Monsieur Jacques, il convient d'établir une distinction entre deux types de structures privées. J'ai décrit celles dont l'activité consiste à recruter des mercenaires, évoquées par Mme Gipson. Nous savons quel est leur rôle. La France n'a jamais eu l'intention de recourir à ce type de société et elle ne l'aura pas pour le futur. Je concentrerai donc ma réponse sur les autres sociétés privées. Nous sommes conscients de leur rôle fondamental pour la base industrielle et technologique de défense et à sa périphérie. C'est pourquoi, au-delà du ministère des Armées, le Gouvernement est mobilisé pour accompagner l'ensemble de ces entreprises, notamment sur les marchés internationaux. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, en particulier mon collègue Franck Riester, est le pivot du déploiement de la diplomatie économique de nature à faciliter le développement de nos entreprises à l'international.
Une politique de développement économique portée par l'Alliance pour le Sahel ouvrira également des débouchés pour les savoir-faire de nos entreprises. Enfin, dans le segment spécifique de l'armement, nous accompagnons nos entreprises sur des marchés, comme celui lié au déploiement de la Minusma, qui est peu connu, ou celui de l'équipement des forces du G5 Sahel.
Monsieur Ferrara, je n'ai pas besoin de vous convaincre du rôle central de l'armée de l'air, notamment dans notre stratégie de défense en Indopacifique. Vous avez rappelé les exercices qui ont été organisés, aussi bien dans la zone de l'océan Indien que, plus récemment, dans celle de la Méditerranée. Je vous rassure, nous avons mené en Méditerranée des exercices conjuguant les forces aériennes avec notre marine. C'est dans la bonne utilisation des deux que nous pourrons le mieux marquer notre efficacité.
Les trois A330 sont en cours de livraison dans le cadre du plan de soutien à l'aéronautique que nous avons annoncé en juin dernier. Deux ont déjà été réceptionnés en 2020 par l'armée de l'air et de l'espace, le troisième sera livré en 2022. Ces avions sont destinés à remplacer les avions de transport A340 et A310 que nous avons commencé de revendre sur le marché de l'occasion. Ils seront ultérieurement transformés entre 2026 et 2027 en avions ravitailleurs, puisque l'A330 constitue le socle des MRTT.
Comme vous, Mme Michel a également évoqué notre stratégie en Indopacifique. Et concernant nos partenariats, je me concentrerai sur l'Inde, partenaire et client essentiel de la France, avec lequel nous n'avons cessé de construire un partenariat stratégique depuis 1998. Dans le domaine de la coopération opérationnelle, nous menons de nombreux exercices, aussi bien avec notre marine qu'avec notre armée de l'air. Nous souhaitons le faire avec notre armée de terre et réaliser un exercice interarmées, si tout va bien. Dans le domaine capacitaire, nous avons vendu à ce pays des Rafale, des sous-marins, ce qui facilite notre partenariat opérationnel et nous permet de nous concentrer sur des sujets de préoccupation communs comme la sécurité maritime ou la lutte contre le terrorisme.
Monsieur Marilossian, avant de répondre sur la politique de maîtrise des armements, je tiens à dire que la France est fermement engagée en faveur du désarmement nucléaire, mais dans le cadre maîtrisé, raisonné du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. C'est là que nous concentrons nos efforts de désarmement. J'ajoute que la France n'a pas de leçon à recevoir dans ce domaine, puisqu'elle a procédé à un certain nombre d'ajustements au fil de l'histoire. Avec un TIAN, serions-nous mieux protégés contre la prolifération qui, non seulement n'a pas cessé mais continue de se développer, comme le montrent la Revue stratégique et son actualisation ? La réponse est non, car ce traité ne prévoit aucun système de vérification du désarmement nucléaire. Or, vous l'avez rappelé, les propos du Président de la République sont clairs : le désarmement doit être « crédible, global et vérifiable ». Par conséquent, nous ne voyons pas en quoi le monde serait plus sûr et verrait un certain nombre de puissances renoncer à la prolifération si le traité sur l'interdiction des armes nucléaires était signé par la France. Nous aurons certainement l'occasion de reprendre ce débat très légitime et important.
