Intervention de Général Eberhard Zorn

Réunion du mercredi 17 mars 2021 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Eberhard Zorn, Generalinspekteur de la Bundeswehr :

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie vivement de votre invitation. C'est un grand honneur et une grande joie pour moi de pouvoir prendre la parole devant vous, les membres de la Commission de la défense nationale et des forces armées au sein de l'Assemblée nationale.

Comme vous l'a indiqué le Président de notre commission de la défense, M. Hellmich, dans son allocution, vos collègues allemands attendent déjà avec impatience de pouvoir échanger avec le général François Lecointre, le 24 mars prochain.

La France et l'Allemagne sont liées par une amitié profonde qui trouve également son expression dans une étroite coopération militaire, empreinte de cette confiance ; une coopération qui profite à nos deux pays et qui, de surcroît, représente le symbole d'une Europe forte. Nos bonnes relations ne sont cependant pas une évidence, mais constituent un très précieux acquis, pour lequel nous avons œuvré pendant des décennies. C'est pourquoi nous ne devons pas oublier que l'Europe, avec ses valeurs communes, n'a pas toujours été une Europe de la paix. Croyez-moi, en tant que Sarrois, je sais très bien de quoi je parle. Des déplacements de frontières et des guerres ont toujours marqué la région frontalière entre Sarre, Lorraine et Luxembourg, région dans laquelle j'ai grandi.

Cependant, Mesdames et Messieurs, un lien aussi étroit ne naît pas spontanément. Une telle coopération requiert beaucoup de travail et c'est un ouvrage qu'il faut sans cesse remettre sur le métier. Nos militaires, femmes et hommes, s'y appliquent quotidiennement, dans la brigade franco-allemande ou au sein du corps européen, lors des exercices de l'OTAN ou dans le cadre de l'Union européenne, ou encore dans nos engagements communs comme en Irak ou dans le Sahel. Au niveau stratégique, nous nous concertons également dans de nombreuses enceintes, que ce soit de façon bilatérale ou dans le cadre des organismes multinationaux.

Avant d'aborder le sujet de notre engagement international, je tiens à vous donner brièvement une idée de mon rôle en tant que chef d'état-major de la Bundeswehr. Au sein de la Bundeswehr, je suis le militaire le plus gradé, le supérieur de toutes les armées, ainsi que le supérieur hiérarchique et disciplinaire de l'ensemble des militaires. J'ai également autorité sur l'ensemble des OPEX de la Bundeswehr et je suis le responsable de la constitution des forces. Les forces armées sont donc placées sous mes ordres à tous égards.

Ensuite, j'assume le rôle complexe de conseiller militaire auprès des autorités politiques. Dans ce cadre, il m'incombe de conseiller l'ensemble du gouvernement fédéral allemand, c'est-à-dire non seulement le ministre fédéral de la défense, mais également dans toutes les affaires militaires. J'offre un conseil militaire sur l'ensemble des questions ayant des implications militaires.

La Bundeswehr est une armée parlementaire. Les projets d'acquisition pour les forces armées doivent être approuvés par le Parlement dès qu'ils dépassent un certain montant. Le Parlement décide également des opérations de la Bundeswehr. C'est pourquoi je conseille également le Parlement en assistant, tous les quinze jours, aux réunions de la commission de la défense afin de répondre à toutes les questions d'actualité posées par les députés. Cela constitue une partie essentielle de mon travail.

Mesdames et Messieurs les députés, la pandémie de covid-19 détermine actuellement l'agenda politique dans tous les pays du monde. Ce constat est compréhensible en regard des défis qui lui sont liés, mais il ne doit pas nous faire oublier que parallèlement, notre sécurité est influencée par de multiples menaces extérieures. La situation de sécurité a rarement été aussi dynamique et complexe qu'aujourd'hui. L'analyse de la menace réalisée dans le cadre de la présidence allemande du Conseil de l'Union européenne, pour sa boussole stratégique, l'a bien confirmé. Où que se porte notre regard, à l'Est aux frontières de notre Alliance, au Sud vers la Méditerranée ou le continent africain, au Proche-Orient et au Moyen-Orient ou vers l'Indo-Pacifique, les défis pour notre sécurité européenne sont omniprésents. Ces défis ne se situent pas uniquement sur nos terrains terrestres, aériens ou marins. En effet, depuis quelques années déjà, les dimensions cyber et espace requièrent également notre attention. Les conflits et les guerres d'aujourd'hui se déroulent dans les cinq dimensions.

