Intervention de Jean-François Ferlet

Réunion du mardi 9 mars 2021 à 17h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-François Ferlet, directeur du renseignement militaire :

Concernant l'action dans le cyberespace, la DRM opère uniquement dans le domaine du renseignement. Les opérations d'influence ou de contre-influence et les opérations plus offensives à des fins de neutralisation ne sont pas de son ressort. Dans le cyberespace, on s'intéresse au contenu à même de répondre aux questions que l'on se pose ou qui nous sont posées. Le reste est partagé entre le commandement de cyberdéfense (COMCYBER), dans le périmètre du chef d'état-major des armées, et la DGSE. Le COMCYBER est par ailleurs responsable de la lutte informative défensive, c'est-à-dire de la détection et de la réaction aux attaques informatiques sur nos réseaux. Chacun agit dans son domaine de responsabilité. Je fais de la lutte informatique à des fins de renseignement et je reste dans mon domaine qui est le renseignement.

Bien entendu, nous nous coordonnons et partageons des capacités mutualisées. Nous avons de plus en plus affaire à des États qui agissent en zone grise avec des moyens d'action moins traditionnels que par le passé. Il s'agit de moyens moins cinétiques mais qui produisent néanmoins des effets physiques. Dans le champ informationnel, d'autres moyens participent à l'atteinte d'objectifs politiques. Nous les voyons se multiplier, car ils sont à la portée de n'importe qui, mais ils ne sont pas toujours utilisés par les acteurs étatiques. L'actualité rappelle notre vulnérabilité en ce domaine.

Vous avez raison de souligner que les guerres hybrides comportent un volet informationnel. Mais la lutte d'influence dans le domaine cyber n'est pas de mon ressort. On distingue le ROC (renseignement d'origine cyber) et le RIC (renseignement d'intérêt cyber), beaucoup plus technique, sur les réseaux, les nœuds, l'architecture des réseaux, permettant de mener des opérations cyber. Comme dans le domaine matériel, les gens qui mènent des opérations dans le domaine cyber ont besoin de renseignement. Il revient à la DRM de leur fournir les renseignements techniques dont ils ont besoin pour mener des opérations cyber.

L'évolution des emplois et des métiers est un vrai sujet. Un des défis à relever est de disposer des personnels dont nous avons besoin mais surtout de ceux dont nous aurons besoin demain. Les métiers évoluent, de nouveaux outils arrivent. Dans un environnement en perpétuelle évolution, il nous faut faire également évoluer les métiers. Par exemple, les IP, interprétateurs photos, sont des spécialistes formés sur plusieurs années, capables de trouver et d'identifier des matériels sur une prise de vue. Ils connaissent tous les matériels militaires de nos compétiteurs stratégiques. En deux jours, ils peuvent « habiller » une photo de base aérienne en précisant jusqu'aux déclinaisons et standards des avions qui s'y trouvent. Or des logiciels, appuyés sur une banque de données d'images, font cela automatiquement. Plus la banque de données est fiabilisée et plus les logiciels sont performants. Demain les IP seront toujours utiles, pour contrôler les conclusions du logiciel de lecture automatique d'image mais surtout pourront consacrer plus de temps à l'analyse et aux conclusions renseignement de l'exploitation des informations collectées.

S'agissant de l'intelligence artificielle, des data scientists, des spécialistes de la donnée, nous devons rechercher des expertises duales très demandées dans le secteur privé. Tout le monde ayant besoin, à des fins différentes, de brasser de la donnée, le secteur est très concurrentiel. Il est difficile de capter et de fidéliser cette expertise. La DRM bénéficie néanmoins de l'intérêt de la matière brute sur laquelle nous travaillons. À travers des partenariats avec des grandes écoles ou des universités, nous contribuons à créer un vivier qui nous permet d'intéresser des jeunes talents à nos métiers, à l'instar de ce qui se fait pour la filière GEOINT (intelligence géospatiale) en partenariat avec La Sorbonne.

Comment mutualiser cette ressource rare entre services et organiser des parcours croisés ? L'un des intérêts de la CNRLT est de coordonner ces travaux interservices. Un groupe de travail était chargé de réfléchir sur la mobilité interservices, en vue de proposer à nos personnels civils des parcours de carrière qualifiants. Si nous n'avons pas toujours la taille critique pour offrir des parcours de carrière qualifiants, en revanche, dans la communauté nationale du renseignement, nous pourrions construire des parcours de carrière intéressants, d'autant que le croisement des cultures est bénéfique pour tous. Tous les services sont d'accord sur le principe, mais dans la pratique, la mobilité se heurte à des problèmes de statuts, de rémunération ou d'avantages.

