Dans la guerre asymétrique, qui n'est pas nouvelle mais que nous voyons fortement s'exprimer, l'adversaire, se sachant dans l'incapacité de vaincre sur le champ conventionnel de la confrontation armée, refuse l'affrontement direct et utilise d'autres procédés pour porter ses attaques. Dans ce domaine, tous les coups sont permis. L'adversaire commence par remettre en cause la légitimité de notre action, nous discréditer, tenter d'affaiblir notre volonté et nos forces morales, donc d'entraver notre liberté d'action. Il n'hésite pas à exploiter les tensions communautaires. Il s'affranchit, plus souvent que de raison, du droit international humanitaire en n'hésitant pas à cibler les populations civiles pour les terroriser et procéder aux enrôlements de force, aux destructions d'écoles et à l'assassinat des chefs locaux. Tout lien avec une situation réelle n'est pas totalement fortuit.
Dans une guerre asymétrique, il ne peut y avoir de victoire nette et définitive, parce que le terrorisme prospère sur une somme de difficultés sociales, économiques et sécuritaires anciennes. Cela ne veut pas dire qu'il tire sa source de là, car des projets internationaux de grandes organisations terroristes internationales s'appuient sur ces difficultés. Tant que l'intimidation des populations est rendue possible par la faiblesse institutionnelle de ces États, le recrutement risque de se poursuivre. Il faut donc une réponse globale. C'était l'objet des discussions du sommet de N'Djamena, visant à rétablir le déploiement des services publics de base pour la population, tout en assurant la sécurisation des zones. Il s'agit d'ôter à l'adversaire la légitimité dont il s'empare en proposant des systèmes alternatifs aux systèmes institutionnels des États, afin de propager une idéologie mortifère faisant des populations civiles sa première cible.
Cela exige le développement de savoir-faire nouveaux et la diversification de nos modes d'action pour conserver notre liberté d'intervention face à de nouveaux domaines de conflictualité. Nous devons évidemment nous appuyer sur les outils militaires conventionnels ou non conventionnels, mais aussi sur l'action diplomatique et notre politique de développement. Il convient de faciliter le retour de l'État et des services publics dans ces zones déshéritées, souvent oubliées par les États souverains, et permettre aux opérateurs du développement d'initier leurs projets, ce qui suppose le rétablissement de conditions minimum de sécurité.
Je souscris pleinement à l'idée que la réponse militaire n'a jamais été l'alpha et l'oméga de notre présence au Mali. Au sommet de N'Djamena, nous avons tiré un bilan très positif de notre action militaire, puisque nous avons atteint l'objectif fixé il y a un an de réduire l'influence de Daech, c'est-à-dire de l'État islamique au grand Sahara (EIGS), dans la zone des trois frontières du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Mais nous avons aussi constaté que l'atteinte des objectifs fixés dans les domaines du retour de l'État et du développement n'avait pas été assez rapide. Si le Président de la République a fait le choix, en lien avec ses partenaires du G5 Sahel, de maintenir l'effort militaire pour un temps, c'est aussi pour accompagner un sursaut dans le champ civil, démocratique et économique. Cette action doit être renforcée dans les prochains mois afin que l'effort militaire consenti au prix de nombreux sacrifices débouche sur l'ouverture d'un espace politique et diplomatique pour permettre le retour de la paix et de la stabilité.
En effet, la paix, cela se construit, et cela passe notamment par une condition qui n'était absolument pas remplie jusqu'à présent : la mise en œuvre de l'accord d'Alger de paix et de réconciliation (APR). De ce point de vue, on peut voir très positivement la réunion récente du comité de suivi de l'accord qui s'est tenue à Kidal. C'est une première étape indispensable pour retrouver l'unité du Mali, permettre à des personnes engagées dans le combat de déposer les armes et de réintégrer l'État malien. Toutes les chances doivent être données à tous ceux qui veulent voir progresser la mise en œuvre de l'APR.
Beaucoup reste à faire, mais il importe de s'appuyer sur les succès remportés pour avancer dans des domaines encore insuffisamment explorés et dans lesquels des progrès sont attendus, et d'abord par les populations locales.
J'en viens à présent à votre seconde question, Madame Mauborgne, concernant les faits qui se sont produits le 17 février, quand l'un des deux Rafale biplaces en entraînement dans le secteur du Castellet volant à basse altitude a sectionné une ligne électrique de moyenne tension, sans causer de victime au sol. Le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) a rapidement maîtrisé un départ de feu et ENEDIS a rétabli dans l'après-midi même la distribution de l'électricité. Cet incident en vol a obligé le pilote et son navigateur à se dérouter vers une base aérienne militaire. Heureusement, l'appareil a pu se poser sans encombre. L'équipage, sain et sauf, a appliqué les procédures requises pour ramener l'avion à la base. Des enquêtes ont été initiées par la gendarmerie de l'air et le bureau enquêtes accidents pour la sécurité de l'aéronautique d'État, afin de déterminer les causes de cet incident particulièrement rare au regard du nombre de vols d'entraînement à très basse altitude réalisés chaque année. Nous vous tiendrons informés des conclusions de ces enquêtes.