L'Allemagne s'engage à assumer une plus grande responsabilité dans la sécurité de l'Europe. C'est ce que nous faisions, y compris dans le domaine militaire, et l'Allemagne s'engage donc aujourd'hui à trois cent soixante degrés.

Notre action repose sur des principes fondamentaux. Un de ces principes consiste à renforcer le multilatéralisme. Par conséquent, et avec priorité, nous nous intégrons solidement dans les structures d'alliance existantes. Concrètement, cela signifie qu'avant tout, nous aspirons toujours à inscrire l'emploi de moyens militaires dans un cadre multinational, dans un système de sécurité collective.

Afin de protéger les intérêts allemands, des coopérations ad hoc ont parallèlement gagné en importance ces dernières années. Les engagements de gestion internationale des crises, auxquels nous avons participé avec l'autorisation du Bundestag, ont guidé l'action de la Bundeswehr pendant plus de vingt ans. Ils ont non seulement marqué notre réflexion et notre action, mais également nos structures et notre formation.

Depuis 2014, depuis l'annexion de la Crimée, illégale au regard du droit international, nous savons que nous ne pouvons pas nous limiter à la seule gestion internationale des crises. Le besoin en capacités de dissuasion conventionnelles crédibles et de défense nationale et collective est à nouveau prégnant. La défense collective constitue la mission la plus exigeante de la Bundeswehr. L'ensemble de nos documents fondamentaux, politiques et stratégiques, exprime cette ambition et toutes nos planifications visent à ce que la Bundeswehr soit pleinement capable d'assurer et d'assumer cette mission d'ici 2031. L'armée de terre disposera alors de trois divisions pleinement équipées, capables de mener des combats de haute intensité.

Nous poursuivons ces objectifs en étant conscients que l'Allemagne pourra être engagée dans un scénario de défense collective dans son ensemble. C'est pourquoi il devra de nouveau être possible de projeter des forces et d'engager des grandes unités, au complet et au niveau de brigades et de divisions.

2021 ne représente pas un nouveau 1989. Nous en sommes bien conscients. La physionomie de la guerre a bien changé. Les batailles de chars telles que nous aurions pu les observer dans la plaine d'Allemagne et du Nord pendant la Guerre froide sont aujourd'hui peu probables, mais cela ne signifie pas qu'un combat de haute intensité et l'engagement des unités blindées ne puissent pas se produire.

Par ailleurs, le rôle de l'Allemagne dans la défense collective a également évolué. Aujourd'hui, nous ne sommes plus un État de la ligne de front. Cependant, nous sommes une zone de déploiement initial, un théâtre d'opérations arrière et une plaque tournante des mouvements des troupes alliées. En ceci, nous représentons une cible, non seulement une cible d'armes à longue portée, mais également d'activités hybrides.

En même temps, une mission essentielle nous incombe lorsqu'il s'agit d'acheminer rapidement des troupes et du matériel à travers l'Europe jusqu'aux pays baltes. Par ailleurs, en temps de paix, notamment dans le cadre d'importants exercices de projection, nous sommes très actifs pour satisfaire à cette fonction de plaque tournante. Nous investissons dans l'infrastructure. Nous aménageons par exemple des camps de manœuvre dans l'est de l'Allemagne afin de pouvoir mettre à disposition des zones d'exercices et des hébergements pour les troupes alliées. À Ulm, dans le sud de l'Allemagne, nous avons par ailleurs piloté, au nom de l'OTAN, la mise en place du Commandement interarmées du soutien et de la facilitation (JSEC). Le commandement est responsable de l'exploitation et de la sûreté de la zone arrière dans la zone de responsabilité du SACEUR. Dans le cadre de récents exercices, il a déjà fait preuve de son efficacité.