Il existe une coordination interservices avec la DGSE et la DGSI. Le domaine d'emploi et le périmètre de responsabilité de chacun sont clairement définis. Avec la DGSE, nous pouvons être amenés à travailler sur les mêmes sujets et pour les mêmes finalités. Nous mettons en œuvre des moyens complémentaires mais aussi similaires notamment dans le domaine du renseignement humain, cela demande coordination et déconfliction. C'est pourquoi a été mis en place un comité de renseignement de théâtre (CRT) sur le Sahel, qui siège régulièrement afin d'organiser la manœuvre de renseignement, être le plus efficace possible, complémentaires mais non redondants et d'éviter des conflits dangereux pour nos agents sur le terrain, voire de nous intoxiquer mutuellement en traitant la même source sans le savoir.

Pour le contre-terrorisme sur le territoire national, la DGSI, désignée menante ou chef de file, organise la fusion du renseignement lui provenant de tous les services. Nous sommes donc concourants. Quand nous recueillons un élément de nature à intéresser la DGSI dans cette mission, nous le transmettons à la cellule Allat, qui fusionne le renseignement.

Notre coopération avec TRACFIN est récente. Les outils performants de suivi des réseaux financiers complexes de TRACFIN peuvent faciliter notre compréhension des réseaux de trafics d'armes au Sahel. TRACFIN nous a aidés à caractériser des flux d'armement en provenance de Libye, à comprendre les réseaux et à intercepter des cargaisons grâce à du renseignement financier. Pour suivre les trafics mondiaux d'armements, les douanes et TRACFIN nous sont d'une aide précieuse. De manière plus générale, l'académie du renseignement propose des formations et regroupe au sein des promotions des agents de tous les services et permet une meilleure connaissance des capacités des autres Avec l'ensemble des services, nous avons des réunions bilatérales et cherchons des voies d'amélioration. Nous sommes souvent proactifs en leur proposant des capacités qui pourraient les intéresser.

Concernant les Reaper au Sahel, c'est la première fois que nous recevons une capacité qui est directement envoyée en opération. Cette capacité rare est devenue essentielle. Plus aucune grosse opération n'est engagée sans une couverture drones, soit en préparation, soit durant sa conduite. Outre l'armement intégré, le Block 5 apportera des charges ROEM (renseignement d'origine électromagnétique). Or si les capteurs sont précis, ils reviennent à regarder le sol à travers une paille. Si vous ne savez pas ce que vous cherchez, vous ne trouvez rien. Pour rallier le drone, il nous faut des capteurs à champ large pour réaliser des interceptions électromagnétiques.

De même, dans le domaine du renseignement, le soutien américain d'AFRICOM est excellent et représente un effort renseignement conséquent au Sahel. Cela permet notamment de disposer d'une permanence de l'observation lors des phases de suivi des groupes armés terroristes.

Artemis n'est plus un programme d'études amont (PEA). Je ne sous-estime pas les difficultés de partage industriel et de dialogue pour bâtir un champion français de l'intelligence artificielle. La joint-venture Atos, Thales, Sopra Steria auxquels viennent s'agréger, des sous-traitants s'occupant de la couche logicielle, est donc la bonne méthode, mais le défi est difficile à relever. Dans ce domaine où la technologie avance très vite, il est impératif de travailler ensemble en plateau intégré réévaluer en permanence les besoins afin d'éviter de déboucher sur une solution au final obsolète.

Incapables d'être omniprésents, compte tenu d'une RH comptée, nous avons besoin d'outils intelligents pour assurer à notre place une veille des signaux faibles et appeler notre attention sur les éléments anormaux, ne serait-ce qu'en termes de niveau d'activité. Nous nous sommes résolument engagés dans la mise en place d'outils de veille permanente. Si, avec les moyens qui sont les nôtres, nous ne pouvons pas surveiller le monde entier avec le même niveau de priorité et le même degré de finesse, des outils peuvent nous aider à le faire.

L'utilisation des sociétés militaires privées de type Wagner qui œuvrent, notamment en Afrique, est un sujet de préoccupation. L'affrontement interétatique via des sociétés privées est un phénomène qui prend de l'ampleur. L'utilisation de ces proxies participe à l'action indirecte de certains états dans leur stratégie d'influence et d'accès aux ressources. D'autres États, quant à eux, utilisent des manœuvres financières et des prêts toxiques pour faire main basse sur les ressources.

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