Intervention de Général Eberhard Zorn

Réunion du mercredi 17 mars 2021 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Eberhard Zorn, Generalinspekteur de la Bundeswehr :

En regard de la complexité de vos questions, permettez-moi de vous répondre en allemand.

Au début de l'année, dans le cadre de notre présidence allemande, nous avons abordé les questions relatives aux concepts stratégiques et à la boussole stratégique avec l'ensemble des États partenaires. La priorité a consisté à opérer une analyse commune de la menace. D'un point de vue militaire, l'Union européenne n'avait que trop attendu. L'OTAN avait déjà procédé à cette analyse de la menace et l'avait intégrée à sa stratégie militaire en 2019. Nous disposions donc déjà d'informations, mais l'Union européenne a apporté une dimension supplémentaire, à savoir que nous n'avons pas uniquement procédé à des analyses de type militaire, mais nous avons également analysé les menaces de nature stratégique en intégrant la Chine. Cette analyse de la menace commune a été très bien menée puisque chaque nation a apporté sa contribution sans que nous bataillions indéfiniment sur des textes. Nous avons inscrit les faits noir sur blanc et, sur ces bases, nous avons déterminé notre position stratégique. L'objectif n'est pas uniquement militaire puisque l'exercice s'inscrit dans une approche globale.

S'agissant du rôle de l'Allemagne et du document que nous avons récemment publié. Je tiens à souligner que c'est la première fois qu'un chef d'état-major allemand publie un tel document en coopération avec des ministres. Il importe dorénavant de poursuivre la discussion. 2021 sera une année électorale importante en Allemagne. Nous souhaitons accompagner le débat et lancer certaines initiatives, certaines impulsions. Nous publierons notamment un document au mois de mai. Nous tenons à formuler plus clairement ce que doit être le rôle de la Bundeswehr. Nous nous situons pleinement dans un contexte international, dans le cadre de l'OTAN, dans le cadre de l'Union européenne et nous envisageons la coopération à l'échelle multinationale.

Vous avez évoqué la question de l'armement et de l'autonomie stratégique. Est-ce une illusion ? Je suis un « militaro réaliste ». Avant de construire des projets d'armement, avant de disposer de capacités militaires établies, je pense qu'il va s'écouler encore au minimum dix à vingt ans. Lorsque nous évoquons le SCAF ou le MGCS, nous nous situons en 2040. L'évolution de nos capacités à l'heure actuelle est orientée sur l'année 2030. Nous nous dirigeons vers l'autonomie, nous avançons sur le bon chemin, mais elle n'est pas encore réalisée. Et du point de vue allemand, nous avons de toute façon besoin du soutien des Américains pour ce qui concerne transport aérien stratégique, et nous avons besoin également de fournisseurs. Il en va de même du domaine spatial ou de la dissuasion nucléaire. Aujourd'hui comme hier, nous avons des devoirs et des responsabilités, mais nous avons besoin du soutien des États-Unis. J'envisage donc la situation plutôt à long terme. L'horizon de temps sera du même ordre pour que le pilier européen de l'OTAN et l'armée européenne deviennent une réalité. Nous devons avancer maintenant pas à pas afin de nous rapprocher de l'objectif.

Nous avons besoin de tous les projets d'armement que nous avons lancés afin d'atteindre ensemble cet objectif que nous nous fixons. Une armée européenne et une autonomie plus importante constituent des objectifs qui imposent des projets d'armement.

Vous avez évoqué la situation du Royaume-Uni. Si la Grande-Bretagne développe des projets de façon autonome - pour des avions de combat par exemple -, elle représentera un concurrent supplémentaire sur le marché européen. Il est donc important que les Européens se rapprochent encore davantage.

S'agissant des opérations Barkhane et du Sahel dans son ensemble, sur le plan militaire, nous sommes tout à fait en mesure de participer à ces opérations, d'être présents, et d'ailleurs nous sommes présents. J'ai bien dit à notre ministre qu'il était important d'avoir à l'esprit l'ensemble du spectre des actions auxquelles l'Allemagne pouvait participer. Nous avons donc des forces spéciales. Nous sommes présents dans le domaine de la marine, dans l'aérien et dans le terrestre. Nous sommes donc en capacité de couvrir une large palette des actions envisageables et nous tenons à être présents à l'avenir avec l'ensemble des moyens que nous pouvons fournir. Nous souhaitons être un partenaire sur lequel d'autres nations pourront s'appuyer. Autrement dit, l'offre est là, l'offre est toujours là. Notre action sur le plan opérationnel relève d'une décision politique, soutenue par notre Parlement.

Vous avez évoqué un déficit de notre force de réserve. Nous en sommes tout à fait conscients. Il y a deux ans, nous avons publié une nouvelle stratégie en matière de réserve. Afin d'atteindre notre objectif, nous avons décidé qu'il était impératif de remplacer chaque départ. Nous veillons donc scrupuleusement à ce que ces remplacements soient assurés. La nouvelle stratégie que nous avons publiée en 2019 prévoit que chaque fois qu'un soldat quitte la Bundeswehr, son remplacement est assuré. Ces modalités nous permettent de disposer d'une force de réserve conforme à nos besoins.