La Bundeswehr participe également à toutes les mesures visant à la dissuasion dans l'Alliance et la réassurance de nos alliés orientaux. Nous sécurisons l'espace aérien au-dessus des pays baltes. Nous participons pour une large part à l'instrument central de dissuasion, le fer de lance de l'OTAN, la Very High Readiness Joint Task Force (VJTF). Après avoir assumé, en 2019, la responsabilité de commandement, la prise d'alerte a été levée l'année dernière. La France assurera ensuite le commandement de la VJTF en 2022 et nous le reprendrons à nouveau en 2023, avec une brigade d'infanterie mécanisée.

Les préparatifs pour atteindre cet objectif commencent dès cette année. La VJTF regroupe près de onze mille militaires alliés et elle est presque deux fois plus importante qu'une brigade type. Elle représente un défi, non seulement logistique, mais également du point de vue du commandement. À cet égard, nous sommes une nation-cadre, fiable pour nos alliés et nos partenaires.

Depuis 2017, aux côtés de la Grande-Bretagne, du Canada et des États-Unis, et en tant que nation-cadre, nous assumons la responsabilité du groupement tactique de mille hommes stationnés en Lituanie. En mer également, notre marine apporte une contribution importante. Nos bâtiments prennent activement part à tous les groupes tactiques de l'OTAN, dans la mer du Nord et dans la mer Baltique, tout comme en Méditerranée.

Bien que nous considérions la défense collective comme étant notre mission la plus exigeante, nous n'ignorons pas la simultanéité et l'égalité des dangers qui résultent de l'instabilité et du terrorisme dans notre voisinage. Nous sommes engagés dans un cadre interallié en Afghanistan depuis vingt ans. Cet engagement a marqué durablement une génération entière de militaires dans l'expérience du combat qu'elle a représentée. Notre engagement en Afghanistan nous a également permis de comprendre qu'une telle opération ne pouvait et ne devait pas avoir pour objectif de reconstruire un État. Il s'agit au contraire de soutenir d'autres États et de contribuer au renforcement de leurs capacités afin qu'ils soient un jour en mesure d'assurer eux-mêmes leur sécurité. Le chemin qui mène à cet objectif est long, en Afghanistan comme ailleurs.

Si les opérations de gestion internationale de crise sont ainsi presque systématiquement à aborder à l'échelle d'une génération, il convient de concevoir ces missions en partant de l'objectif final à atteindre. Les forces armées ne peuvent pas résoudre tous les problèmes existants à elles seules. Elles permettent néanmoins de réduire la pression du temps sur le processus politique et de créer des zones de sécurité dans lesquelles les approches économiques, diplomatiques et de politique de développement peuvent porter leurs fruits.

À la suite de la demande formulée par les États-Unis de poursuivre notre soutien, le Bundestag prépare actuellement le prolongement de son mandat pour la mission en Afghanistan jusqu'en janvier 2022. Ainsi, nous continuerons à former et à conseiller les forces de sécurité afghanes. Nous accordons plus de temps et de marges de manœuvre au nécessaire processus de paix interne qui nous permettra un retrait coordonné au sein de l'Alliance. À l'avenir le conseil, la formation et l'équipement constitueront les missions les plus importantes des forces armées allemandes dans la gestion militaire des crises, en parallèle du déploiement des forces sur place et du soutien fourni à l'aide de capacités haut de gamme. Cette orientation se profile dorénavant pour l'ensemble de nos engagements.

La Méditerranée représente un espace stratégique de grande importance pour l'Allemagne. De ce constat découle l'engagement continu depuis plus de quinze ans de nos bâtiments au sein de la force d'action maritime de la force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL). Là encore, nous suivons et appliquons ce même principe fondamental : conseiller, former et équiper. Comme dans le passé, nous avons apporté notre soutien à la marine libanaise en équipant des patrouilleurs de radars côtiers et de laboratoires électroniques associés et nous assurons la formation correspondante des militaires libanais. Nous contribuons ainsi à ce que le Liban soit, à terme, en mesure de sécuriser les frontières maritimes en toute autonomie.

