Intervention de Claire Legras

Réunion du mardi 30 mars 2021 à 17h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Claire Legras, directrice des affaires juridiques du ministère des armées :

Il ne faut pas s'en tenir à la déploration mais envisager les pistes d'action. Les juges de la Cour de justice sont encore en train de délibérer. Nous ne saurons jamais si les échos des prises de positions politiques et médiatiques leur sont parvenus et c'est normal. En tout cas, les militaires comptent beaucoup sur le soutien de leur administration, mais aussi sur celui des responsables politiques. Il y a une sorte de contrat entre les politiques et les militaires, qui considèrent qu'il est difficile pour eux d'apparaître en première ligne, surtout dans un contexte juridictionnel. Mais on peut espérer que la Cour de justice entendrait les difficultés à la mise en œuvre d'une jurisprudence contraire à la position de la France qui seraient exprimées.

Si l'arrêt concernant les Slovènes est défavorable, tant qu'on n'est pas acculé par un contentieux national, on peut faire le gros dos. Mais celui-ci viendra rapidement, non du fait d'un problème de climat social dans les armées, mais sans doute à cause d'un électron libre. En l'occurrence, un militaire ou un membre de sa famille pourrait engager devant une juridiction nationale un contentieux demandant la transposition de la directive et le respect de la jurisprudence de la Cour de justice. Nous nous retrouverions alors dans une configuration identique à celle que nous connaissons en matière de renseignement. En pareil cas, nous plaiderions de la même manière l' ultra vires en disant que la Cour est intervenue dans un domaine qui n'est pas du ressort de l'Union européenne, que les différents constituants, soit in fine les peuples souverains, ne lui ont pas confié. C'est, à mon sens, le plus adéquat et le plus efficace pour conserver notre pleine liberté d'action nationale.

Sinon, nous soutiendrons que c'est contraire au principe de libre disposition de la force armée. Le Conseil constitutionnel a dégagé ce principe dans une affaire que la commission de la défense connaît bien. Saisi d'une QPC, il a dit que l'incompatibilité entre l'état de militaire d'active et la détention d'un mandat municipal allait au-delà des exigences de neutralité des militaires.

Idéalement, il faut que le Conseil d'État nous suive dans cette démarche, sinon il nous restera la voie que nous explorons sur le terrain du renseignement, celle qui consiste à faire changer le droit de l'Union. Je pense soit au droit primaire, mais le contenu de l'article 4§2 est d'ores et déjà très précis et je me fais peu d'illusions quant à la possibilité de modifier les traités, soit à la directive sur le temps de travail. Sans sortir complètement les armées de l'application de ses règles, puisque des pays comme l'Allemagne veulent l'appliquer à leurs militaires, on pourrait organiser un opt out pour les armées qui, compte tenu de leur singularité, ne peuvent s'accommoder de cette toise.

Il ne suffit pas d'évoquer cette solution pour qu'elle soit à portée de main. La directive sur le temps de travail est devenue un texte totémique. Elle date d'une époque où l'Europe comptait douze à quinze membres, mais à vingt-sept, il est difficile d'élaborer et d'adopter de la législation en matière sociale. Assez peu de directives et règlements étant adoptés, la machine à produire du droit, donc de l'intégration européenne, est la Cour de justice, par son interprétation des textes existants. Il faudra susciter une initiative de la Commission en ce sens, ainsi qu'un soutien de nos partenaires, alors que nous sommes relativement isolés. Il faudra convaincre le Parlement européen, ce qui ne sera pas non plus une mince affaire.

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