Monsieur de la Verpillière, nos attentes à l'égard des États-Unis sont importantes après les quatre années que nous avons passées. La première porte sur l'engagement à poursuivre la lutte contre le terrorisme. Lors de son récent entretien avec le Président de la République, le président Biden a confirmé l'engagement de son pays à nos côtés dans la bande sahélo-saharienne (BSS). Quant à mon nouvel homologue, le général Austin, il a rappelé, lors de son audition devant le Congrès son appréciation du rôle de la France au Sahel. Le soutien américain à la conduite de nos opérations au Sahel est essentiel et se caractérise par du transport aérien, du ravitaillement en vol et des capacités en matière de renseignement. Depuis plusieurs années, notre très haut niveau d'intégration renforce notre interopérabilité. Au cas particulier, cette coopération peut être qualifiée de gagnant-gagnant.
Au Levant, nous participons à la coalition internationale contre Daech au travers de notre opération Chammal. Là aussi, le soutien des Américains se concrétise dans le domaine de la protection des forces, de la santé et du renseignement, élément essentiel au bon fonctionnement de la coalition. Depuis 2014, nous combattons tous les jours aux côtés de nos camarades américains. Nous déploierons dans quelques jours le porte-avions Charles de Gaulle et son groupe aéronaval, en appui des opérations contre Daech.
À la très bonne interopérabilité de nos forces, illustrée de manière évidente lors de l'opération Hamilton, en 2018, s'ajoute un haut niveau de coopération militaire dans le domaine spatial, dans le domaine cyber et dans le domaine du renseignement. Nous souhaitons que cette coopération bilatérale, qui ne s'est jamais démentie au cours des quatre années précédentes, se poursuive et continue de progresser.
Par ailleurs, le président des États-Unis a indiqué sa volonté de renforcer le lien transatlantique avec l'Europe. C'est une très bonne nouvelle. En tant que Français, nous avons aussi un rôle moteur à jouer pour que ce lien avec notre allié américain soit le plus dynamique possible, en particulier au sein de l'OTAN. Nous souhaitons qu'il ne limite pas notre ambition de bâtir une véritable autonomie stratégique européenne. Il n'y a aucune raison d'opposer l'Alliance atlantique et l'Union européenne. Elles sont complémentaires et doivent se renforcer l'une l'autre. Je ne doute pas que nous pourrons avancer dans ce sens.
Comment continuer à aller de l'avant et prendre en compte les éléments nouveaux que j'ai détaillés dans mon propos liminaire, résultant de l'actualisation de la Revue stratégique ? La loi de programmation militaire que vous avez très largement votée prévoit, dans sa première partie, pour la période 2019-2023, l'injection de 110 milliards d'euros dans l'économie pour les équipements, les infrastructures et le maintien en condition opérationnelle (MCO), ce qui est considérable. Cela signifie que nous gérons en parallèle un grand nombre de programmes, qui ont leurs propres cycles de vie, comme les êtres vivants : certains prennent de l'avance, d'autres du retard, d'autres encore sont à l'heure. C'est cet effet de masse qui nous permet, année après année, dans le cadre des travaux d'aménagement auxquels nous procédons, d'utiliser de manière pertinente l'ensemble des moyens budgétaires mis à notre disposition dans le cadre des lois de finances initiales. L'examen régulier de la vie des programmes permet, eu égard au retard temporaire de certains programmes, de dégager des marges de manœuvre afin d'accélérer ce qui est accélérable. Nous réalisons ces exercices annuels de reprogrammation fine, afin d'assurer la bonne exécution de la LPM tout en permettant de financer les accélérations souhaitables dans le cadre de l'actualisation de la Revue stratégique.
Madame la présidente Sabine Thillaye, la boussole stratégique est un exercice inédit, et l'exemple même de la prise de conscience européenne de la nécessité de construire une culture stratégique commune. Elle s'appuie sur différents piliers. Le premier, le socle, lancé et finalisé sous présidence allemande, consiste à mener une revue stratégique comme celle que nous venons d'actualiser pour dégager un consensus au niveau européen sur les menaces auxquelles nous sommes confrontés. Ce socle, précieux, nous permettra d'avancer vers la deuxième étape, la fixation de notre niveau d'ambition pour les prochaines années, en capitalisant sur les actions conduites pour faire émerger une Europe de la défense toujours capable de prendre en charge sa sécurité, de mieux traiter les menaces et les vulnérabilités.
Il nous reviendra, dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, au premier semestre 2022, d'achever le processus initié par l'Allemagne et de bâtir un consensus autour de nouvelles ambitions pour l'Europe dans le domaine de la défense et de la sécurité. Nous avons déjà identifié un certain nombre d'objectifs à l'horizon 2030. En termes de méthodologie, nous essayons de reproduire à l'échelle européenne des travaux que nous avons menés au plan national. Parmi ces objectifs figurent les opérations, grâce auxquelles nous nous exerçons au quotidien à la culture stratégique commune que nous voulons construire et faire progresser, la gestion de crise et la résilience. Nous avons éprouvé ce qu'était la résilience de l'Europe en pleine crise sanitaire. Nous avons aussi éprouvé l'agilité dont l'Union européenne a su faire preuve pour nous aider collectivement à faire face à cette crise inédite, aussi bien sur le plan sanitaire que sur le plan économique. Je rappelle le caractère inédit du plan de relance européen décidé au mois de juillet sous la forte pression du Président de la République, avec le plein soutien de la chancelière Merkel.
