays s'intéresseront à cette TF.

En ce qui concerne la pérennité des forces spéciales françaises au sein de la TF Takuba, j'estime que les forces spéciales françaises ont un rôle fédérateur vis-à-vis de nos homologues européens :

- elles peuvent user de leur notoriété et de leur expérience pour convaincre. L'image de la TF Sabre est à ce titre déterminante ;

- elles peuvent mettre en avant les modes opératoires FS français, fondés sur la légèreté et l'agilité, pour susciter l'adhésion.

À la question relative aux forces spéciales de l'armée de l'air et de l'espace, nous sommes extrêmement satisfaits de la création de cette brigade. Nous avions déjà un correspondant unique dans l'armée de Terre, avec le CFST, et dans la marine, avec ALFUSCO ; nous en avons désormais un dans l'armée de l'air et de l'espace. La restructuration de la Brigade des forces spéciales air répond à :

- un besoin d'une meilleure lisibilité et gouvernance des forces spéciales de l'armée de l'air et de l'espace ;

- une forte tension RH, accentuée par la multiplication des métiers à intégrer au sein des détachements de forces spéciales.

La brigade des forces spéciales air regroupe notamment le commando parachutiste de l'air no 10 (CPA 10) et l'escadron d'hélicoptères (EH) 1/67 « Pyrénées », qui seront rejoints par le CPA 30, et la composante fixed wing – les aéronefs à voilure fixe – de l'escadron de transport (ET) 3/61 « Poitou ». Cette unité de commandement facilitera notre dialogue avec l'armée de l'air et de l'espace, au sein de laquelle nos demandes capacitaires seront mieux entendues et défendues. Assister à la création de cette brigade est donc une vraie joie. Cela témoigne également de l'effort important consenti par l'armée de l'air et de l'espace, qui montre ainsi qu'elle investit dans ses forces spéciales.

Les forces spéciales ne sont pas seulement investies au Levant et au Sahel. Je développe, avec la partie africaine des forces spéciales américaines, le Special Operations Command Africa (SOCAFRICA), une meilleure connaissance de la menace terroriste en Afrique dans le cadre de l'anticipation stratégique.

Nous ne nous cantonnons donc pas aux deux théâtres principaux que sont le Levant et le Sahel : nous voyons beaucoup plus large et essayons d'anticiper les menaces suivantes, et par conséquent les zones de nos interventions potentielles.

Monsieur le député Chassaigne, nous avons des relations quasiment permanentes avec le GIGN et l'unité de recherche, d'assistance, d'intervention et de dissuasion de la police nationale (RAID). L'un et l'autre utilisent le groupe interarmées d'hélicoptères (GIH), qui dépend du 4e régiment d'hélicoptères des forces spéciales (RHFS), et qui est placé sous le contrôle opérationnel du COS, dans sa partie opérationnelle. Par ailleurs, mon état-major compte des officiers de gendarmerie, qui facilitent le dialogue. De même, il existe de nombreuses relations des états-majors organiques avec ces unités. Ainsi, par exemple ALFUSCO et le 4e RHFS, dans le cadre du contre-terrorisme maritime, entretiennent des relations étroites avec le GIGN et organisent des exercices tous les ans.

Plus récemment, je me suis entretenu avec le général commandant du GIGN. Nous avons convenu de la nécessité d'échanger régulièrement. Nous assisterons à leurs retours d'expérience concernant leurs opérations sur le territoire national, et, de la même manière, ils assisteront aux nôtres.

Nos relations avec le GIGN et le RAID sont donc fortes et permanentes. Nous partageons nos retours d'expérience et échangeons même en termes capacitaires, sur ce qui fonctionne chez nous et pourrait fonctionner aussi chez eux, et vice versa.

Monsieur le député Chassaigne, s'agissant du développement du COS au regard de l'évolution des conflits, il faut comprendre que nous puisons nos effectifs dans le vivier des armées, selon un processus de sélection extrêmement rigoureux comprenant des tests psychologiques et physiques. Nous ne pouvons pas puiser indéfiniment dans les forces conventionnelles, sauf à diminuer leur efficience, leur capacité et leur performance. J'estime qu'avec 4 200 membres, les effectifs de nos forces spéciales ont atteint un niveau suffisant, qui nous permet de répondre à chaque fois aux besoins opérationnels. Je considère qu'il faut rester au même niveau.

Le COS peut-il se substituer aux forces conventionnelles ? Là encore, ma réponse est négative. Je ne suis pas capable, contrairement à Barkhane, de faire du contrôle de zone, ou, comme le font les forces maliennes et nigériennes, de maintenir une présence permanente sur le terrain, de tenir un quadrilatère – je n'ai d'ailleurs pas les effectifs dédiés pour cela. Ce que je suis en mesure de faire, en revanche, c'est du hit and run, des missions coups de poing, qui supposent de pouvoir tenir temporairement le terrain, avant que, très vite, les forces conventionnelles ne se substituent aux miennes.

