Intervention de Carole Bureau-Bonnard

Réunion du mercredi 31 mars 2021 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCarole Bureau-Bonnard, rapporteure pour avis :

Madame la présidente, chers collègues, nous procédons ce matin à l'examen, pour avis, du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord signé le 23 novembre 2018 à Paris entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse, relatif à la coopération bilatérale en matière d'instruction militaire.

Cet accord, composé d'une vingtaine d'articles, est l'héritier d'un partenariat opérationnel conclu de longue date, et qui n'a cessé d'être étayé au fil des ans. Il conforte notre relation bilatérale dans le domaine de la défense, en l'ouvrant à de nouveaux domaines de coopération comme le cyber ou le spatial militaire. Avec cet accord, la France et la Suisse s'engagent mutuellement à un niveau inédit, d'autant que notre rapprochement pourrait également s'accroître dans le domaine capacitaire.

Avant toute chose, il me semble important de souligner la qualité de la relation que nous entretenons avec nos partenaires suisses : elle a été mise en lumière par tous les intervenants que j'ai pu auditionner.

En renouvelant le cadre de coopération actuel, qui repose sur des accords signés en 1997 et 2003, la France et la Suisse se donnent les moyens de se préparer ensemble à affronter les nouveaux enjeux de conflictualité. Cette nécessité, ressentie de part et d'autre des Alpes, explique la grande sérénité dans laquelle ont pu être menées ces négociations. Au cours des auditions, le mot « confiance » a été prononcé à maintes reprises par mes interlocuteurs.

Le présent accord garantit à la fois le maintien des stipulations contenues dans les textes de 1997 et 2003 et la préparation d'un avenir qui dessine de nouvelles opportunités de programmes communs. Il doit permettre de renforcer la coopération entre les forces armées des deux parties en donnant un cadre juridique fiable, exhaustif et modernisé aux activités menées, qui sont nombreuses et toujours de qualité.

Les missions communes de police de l'air sont très clairement notre forme de coopération la plus aboutie : outre un échange quotidien d'informations entre nos centres de contrôle respectifs, nos deux pays mènent régulièrement des opérations conjointes. Cette coopération poussée nécessite bien évidemment des entraînements communs, à l'image de la campagne « Épervier », que nous menons en Suisse comme en France. Un accord de 2015 a par ailleurs abouti à la définition d'une zone aérienne transfrontalière commune, que les armées de l'air de nos deux pays peuvent utiliser, notamment dans le cadre d'entraînements au combat aérien.

Notre coopération est également forte dans la formation des pilotes, de chasse comme de transport. Les programmes en cours de modernisation de la politique de formation des pilotes de chasse – les bien connus Fomedec et Mentor – ont notamment amené l'armée de l'air à se porter acquéreuse de dix-sept avions Pilatus PC-21, des avions suisses. Nos premiers instructeurs sont partis se former en Suisse et la base aérienne de Cognac accueille, pendant trois ans, un instructeur l'armée de l'air suisse, tout au long de la phase de montée en puissance de nos propres formateurs.

Dans le domaine aérien, notre coopération concerne également l'entraînement de tireurs d'élite suisses depuis un hélicoptère, à partir de la base aérienne de Solenzara, en Corse, ou l'organisation de nombreux stages et visites pour les militaires des deux parties, destinés à partager des savoir-faire spécifiques aux deux armées.

Notre coopération est dynamique, comme en témoigne la visite effectuée par la ministre des armées, Mme Florence Parly, à Berne, la semaine dernière, pour rencontrer son homologue suisse, Mme Viola Amherd. Il s'agit de la huitième visite ministérielle depuis 2017, ce qui souligne l'extraordinaire vivacité du lien qui nous unit à nos partenaires helvètes.

L'approfondissement de notre relation se construit donc, vous l'aurez compris, sur des bases déjà solides et sans cesse renouvelées. Ce pas en avant était néanmoins rendu indispensable, d'une part par la complexité d'amender intégralement un corpus d'accords hétéroclites et, d'autre part, par la concordance toujours plus prononcée entre les grands enjeux de sécurité et de défense identifiés comme prioritaires par nos deux armées.

Ce nouvel accord intervient en effet au moment où la Suisse a engagé la redéfinition de ses priorités stratégiques. Un nouveau Livre blanc est ainsi prévu pour la fin de l'année 2021, qui devrait refléter des préoccupations croissantes en lien avec la sécurité collective du continent européen. Dans ce contexte, la France est perçue comme un allié fiable. Nous avons nous-mêmes procédé à l'actualisation de la Revue stratégique. La Suisse fait d'ailleurs partie des rares pays consultés à l'occasion de la rédaction de cette Actualisation 2021, ce qui constitue un autre signe de la robustesse de notre coopération.

Dans ce contexte, la négociation de l'accord que nous étudions aujourd'hui s'est parfaitement déroulée, en confiance et rapidement. Certaines particularités doivent être notées, puisque le texte final prend évidemment en compte les spécificités de nos partenaires suisses.