Nous assurons par ailleurs le commandement de la Task Force maritime depuis trois semaines. Cette prise de commandement par un amiral allemand souligne l'intérêt que nous portons à la région et l'importance que nous accordons à sa sécurité et sa stabilité. Notre participation aux forces maritimes de l'OTAN, comme dans la mer Égée, contribue à la protection du flanc sud de l'Europe. Nous nous engageons au sein de l'opération européenne Irini afin de garantir le respect de l'embargo sur les armes imposé à la Libye par le Conseil de sécurité des Nations Unies.

La stabilité de notre voisinage se répercute directement sur la stabilité de l'Europe. Dans ce contexte, la stabilité du Sahel est déterminante pour la stabilité de l'Afrique du Nord dans son ensemble, dans la mesure où la faible densité de population et l'absence de structures étatiques dans cette région favorisent l'émergence et le développement des réseaux criminels et terroristes. La stabilité du Sahel nous est ainsi d'un intérêt vital.

L'Allemagne participe par conséquent aux missions civiles et militaires de l'Union européenne et des Nations Unies au Sahel. Nous assurons par ailleurs depuis plus de trois ans la formation des forces spéciales nigériennes dans le cadre de notre mission bilatérale d'assistance militaire Gazelle. Ces activités bilatérales au Niger viennent ainsi compléter les différentes missions et opérations nationales et internationales au Sahel.

Nous constatons toutefois un potentiel d'amélioration dans l'harmonisation et la mise en réseau de nos missions. En effet, le terrorisme ne s'arrête pas aux frontières, contrairement à nous. Il convient d'intégrer davantage ce facteur. L'Allemagne le prend en compte en intégrant à l'avenir la mission Gazelle à la mission de formation de l'Union européenne au Mali comme participation nationale élargie. Cette mission est par ailleurs relocalisée Tilia, à proximité de la frontière avec le Mali.

Au Mali, l'objectif consiste à poursuivre et à étendre la formation de l'armée bénéficiant d'un soutien européen. Dans ce cadre, nous estimons qu'il serait nécessaire de créer un centre de formation bénéficiant d'un soutien européen à Sévaré. Nous présenterons prochainement au niveau européen une proposition portant sur l'avenir de la formation. Cela constituera un élément supplémentaire qui, je l'espère, contribuera à la stabilisation de la région et permettra à long terme aux États du G5 d'assurer eux-mêmes leur sécurité.

Mesdames et Messieurs les députés, avant de conclure mon propos, permettez-moi d'évoquer brièvement la zone Indo-Pacifique. La France connaît bien cette région et la marine française y est présente depuis longtemps. La région revêt également une grande importance pour l'Allemagne en raison des voies maritimes dont dépend une grande partie de notre activité commerciale et du fait de la présence dans cette région de nombreux partenaires qui partagent nos valeurs. C'est pourquoi cet intérêt se traduira donc désormais également par un engagement militaire. Dès cette année, nous allons donc envoyer une frégate dans la zone Indo-Pacifique. En renforçant notre présence maritime, nous souhaitons envoyer un signal fort à nos partenaires de l'Indo-Pacifique et contribuer à l'architecture de sécurité de la région. Ce projet représente, selon moi, un important potentiel de coopération franco-allemande pour l'avenir.

J'espère avoir réussi à vous montrer, dans cette brève présentation, l'ampleur de l'engagement militaire allemand pour la protection de l'Europe ainsi que pour la paix et la sécurité dans le monde. En 2020, chaque jour, quelque vingt mille militaires allemands étaient engagés en ce sens. Ils ont défendu notre sécurité dans le cadre des missions et des opérations que je vous ai décrites. Près de trente mille militaires supplémentaires soutiennent en parallèle les efforts dans la lutte contre le virus covid-19 sur notre territoire.

Mesdames et Messieurs les députés, aucune nation ne peut relever seule les défis sécuritaires mondiaux auxquels nous sommes confrontés. C'est pour cette raison qu'il est aussi important que nous maintenions à l'avenir nos liens étroits de coopération et de confiance afin de pouvoir y répondre ensemble. La coopération franco-allemande est et restera un élément déterminant de notre politique de sécurité et de défense.

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