Par ailleurs, rien ne nous interdit de créer une unité de réserve franco-allemande sur le modèle de la brigade franco-allemande. Il serait en effet possible d'affecter certains réservistes à une telle force de réserve franco-allemande. Ce n'est pas une idée à laquelle nous avons réfléchi plus avant. À l'heure actuelle, nous n'avons pas encore mené d'actions en vue de la concrétiser, mais pourquoi pas ?

S'agissant du recrutement, la pandémie nous a empêchés d'atteindre nos objectifs. Nous avons pu recruter et tester moins de personnes depuis l'année dernière. Nous pensons qu'en 2031, nos effectifs seront constants et se maintiendront à deux cent trois mille militaires. En ce qui concerne les officiers, nous recrutons un officier sur quatre candidats. Nous parvenons en moyenne à couvrir l'ensemble des postes. En revanche, nous rencontrons davantage de difficultés à recruter dans les domaines techniques, les technologies de l'information, et surtout les technologies de l'information en mer, à bord des navires. Le nouveau modèle élaboré par notre ministre ouvre une autre possibilité à un autre groupe cible, à savoir les candidats qui, dans un premier temps, souhaitent en quelque sorte un engagement test dans la Bundeswehr. À partir du mois d'avril, nous avons enregistré un nombre plus important de candidats que nous avions de places à offrir. Cette démarche devrait nous permettre également de renforcer notre réserve. La motivation et le niveau de professionnalisme sont importants et satisfaisants. Aujourd'hui, les militaires s'engagent pour une période de dix à douze ans et ce niveau d'engagement est très satisfaisant.

S'agissant de la question des drones et de la crise dans le Haut-Karabakh, nos constats sur le terrain nous ont permis d'identifier exactement les moyens dont nous avons besoin afin d'assurer une protection rapprochée des territoires. Au cours des vingt dernières années, l'Allemagne a supprimé des troupes dont le besoin s'avère à nouveau prégnant. Nous avons élaboré une matrice de sorte à mettre en œuvre des mesures de modernisation, notamment dans le domaine de la défense anti drones. Nous possédons des drones et nous avons débattu du sujet de leur armement. Je pense que nous avons besoin de drones armés en complément de nos drones de reconnaissance. S'agissant du projet SCAF, nous réfléchissons à une stratégie utilisant des drones et des drones armés. Je suis convaincu qu'il est essentiel que les capacités allemandes ne présentent aucune lacune. En ce sens, je suis convaincu qu'une coopération étroite avec la France et les partenaires européens est importante. J'ai confiance dans le projet Eurodrone et je pense que nous parviendrons à le mener à bien. Nous avons bien sûr besoin de l'accord du Parlement, mais je pense que nous l'obtiendrons. Je suis confiant.

S'agissant de l'opération Barkhane et la présence au Mali, je compare souvent de notre engagement à ce qui se passe au Niger. Au cours de ces dernières années, nous contribuons à la formation des forces nigériennes et elles ont atteint un niveau de formation très satisfaisant. Au Mali, il faut encore progresser. Nous avons identifié des propositions que nous transmettrons aux instances européennes. Nous pensons que nous pourrons intervenir à partir de l'été et conjuguer cette nouvelle forme de présence aux autres opérations déjà en cours.

En ce qui concerne la répartition des rôles, la répartition des tâches, j'ai mentionné les capacités dont je souhaiterais disposer et j'encourage la modernisation dans de nombreux domaines. Nous avons besoin de technologies de pointe et j'apporte mon soutien sans réserve aux projets MGCS et SCAF. Les discussions entre partenaires industriels et entre les organismes étatiques impliqués ne sont pas de mon ressort. Cependant, j'espère qu'elles aboutiront rapidement. À défaut, nous risquons de rater le train, en quelque sorte, parce que le temps passe. Nous entrons dans des années électorales importantes et ce sont toujours des années spéciales. Le budget représente une question brûlante.

En ce qui concerne la surveillance de l'espace, il convient d'identifier des solutions les plus rapides possible.

S'agissant du Tigre, je ne suis pas satisfait de la disponibilité du Tigre. Nous n'avons pas progressé sur les capacités d'utilisation du Tigre depuis plusieurs années. Il est vrai que nous avons beaucoup utilisé le Tigre au Mali parce que nous avions un soutien industriel sur place et nous pouvions donc obtenir les pièces de rechange dont nous avions besoin. Je ne suis pas satisfait du niveau de disponibilité du Tigre, mais nous travaillons à l'améliorer avec les mêmes fabricants que pour le NH90. Nous avons constaté des progrès significatifs pour le NH90 au cours de ces dernières années et j'espère que nous réussirons à progresser également sur le Tigre. Nous souhaitons conserver cet hélicoptère. Nous le modifions complètement et nous le rééquipons de sorte à améliorer son taux de disponibilité.

Nous avons revu la directive européenne, mais nous n'en sommes pas totalement satisfaits. Elle est applicable dans les institutions, les administrations, etc., mais en ce qui concerne l'armée, elle représente davantage une charge. Au cours de la prochaine législature, nous envisageons d'adopter des textes législatifs qui allègeront un peu le processus. Nous souhaitons que les troupes puissent agir avec plus de liberté.

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