Il nous faudra proposer de nouvelles initiatives. J'ai mentionné deux axes. J'ajouterai, dans le domaine capacitaire, qu'il nous faudra pleinement exploiter les outils dont nous avons été dotés depuis 2017 : le fonds européen de défense, la coopération structurée permanente, notre volonté de réduire nos dépendances stratégiques, la facilité européenne pour la paix destinée à amplifier l'effet des actions de formation que mène déjà l'Union européenne.
Le dernier axe important, ce sont nos partenariats pour faire émerger une réelle approche stratégique montrant que l'Union européenne est un fournisseur de sécurité commune. Nous les voyons évidemment entre l'Union européenne et les États-Unis, entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, mais aussi dans la consolidation de la relation avec l'OTAN. Enfin, d'autres pays européens pensent qu'une stratégie en Indopacifique est nécessaire. Au-delà des stratégies bilatérales qui peuvent apparaître ici ou là, une stratégie européenne vis-à-vis de l'Indopacifique pourrait constituer un axe majeur de la présidence française. Nous en sommes à la préfiguration. Tout cela doit être discuté avec nos partenaires et avec l'Union européenne elle-même, ce que nous avons commencé de faire afin que cette présidence lance vraiment une deuxième étape, ambitieuse, de l'Europe de la défense.
Monsieur Gassilloud, la contribution des armées à la résilience de la Nation s'exprime face à la menace terroriste qui perdure, face à la menace pandémique depuis 2020, mais aussi dans d'autres domaines comme les risques cyber, nucléaire, radiologique, biologique ou chimique. Toutes ces menaces ayant été identifiées dans les revues stratégiques, il faut trouver et mettre en place les réponses pertinentes. Cela suppose de confirmer qu'il s'agit de priorités, ce qui est le cas au travers du document d'actualisation de la Revue stratégique, de maintenir le cap de la LPM et de faire en sorte que l'ensemble de la base industrielle et technologique de défense accompagne ce mouvement pour avoir toujours les meilleures réponses possibles. Vous savez combien le ministère des Armées contribue à la dynamiser, aussi bien en temps de paix qu'en temps de crise, puisque crise sanitaire et crise économique vont malheureusement de pair. Notre LPM est le bon outil pour participer à la relance de l'économie nationale et au soutien du dynamisme de nos industries de défense. Le ministère des armées est déterminé à embrasser de façon pleine et entière la résilience de la nation dans toutes ses dimensions, celles que nous connaissons et celles qui émergent.
S'agissant du Sahel, qui a également fait l'objet de questions de MM. Corbière et Chassaigne, le G5 Sahel fournit l'exemple même de ce qui peut être fait de manière pragmatique par les pays africains. N'oublions pas que c'est une initiative qu'ils ont prise, que cela ne leur a pas été imposé. Il s'agit de déterminer les menaces auxquelles ces pays sont exposés et les réponses qu'ils peuvent y apporter. J'observe que, dans le domaine militaire, l'action du G5 Sahel se consolide – j'y reviendrai en détail le 4 mars lors du débat en séance publique. À cet égard, le déploiement du bataillon tchadien annoncé au sommet de N'Djamena est une bonne nouvelle, car il va opérer non pas sur le fuseau qui lui est naturel, la partie est du Sahel, la frontière entre le Tchad et le Niger, mais pour renforcer l'action en cours au centre du Sahel, dans cette zone des trois frontières qui fait toujours l'objet de toutes nos attentions et de tous nos efforts. Il est donc important que ce bataillon tchadien, composé de 1 200 hommes et équipé de plus de 200 véhicules, puisse commencer à agir dans les prochains jours. Il va se joindre à toutes les unités déjà engagées par d'autres pays dans le fuseau centre. Il convient de mesurer l'effort que cela représente pour des pays qui sont parmi les plus pauvres du monde. C'est pourquoi ils ont besoin de l'aide de la communauté internationale et c'est pourquoi il est important que la coalition pour le Sahel continue à monter en puissance.
Je complèterai cette réponse en ajoutant, en réponse au président Chassaigne, que le rôle de la Minusma sera encore plus essentiel demain si la volonté politique est présente pour assurer la mise en œuvre de l'accord de paix et de réconciliation signé en 2015. Sur le plan militaire, elle joue aussi un rôle important dans la stabilisation du centre du Mali. Dans cette zone très dangereuse, dont on parle peu, qui est à la main des groupes terroristes et où les tensions communautaires sont fortes, la Minusma appuie les forces armées maliennes qui y sont déployées.