La Confédération n'appartient ni à l'Union européenne, ni à l'OTAN, et chacun connaît sa neutralité. La France respecte ce statut, auquel les Suisses sont très attachés, comme me l'a assuré le général Halter, l'attaché de défense de l'ambassade suisse à Paris. C'est pourquoi le champ de l'accord a été concentré sur les activités d'instruction et de formation, ainsi que sur les exercices et entraînements. En revanche, l'accord ne traite ni de la planification, ni de la préparation, ni de l'exécution d'opérations de combat militaire.

Les stipulations relatives au statut des personnels impliqués dans la coopération et au financement de cette dernière représentent naturellement une part significative de l'accord final. D'autres dispositions prévoient également les règles s'appliquant aux informations classifiées échangées dans le cadre de l'accord, ainsi que l'organisation de rencontres bilatérales régulières afin d'assurer un suivi de la coopération et la rédaction d'un plan annuel en ce sens.

Cet accord devrait également permettre de pérenniser les actions menées aux côtés de la Suisse, sur plusieurs points.

Premièrement, sur les enjeux cyber. Nous pouvons nous féliciter du dynamisme et de l'engagement des deux parties pour avancer ensemble dans ce domaine hautement stratégique. Le rapprochement de nos armées en la matière s'est accéléré en 2016 et il doit encore être renforcé par la conduite prochaine d'un exercice commun, appelé Locked Shields. Il devait avoir lieu en 2020 mais a dû être reporté à cause de la crise sanitaire.

Deuxièmement, en matière de formation et d'entraînement de nos pilotes de chasse. J'ai déjà parlé de notre coopération dans le cadre de la modernisation de la formation de nos pilotes de chasse. De la même manière, il est clair que si les Suisses venaient à acquérir des Rafale – je reviendrai sur cette possibilité –, ils bénéficieraient du retour d'expérience français.

Troisièmement, dans le domaine spatial, avec l'accès à la composante spatiale optique (CSO). C'est une étape fondamentale pour renforcer nos capacités mutuelles de renseignement, alors que la Suisse est encore obligée de solliciter le secteur privé pour s'approvisionner en images satellites.

Quatrièmement, en matière de défense nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC). Dans ce domaine, des échanges se sont récemment concrétisés. À la suite d'une visite de la ministre Florence Parly, en septembre 2018, un arrangement technique a en effet été signé l'an dernier entre la Direction générale de l'armement (DGA) et le laboratoire de Spiez, situé dans le canton de Berne. Le service de santé des armées s'est également rapproché de ce laboratoire, ce qui nous permet d'envisager une relation renforcée dans ce domaine, dont l'importance est toujours croissante.

Ce nouvel accord promet également d'avancer sur la voie de nouveaux contrats d'armement. Comme vous le savez, les Suisses ont accepté, par votation, le principe du renouvellement de leur flotte d'avions de chasse en septembre 2020. Ce contrat devrait porter sur une quarantaine d'avions, pour un total avoisinant les 6 milliards de francs suisses, soit plus de 5,4 milliards d'euros. La France, par l'intermédiaire de Dassault Aviation, s'est naturellement portée candidate à l'appel d'offres en cours.

L'objectif est double : il s'agit naturellement de remporter ce contrat d'envergure, ce qui fournirait à la France l'argument d'une « caution suisse » lors de la négociation de futurs contrats avec d'autres partenaires, mais aussi de poursuivre la dynamique engagée l'an passé avec la vente de Rafale à la Grèce.

Le remplacement par la Suisse de sa flotte vieillissante intervient d'ailleurs dans un contexte d'augmentation générale des crédits budgétaires alloués à la défense. Ces derniers doivent augmenter de près de 6 % pour la période 2021-2025, une hausse importante consacrée en partie au renouvellement complet de la protection de l'espace aérien du pays. C'est l'objet du programme « Air 2030 », qui repose sur trois piliers, sur lesquels la France est déjà positionnée : une dimension dite « C2Air », qui prévoit le remplacement du système de surveillance et de conduite des opérations aériennes de l'armée de l'air helvète – ce contrat a d'ores et déjà été remporté par Thales ; le projet Bodluv, qui prévoit l'acquisition d'un nouveau système de défense sol-air de longue portée – sur ce segment, le modèle SAMP/T du français Eurosam est en compétition avec l'américain Raytheon ; l'achat, enfin, du prochain avion de combat, qui voit s'affronter le Rafale, le F-35A de Lockheed Martin, le F/A 18 Super Hornet de Boeing et l'Eurofighter Typhoon d'Airbus – le choix sera annoncé à l'été 2021.

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, la coopération avec la Confédération suisse est un succès. Au moment où les Européens cherchent à concevoir la nouvelle architecture de sécurité de notre continent, il est important de rappeler que nous ne pourrons pas avancer sans un dialogue ouvert et constructif avec nos amis suisses. Pour toutes ces raisons, il me paraît essentiel que notre commission accompagne l'adoption de ce projet de loi. Le Conseil des États et le Conseil national, les deux chambres du Parlement suisse, ont d'ores et déjà ratifié cet accord : à nous de faire de même. Je vous invite donc, mes chers collègues, à émettre un avis favorable à l'adoption de cet accord avec nos partenaires suisses.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.