Concernant l'autonomie stratégique européenne, vous avez raison de dire, Mme Pouzyreff, que les termes font couler beaucoup d'encre, alors que les mots importent moins que ce que l'on veut faire. Je ne reviendrai pas sur la boussole stratégique. Ce qui compte, c'est que nous, Européens, ayons une conscience accrue des menaces auxquelles nous sommes confrontés et des réponses à apporter. L'autonomie stratégique européenne se construit pas à pas, par différentes approches, politiques et capacitaires, avec la coopération structurée permanente, la facilité européenne pour la paix. Sur le plan capacitaire, le fonds européen de défense, formidable outil dont nous ne disposions pas jusqu'à présent, va beaucoup aider les entreprises, non seulement françaises, mais aussi européennes, à constituer une véritable base industrielle et technologique de défense à l'échelle européenne. Sur le plan opérationnel, l'Initiative européenne d'intervention vise à permettre aux États capables et volontaires de s'engager. Dans le cadre de la force Takuba, neuf pays sont ainsi à nos côtés, mais d'autres s'engagent aussi dans l'opération de sécurisation maritime dans le golfe arabo-persique, ou encore dans l'opération Irini, au large de la Libye.
Votre question rejoint d'ailleurs celle de M. Thiériot, auquel je rappelle que lorsqu'en 2017, le Président de la République et la chancelière Merkel ont présidé le comité franco-allemand de défense et de sécurité, ils ont fixé un agenda très ambitieux, en particulier dans le domaine capacitaire, illustration de la volonté de construire l'autonomie stratégique européenne. Au cœur de cet agenda, le système de combat aérien du futur est un projet majeur. Sans précédent en matière de coopération d'armement, il mobilise déjà trois pays et leurs industriels et génèrera 7 000 emplois. L'enjeu des discussions en cours est la traduction au plan industriel des grands principes sur lesquels nous nous étions accordés en 2017. Il s'agit de tirer les leçons des programmes de coopération précédents, donc de s'attacher à clarifier les responsabilités de chacun afin d'atteindre notre objectif de disposer d'un démonstrateur en 2026. Pour cela, il faut s'attacher à respecter un autre principe fondamental, celui du « meilleur athlète », c'est-à-dire s'assurer que pour chaque brique technologique, nous disposions des meilleures capacités existantes.
Nous travaillons sur cette base avec ma collègue allemande. La coopération n'est jamais simple, surtout s'agissant d'un programme d'armement aussi complexe. C'est pourquoi il faut se parler beaucoup, ce que nous faisons. L'objectif est de renforcer la confiance indispensable qui doit exister dès le départ puis se construire pas à pas entre les industriels impliqués. Il est vrai que le temps nous est compté, puisque les élections allemandes approchent et que le Bundestag va arrêter de se réunir au début de l'été. Il importe de ne pas ralentir notre effort et de rester guidés par deux principes : le respect de notre ambition, rappelée par le Président de la République et la chancelière le 5 février dernier, et le développement d'une organisation industrielle crédible reposant sur les bases que j'ai rappelées.
Sur la guerre informationnelle, nous l'expérimentons au Sahel, parfois à nos dépens Madame Roques-Etienne. Nos adversaires ont non seulement compris l'intérêt du champ informationnel mais en maîtrisent parfaitement les codes, ce qui renvoie à ma réponse sur la guerre asymétrique. Lorsque ceux qui mènent ces guerres informationnelles peuvent aisément s'appuyer sur la rumeur, la désinformation et ses vecteurs que sont les réseaux sociaux, nous, la France, répondons en tant qu'État. Nous ne pouvons donc pas nous contenter de réponses immédiates et non vérifiées. Notre parole étant engagée, nous avons besoin de recouper et vérifier les faits. Une des difficultés de la guerre informationnelle est la dissymétrie dans le temps : pour nos adversaires, nourrir la rumeur est un exercice naturel pratiqué dans l'immédiateté alors que nous, devons, quant à nous, prendre le temps de procéder à toutes les vérifications. C'est notre fierté, parce que nous n'avons pas les mêmes valeurs et ne défendons pas les mêmes systèmes.