Je vois beaucoup de complémentarité entre ces deux forces, qui plus est quand elles sont coordonnées. Avec la TF Sabre, nous échangeons quotidiennement avec le COMANFOR et l'état-major Barkhane et signalons nos actions respectives.

C'est un peu comme notre relation avec la DGSE : je vois l'unité de l'équipe France et l'action collective plutôt que les actions individuelles, les performances de tel ou tel par rapport aux autres.

Monsieur le député Lasalle, je vous salue. Nous nous connaissons : quand j'étais chef de corps du 1er RPIMa, nous avons échangé à plusieurs reprises à l'occasion de vos déplacements au Pays basque. Je crois que j'ai répondu à votre question sur les drones.

Monsieur le député Lagarde, j'ai déjà évoqué les relations que nous entretenons avec les Américains. Je vais maintenant vous parler de nos besoins capacitaires face à l'hybridation. Je vois au moins quatre enjeux capacitaires majeurs pour le COS dans les années à venir pour répondre aux nouvelles menaces.

Le premier enjeu consiste à renforcer la résilience de nos systèmes, selon deux axes : la souveraineté nationale dans l'accès aux capacités les plus structurantes et la capacité à opérer dans des environnements perturbés ou contestés. J'entends ici la résilience face au brouillage, face au système de positionnement mondial (GPS) – non souverain –, face aux drones adverses et face aux capacités de localisation ennemies. Nous sommes encore trop dépendants à l'égard des liaisons de données, qui ne peuvent pourtant plus être garanties en tout temps et en tout lieu, soit parce qu'elles peuvent être brouillées ou interceptées, soit parce qu'elles ne permettent pas la discrétion indispensable à la conduite d'opérations spéciales.

Le deuxième enjeu capacitaire concerne l'accès aux zones de conflit en toute discrétion, dans des milieux terrestres, maritimes et aériens, mais aussi dans des champs cyber et informationnels. Dans le domaine aérien, les prochaines années verront un renouvellement de la flotte d'hélicoptères, avec l'arrivée des premiers Caïman au standard forces spéciales. Dans le domaine des voilures fixes, j'emploie des aéronefs C130H équipés d'une avionique qui date des années 1980. La modernisation de cette flotte et l'appropriation des A400M par les pilotes des forces spéciales sont les deux conditions nécessaires au maintien d'un outil opérations spéciales « haut du spectre ». Dans le domaine terrestre ensuite. Nous travaillons à l'aboutissement du programme VFS, véhicule des forces spéciales. Les derniers arbitrages doivent permettre de trouver une solution rapide, sans rupture capacitaire. Dans le domaine maritime enfin, les capacités promises par le PSM3G sont un véritable atout stratégique pour accéder aux zones côtières. Il s'agit aujourd'hui de consolider et de diversifier ses vecteurs de mise en place. Le développement de drones maritimes, notamment subaquatiques, pourraient nous conférer une plus grande autonomie et réduire les risques pris dans un milieu très exigeant.

Le troisième enjeu réside dans le renforcement de la capacité du COS à opérer dans les champs immatériels – cyberespace, espace électromagnétique, champs de l'influence. Dans ce domaine capacitaire marqué par un tempo d'innovation particulièrement rapide, le moindre retard dans l'équipement est synonyme de déclassement. La capacité à mener des actions d'influence doit être professionnalisée et pérennisée. Ces deux volets sont indispensables pour répondre aux stratégies hybrides de nos compétiteurs et adversaires stratégiques.

Enfin, le système d'information des opérations spéciales (SIOS) constitue la clé de voûte du système de combat des opérations spéciales. Il est indispensable pour distinguer les opportunités opérationnelles, alors que l'« infobésité » génère un nouveau brouillard de la guerre, susceptible de paralyser la décision. Notre capacité à digérer ces masses d'informations conditionnera notre efficacité en matière d'information, de ciblage et d'influence. Le SIOS est l'enjeu capacitaire majeur des dix années à venir, un défi à la fois conceptuel, technologique et national – dans ce domaine, l'autonomie n'est pas une option, c'est une obligation.

M. le député Lagarde m'a interrogé sur la Turquie, une question de nature politique. Je ne peux que constater l'importance du nombre d'opérations turques menées actuellement en Méditerranée orientale. Les Turcs opèrent également en Libye, dans la partie tenue par le gouvernement libyen d'entente nationale (GEN), ainsi que dans le Nord-Est syrien. Il est évident que nous devons prendre en compte les nouvelles ambitions de la Turquie.

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