Madame Morlighem, j'ai annoncé l'achèvement du programme Source Solde et la bascule du logiciel Louvois, de funeste mémoire, vers le nouveau système. Nous avions commencé le processus par la marine, nous avons poursuivi avec l'armée de terre, en pleine crise sanitaire, et l'avons achevé au 1er janvier en faisant entrer l'armée de l'air et de l'espace et le service de santé des armées dans le nouveau système. Cette opération s'est déroulée à bas bruit, de façon discrète, parce que nous considérions que nous n'avions pas de raison de communiquer sur des succès dont nous ne pouvions pas être totalement sûrs, après les expériences très difficiles vécues par nos militaires pendant des années. J'ai été très heureuse de féliciter toutes les équipes qui se sont mobilisées comme jamais pour rendre un service de base à nos militaires. Il était indispensable de leur tirer un grand coup de chapeau, car pouvoir dire que Louvois, c'est terminé, est un immense soulagement pour nous mais surtout pour tous les militaires.
Monsieur Fiévet, la transition énergétique est en effet un sujet central pour la société comme pour nos armées. Nous ne pourrions justifier auprès de quiconque que les armées s'affranchissent d'une réflexion sur l'amélioration de l'efficacité énergétique, qu'il s'agisse de nos bâtiments, de nos opérations ou de nos matériels. C'est pourquoi j'ai formalisé pour notre ministère une nouvelle stratégie énergétique résumée par la formule « consommer sûr, mieux et moins ». Il s'agit de faire en sorte que, comme pour le reste de l'économie, la transition énergétique devienne une véritable opportunité pour nos armées et un atout opérationnel.
Nous avons de nombreux projets exigeants dans les domaines de l'écoconception et de l'efficacité énergétique que nous fixons a priori, avant même le démarrage des programmes d'armement. Cela fait désormais partie du cahier des charges. Les nouveaux équipements intègrent des dispositifs de réduction de consommation. Je pense aux chalands hybrides dotés d'une double motorisation diesel et batteries, et au programme de patrouilleurs outre-mer équipés également de moteurs hybrides. Nous poursuivrons les travaux de recherche et développement pour intégrer l'hybridation et la moindre consommation énergétique dans des programmes plus importants, comme le char de combat du futur ou le moteur de l'avion de combat du futur. Je peux même vous annoncer que, dès 2022, nous expérimenterons un prototype de Griffon à motorisation hybride. Cela montre bien qu'aucun domaine n'a vocation à échapper aux efforts d'accélération de la transition énergétique. Enfin, il existe des projets spécifiques de drones à hydrogène qui rejoignent des champs d'investigation et de recherche sur lesquels nous sommes collectivement engagés.
S'agissant enfin de la stratégie vaccinale, à propos de laquelle m'a interrogée M. Son-Forget, nous avons évidemment pris en compte le caractère très spécifique de certaines missions assumées par nos militaires. Instruite par l'expérience malheureuse du printemps dernier, j'ai souhaité que nos marins partant en mission sur le porte-avions Charles de Gaulle et les équipages des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) soient vaccinés. Cela ne se sait pas mais, au cours de la période qui s'est écoulée du mois de février 2020 jusqu'à maintenant et afin d'assurer une complète protection des marins dans les SNLE, nous les avons contraints avant l'embarquement à des quatorzaines très dures, qui ne s'effectuaient pas à domicile. Tout cela a représenté un sacrifice supplémentaire auxquels ont consenti nos marins et leurs familles. Il était donc justifié qu'ils bénéficient par anticipation de la vaccination. La continuité de notre présence à la mer et de la dissuasion en dépendait.